La magistrature révoltée par les propos de Nicolas Sarkozy

samedi 23 septembre 2006.
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Qu’arrive-t-il à Nicolas Sarkozy ? Depuis dix jours, rien ne va plus. Pour préparer une offensive médiatique sur la recrudescence des violences aux personnes, il fait transmettre un dossier à la presse par son cabinet. Catastrophe ! Une erreur y a fait annexer le rapport du préfet de Seine Saint Denis que Le Monde publie. Ce texte apporte énormément de précisions sur l’augmentation de la délinquance (alors que Nicolas a prétendu la passer au karcher) et les disfonctionnements des services. De plus, personne n’ignore le lien entre chômage, pauvreté et délinquance dans ce département. Comment va réagir le Sarko ? Il se lance dans une nouvelle provocation : le tribunal de Bobigny (préfecture du 93) serait "laxiste". L’ensemble du corps de la magistrature, pourtant majoritairement conservateur, se considère agressé et rappelle l’importance de la séparation des pouvoirs. Chirac et Villepin ne manquent pas l’occasion de glisser quelques peaux de banane supplémentaires sous le pas de leur ministre d’Etat. Celui-ci lance alors de nouvelles provocations de plus en plus teintées de populisme réactionnaire "Mon juge, c’est l’opinion..." Vu l’importance de cette passe d’armes, nous mettons en ligne ci-dessous l’article publié par l’agence Reuters.

Paris (Reuters)

- L’accusation indirecte de laxisme prononcée par Nicolas Sarkozy à l’encontre des juges de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a suscité une indignation dans la magistrature, et un appel du plus haut magistrat français à Jacques Chirac.

Démarche sans précédent, Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, a demandé audience au chef de l’Etat, garant selon la Constitution de l’indépendance de la justice.

Dans un communiqué, il demande "à être reçu par le président de la République (...) pour lui exposer la gravité de ces atteintes réitérées à la répartition des pouvoirs prévue par la Constitution et le malaise ressenti par les juges dans une situation qui compromet l’exercice de la justice".

Lors d’un déplacement à Bobigny mercredi, Nicolas Sarkozy a parlé de "démission" des juges de Bobigny en expliquant qu’ils n’avaient pas assez recours à l’emprisonnement des délinquants.

Sur un ton inhabituel, Guy Canivet dénonce "les termes provocants d’une intervention publique du ministre d’Etat".

"Cette nouvelle atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire et la polémique qui s’ensuit, opposant les institutions publiques, affaiblissent tout autant le crédit de la justice que l’autorité de l’Etat", dit-il.

Le plus haut magistrat du parquet en France, le procureur général de la Cour de cassation Jean-Louis Nadal, a annoncé de son côté qu’il se rendrait jeudi après-midi à Bobigny pour "exprimer son soutien" aux magistrats locaux.

Le premier président de la cour d’appel de Paris, Renaud Chazal de Mauriac, a également jugé, dans un communiqué, qu’"opposer les institutions les unes aux autres (était) une démarche stérile qui peut s’avérer dangereuse et réjouir ceux qui ne respectent pas les lois de la République".

L’Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (gauche) ont joint leurs voix aux protestations, et estiment que le ministre de l’Intérieur outrepasse ses prérogatives et ment sur le laxisme des juges.

VILLEPIN SOUTIENT LES JUGES

Le Premier ministre, Dominique de Villepin, s’est apparemment démarqué de son ministre de l’Intérieur en soulignant "l’engagement" des élus locaux, des préfets, des magistrats et des forces de l’ordre dans la lutte contre l’insécurité".

"L’importance de l’enjeu exige que chacun poursuive ses efforts pour plus de sécurité dans notre pays", a-t-il dit à la suite d’une réunion à Matignon sur les banlieues, à laquelle participait Nicolas Sarkozy.

En juin 2005, le ministre de l’Intérieur avait déjà soulevé des réactions indignées des magistrats en réclamant des sanctions disciplinaires plus efficaces contre les juges et en écrivant au président du tribunal pour enfants de Bobigny pour exprimer des reproches similaires.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a d’ailleurs remis la semaine dernière au président Chirac un avis spontané condamnant ces premiers propos, a-t-on appris jeudi.

Le fond de la controverse est l’augmentation ces dernières années des violences physiques sur les personnes, hausse qui serait particulièrement marquée en Seine-Saint-Denis.

Pour Nicolas Sarkozy, la magistrature est en cause car les incarcérations auraient baissé de 15,5 % à Bobigny depuis le début de l’année. En 2005, "seulement" 132 des 1.651 mineurs déférés au parquet ont été écroués, a déploré le préfet de Seine-Saint-Denis, Jean-François Cordet, dans une note confidentielle dont le journal Le Monde a fait état.

Ce phénomène engendrerait un "sentiment d’impunité" selon le président de l’UMP.

Les magistrats contestent ces statistiques et soulignent que, de toutes façons, la philosophie générale de la justice des mineurs est depuis 1945 de faire de la prison un dernier recours, car elle génère de la récidive.

Il est légalement difficile, voire impossible, d’envoyer en prison de jeunes mineurs, rappellent-ils. Si les voies alternatives et éducatives ne donnent que peu de résultats sur la délinquance, ce serait la faute au manque d’effectifs dans les services spécialisés et au manque de place dans les foyers.

La polémique survient au moment où le ministre de l’Intérieur propose au Parlement de durcir la justice des mineurs, avec un texte sur la "prévention de la délinquance".


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