Chili : la pilule de la discorde

dimanche 24 septembre 2006.
 

Michelle Bachelet aurait difficilement pu choisir une annonce plus controversée pour marquer le coup de ses six premiers mois à la présidence du Chili. Le 3 septembre, elle déclarait que la pildora del dia despues - la pilule du lendemain - serait désormais distribuée gratuitement aux jeunes filles de 14 ans, sans autorisation préalable des parents. Dans ce pays encore très catholique où l’avortement - même thérapeutique - est un crime, il n’en fallait pas davantage pour créer scandale.

Depuis, les journaux chiliens ne parlent que de ça, ou presque. La Tercera et le Mercurio, les deux grands quotidiens de Santiago - étroitement liés aux partis de droite - ont ouvert toutes grandes leurs pages éditoriales au clergé chilien, qui s’est empressé de dénoncer le projet de la présidente socialiste.

« C’est une attaque contre le mariage, une attaque contre la natalité, une attaque contre la famille », a ainsi écrit l’archevêque de Santiago, Francisco Javier Erràzuriz, certainement l’une des plus influentes figures religieuses du pays. Michelle Bachelet, cette présidente athée, séparée, mère de trois enfants issus de deux unions différentes, n’a jamais été dans ses bonnes grâces. Mais cette fois, le verbe est plus incisif que jamais.

« Sa politique est une incitation à la sexualité irresponsable et un attentat à la vie », s’est emporté l’évêque Damiàn Acuna dans son homélie prononcée dimanche à la grande cathédrale de la métropole.

La charge la plus virulente est venue de deux partis de droite, le Renouveau national (RN) et l’Union démocrate indépendante (UDI). Ils ont porté l’affaire devant les tribunaux, et obtenu la suspension temporaire de la mesure. Il semble cependant improbable que la Cour suprême leur accorde gain de cause en définitive.

Attaque surprenante

Mais la plus surprenante des attaques est venue de l’intérieur même du parti de Michelle Bachelet. Soledad Alvear, présidente de la Démocratie chrétienne, la coalition au pouvoir, s’est rangée du côté de l’archevêque de Santiago. « Je ne voudrais pas que mes enfants entament leur vie sexuelle à 14 ans. Et si ma fille devait prendre la pilule du lendemain, je voudrais en être avisée », a-t-elle déclaré.

Voilà donc Michelle Bachelet obligée de défendre son projet sur toutes les tribunes possibles, et elles sont nombreuses en cette période de réjouissances entourant la fête nationale du 18 septembre.

Michelle Bachelet riposte en choisissant bien ses mots. Pédiatre de profession, elle a souligné, études médicales à l’appui, que la pilule du lendemain n’est pas « abortive », mais bien « anticonceptionnelle » puisqu’elle agit avant la fécondation de l’ovule par le spermatozoïde.

Puis, elle a détourné le discours sur l’aspect « démocratique » de la mesure. « Personne ne fait une campagne en faveur de relations sexuelles précoces, s’est-elle défendu. Malheureusement, 14% des jeunes filles de 14 ans sont déjà actives sexuellement. Il est donc du devoir de l’État de leur fournir une alternative qui ne soit ni l’avortement, ni la grossesse. »

Avortements clandestins

En filigrane, il faut décoder que « la Bachelet », comme on la surnomme affectueusement là-bas, compte s’attaquer au phénomène encore très tabou des avortements clandestins. En effet, même si cette pratique est officiellement interdite - et ce, même en cas de viol ou de malformation foetale - il y en aurait plusieurs dizaines de milliers chaque année. Loin des regards, et souvent au péril de la santé des Chiliennes, estiment les organisations de défense des droits des femmes.

« Il y a beaucoup d’hypocrisie », dit Carolina Peyrin, directrice exécutive de Domos. Elle explique que les femmes des quartiers plus aisés peuvent se payer un avortement dans une clinique médicale répondant à toutes les normes d’hygiène - on inscrira alors faussement dans leur dossier qu’elles ont subi l’ablation de leur appendice, par exemple- alors que celles des quartiers pauvres en sont réduites à recourir à des méthodes autrement plus dangereuses.

Certaines se mutileraient la paroi utérine pour provoquer le rejet du foetus. Annuellement, 25 000 femmes sont admises dans les hôpitaux relativement à des complications de grossesse « inexpliquées », évalue Mme Peyrin.

« Michelle Bachelet s’est attaquée à quelque chose de gros. De très gros, note Lidia Casas, professeure en droit de la reproduction à l’Université du Chili. Mais si elle l’a fait, c’est qu’elle pensait avoir les reins assez solides pour s’en sortir plus forte. » Car si la droite religieuse est opposée au projet, la population, elle, y serait plutôt favorable, croit Mme Casas. « Les pratiques et le discours du Chilien lambda ne correspondent pas à celui de l’élite. La population souhaite la commercialisation des contraceptifs d’urgence. »

Mais le politologue Patricio Navia est beaucoup plus sceptique, et croit que la crise actuelle est symptomatique d’un malaise plus profond. La popularité de Michelle Bachelet est en baisse quasi constante depuis son élection. « En définitive, ses six premiers mois sont assez décevants. La population a l’impression qu’elle ne remplit pas ses promesses. » La distribution de la pilule du lendemain ne faisait pas partie de son programme électoral.

Violaine Ballivy


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