Deux points de vue sur le baccalauréat

samedi 27 juin 2009.
 

1) Le Baccalauréat, ça eut payé…

L’INSEE détaille la situations des bacheliers une fois sur le marché du travail.

« Passe ton bac d’abord. » Cette phrase répétée maintes fois par les parents à leur progéniture est significative : le baccalauréat reste en France un rite de passage majeur. Et pour cause, 64 % d’une classe d’âge obtient ce diplôme promettant un avenir brillant.

Pourtant, selon une étude de l’INSEE publiée hier, « la rémunération des jeunes bacheliers (1 170 euros en moyenne - NDLR) tend à se rapprocher de celle des titulaires d’un CAP ou d’un BEP (1 110 euros - NDLR) parmi les jeunes générations, accréditant l’idée d’un déclassement ou d’une dévalorisation du baccalauréat ». En effet, les chiffres sont formels sur ce point : « Les diplômés de l’enseignement supérieur ont des salaires nettement plus élevés que ceux du second degré. » Les revenus médians illustrent bien ce fait : 1 170 euros par mois après le bac, 1 380 euros après des études courtes, et 1 630 euros après des études longues.

Les emplois temporaires représentent également une part considérable de l’emploi des jeunes bacheliers, puisqu’ils concernent 34 % d’entre eux, pour 22 % après des études longues. Enfin, malgré des variations importantes selon le secteur d’activité, le chômage et la précarité touchent beaucoup plus fortement cette tranche de travailleurs, avec un taux de 15,5 % de chômeurs, et de 13 % de sous-emploi.

Depuis les années soixante-dix, le niveau d’éducation s’est considérablement élevé en France, peut-être l’une des causes de la perte de valeur du bac sur le marché du travail : « Il y a une trentaine d’années, on pouvait être cadre ou enseignant sans avoir son bac. Ce n’est plus possible aujourd’hui », explique Éric Charbonnier, expert des questions d’éducation à l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économique).

Le bac (dont le taux de réussite dépasse les 80 %) ne serait donc ni un gage de protection contre la précarité ni une fin en soi, mais simplement la clef ouvrant la porte de l’université qui, exception française, n’opère pas de sélection à l’entrée.

Marion Sevenier

2) "Le bac incarne la résistance aux phénomènes inégalitaires"

Education. Pour Christian Laval, sociologue de l’éducation, le baccalauréat revêt une forte dimension symbolique et reste l’un des derniers remparts au tout concurrentiel.

Fini, les révisions de dernière minute, l’angoisse de parents souvent plus tétanisés que leurs bambins… Aujourd’hui, les choses sérieuses commencent pour les quelque 622 322 candidats au baccalauréat 2009, ceux en tout cas qu’appelle ce matin l’épreuve de philosophie. Auteur de L’école n’est pas une entreprise. Le néolibéralisme à l’assaut de l’enseignement (Éditions La Découverte, 2004) et de la Nouvelle Raison du monde. Essai sur la société néolibérale (Éditions La Découverte, 2009), le sociologue Christian Laval explique pourquoi le bac, malgré de régulières remises en question, reste un passage obligé, un symbole fort, plébiscité par les Français.

Le bac est-il un simple outil de sélection ?

Christian Laval. Le bac représente bien plus. C’est un véritable monument avec une symbolique très forte. Il constitue, tout d’abord, un repère incontournable dans une institution comme l’école qui s’inscrit dans le temps avec des programmes, des lieux, des examens. Le bac incarne aussi la dimension nationale de l’éducation en renvoyant à une culture partagée par un grand nombre de jeunes. Je crois que l’attachement à cet examen, que l’on constate dans tous les sondages, vient précisément de ce besoin de repères symboliques.

Certains le comparent aussi à un rite de passage…

Christian Laval. Effectivement. Pour les garçons, le passage à l’âge adulte a longtemps été marqué par des événements comme le service militaire, qui n’existe plus, ou le mariage. À l’évidence, le bac possède encore cette dimension quasi anthropologique. Il revêt enfin une fonction sociale : il y a ceux qui ont le bac et ceux qui ne l’ont pas. Certes, aujourd’hui, les deux tiers d’une génération le décrochent. Mais, dans l’histoire, cet examen a marqué une véritable barrière. Avant-guerre, le sociologue Edmond Goblot a parfaitement montré que le bac était un passeport pour l’élite qui permettait ensuite d’accéder à des fonctions juridiques, médicales, etc. Alors, c’est vrai, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Mais cette idée de hiérarchie perdure tout de même. Notamment entre les bacs généraux, type S ou ES, et les bacs professionnels.

Le bac, tel qu’il existe aujourd’hui, est-il une spécificité française ?

Christian Laval. Tous les systèmes d’enseignement marquent, d’une manière ou d’une autre, la fin des études secondaires. Mais je crois que la portée symbolique est peut-être plus forte en France. Avec, par exemple, des épreuves à haute valeur culturelle comme la dissertation de philosophie. Dès demain (aujourd’hui - NDLR), on verra, d’ailleurs, proposés dans les journaux ces fameux sujets de philo, invitant les Français à réfléchir dessus et participant ainsi à une forme de reconnaissance et d’adhésion de la population à l’égard de son école.

La pertinence du bac, sous cette forme d’examen final, est pourtant sans cesse remise en cause. Comment analysez-vous cette tendance ?

Christian Laval. Le système éducatif est en train de se fragmenter, d’éclater avec le développement d’une ségrégation sociale, parfois même ethnique. Le recrutement dans les collèges et lycées favorise de moins en moins la mixité et les politiques de ces dernières années visent clairement à mettre en concurrence les établissements entre eux. Dans ce contexte, le baccalauréat a aujourd’hui une fonction nouvelle, celle d’incarner la résistance à ces phénomènes inégalitaires. Alors que tous les processus en cours visent à différencier les établissements, à particulariser les enseignements, le bac reste un examen national. Si on lui préfère un contrôle continu, c’est-à-dire une évaluation lycée par lycée, les diplômes auront alors des valeurs très différentes selon que lsoit à Henri-IV ou dans un lycée moins coté d’une zone rurale ou de banlieue. Le bac apparaît donc aujourd’hui comme la garantie que l’éducation est la même partout. C’est évidemment un peu un leurre car les conditions d’enseignement varient d’un établissement à l’autre. Le bac poursuit néanmoins cette idée d’un niveau général qui peut être atteint par tout le monde.

Entretien réalisé par Laurent Mouloud


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message