Révolte populaire au Pérou contre le pillage des ressources naturelles Massacre à la “Courbe du Diable”

mercredi 24 juin 2009.
 

Depuis plusieurs semaines, des violences secouent le district d’Amazonas, au Nord de l’Amazonie péruvienne. Le conflit oppose les « indigènes » — ainsi nomme-t-on les Amérindiens sur leurs propres terres — au Gouvernement social-démocrate dirigé par Alan Garcia. En toile de fond, l’autorisation accordée par ce dernier à des compagnies pétrolières d’exploiter les ressources de cette aire écologiquement sensible, au détriment des conditions de vie de la population et de l’environnement.

La violence avec laquelle la répression s’est abattue a surpris les militants les plus aguerris, lorsque le 6 Juin dernier, au lieu-dit la “Courbe du Diable”, la police a ouvert le feu sur une foule de quelque 5.000 manifestants indiens Awajun et Wambis qui, afin de protester contre l’exploitation du gaz et du pétrole que recèle leur sous-sol, occupaient pacifiquement une bretelle d’autoroute. Dans les villes voisines de Utcubamba et de Bagua Grande, les forces de l’ordre ont également mené des opérations véritablement militaires, tirant à balles réelles depuis les toits et faisant même usage d’hélicoptères de combat. Au cours des heurts qui ont suivi, les manifestants ont incendié plusieurs bâtiments publics, ainsi que les permanences locales de l’APRA (socialiste, membre de l’internationale socialiste), parti du président Alan Garcia. Alors que le décompte des victimes — neuf policiers tués contre plus de cinquante indigènes — fait apparaître sans équivoque l’écrasante responsabilité des forces de l’ordre, plusieurs membres du Gouvernement ont stigmatisé des violences « initiées par les manifestants ». Selon les officiels, la répression, « conforme à la Constitution », n’a constitué qu’une « riposte » à une attaque de la foule. « Les vraies victimes », assure-t-on du côté gouvernemental, sont « les policiers », qui auraient les premiers « essuyé des coups de feu ». Il est pourtant établi que les manifestants n’étaient armés que de lances traditionnelles. De plus, selon des sources humanitaires, les tirs de la police auraient atteint des enfants âgés de quatre ans. Les porte-parole des révoltés ont de leur côté accusé le président Alan Garcia de « génocide », et demandé le lancement d’une campagne de solidarité internationale.

La « loi de la jungle »

Les mouvements sociaux réclament avant tout l’abrogation des décrets pris en application du Traité de libre commerce (TLC) qui lie le Pérou aux USA. Surnommé « loi de la jungle » (ley de la selva), cet ensemble de textes permet à des intérêts privés de prendre possession directe des terres et des ressources qu’elles recèlent, ouvrant la porte à une occupation de type colonial de l’espace amazonien, dont le sous-sol riche en pétrole et en gaz et le bois précieux font l’objet d’intenses convoitises. Déjà, des concessions d’exploitation ont été accordées à des multinationales sur près de 70% de la forêt amazonienne, qui couvre plus de la moitié de la surface du pays. L’un des bénéficiaires de ces accords, le pétrolier franco-britannique Perenco, s’est récemment illustré en participant, aux côtés de l’armée péruvienne, à une attaque à la canonnière contre un barrage érigé par les Indiens sur le Napo, affluent de l’Amazone. Perenco entendait affirmer ainsi ses droits d’exploitation sur le domaine que lui ont attribué les autorités, baptisé « Lot 67 », où elle projette d’investir deux milliards de dollars. Derrière ce numéro d’immatriculation se trouve en réalité un écosystème fragile qui abrite deux peuples n’ayant jamais eu de contact avec le monde extérieur. L’irruption du personnel de Perenco pourrait être fatale à ces tribus qui, du fait de leur isolement, n’ont pas développé d’immunité aux maladies dont les arrivants pourraient être porteurs. Ciblée depuis plus d’un an par les ONG et les associations d’Indiens de l’Amazone, la société pratique un intense lobbying auprès du Gouvernement péruvien. Stratégie payante, puisqu’une loi élevant l’activité de Perenco au rang de « nécessité nationale » a été adoptée peu après la visite en avril du dirigeant de la société, le Français François Perrodo.

« La jungle n’est pas à vendre »

La rébellion prend place dans l’histoire longue des luttes des populations amazoniennes qui doivent depuis trois siècles résister à toutes sortes d’incursions agressives : hier celles des chercheurs d’or et des missionnaires, aujourd’hui celles des multinationales et des narco-trafiquants. Les « lois de la jungle » sont depuis une année déjà au centre d’un rapport de force entre le Président Garcia et l’AIDESEP, structure représentative qui rassemble plus de 65 peuples amérindiens. En août 2008, ces derniers semblaient avoir remporté un avantage décisif avec l’annulation d’une partie de la « loi de la Jungle ». Cette décision s’est heurtée à l’intransigeance de l’exécutif et à la pression des multinationales, déterminées à passer en force. Malgré la répression et les stratégies d’un gouvernement qui tente de diviser le mouvement en privilégiant certains groupes ethniques aux dépens des autres, le mouvement des Amérindiens, qui représentent plus de la moitié de la population, a pris une ampleur inégalée dans l’histoire péruvienne. La révolte des forêts s’étend désormais aux grandes villes et à la capitale, Lima. Celle-ci fut le 12 juin dernier le théâtre d’une grande manifestation où, scandant « la jungle n’est pas à vendre », étudiants et représentants de tribus ont convergé ensemble vers le Parlement, après que celui-ci ait déclaré en catastrophe la suspension de la « loi de la jungle ». Là encore, des brutalités policières ont mis fin à la manifestation. Comme de nombreux États d’Amérique latine et centrale, le Pérou semble connaître un renouveau des luttes sociales. Celles-ci ont la particularité, comme en Bolivie voisine, d’être marquées par l’aspiration des Amérindiens au respect de leur identité et à la maîtrise des ressources de leurs territoires. Cette révolte signale aussi, comme dans de nombreux endroits du monde, l’épuisement structurel d’une social-démocratie acquise aux intérêts économiques dominants et devenue l’ennemie des plus faibles.

Geoffroy Géraud


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