Le discours d’une majorité des organisations écologistes se limite à de l’environnementalisme et renvoie à une simple responsabilité individuelle sans aborder les questions de la responsabilité du capitalisme ( Aurélien Bernier, responsable national du MPEP)

dimanche 28 juin 2009.
 

« Le verdissement du capitalisme n’est que du discours », explique Aurélien Bernier, spécialiste des questions environnementales. S’appuyant sur l’exemple des « droits à polluer », il démontre comment le capitalisme s’est emparé de ces questions pour en faire un nouvel objet de spéculation.

HD. Est-ce que le marché des « droits à polluer » a permis de protéger l’environnement puisque c’était son but affiché ?

Aurélien Bernier. Absolument pas. En Europe, par exemple, le lobbying des entreprises a entraîné une surdistribution de quotas. Conséquence, le cours de la tonne de carbone s’est effondré de 30 euros à moins de 1 euro. Ensuite, ce marché ne couvre pas tous les pays de la planète. Ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil ne participent à cette Bourse au carbone. Donc, même si les quotas étaient rares donc chers, les entreprises peuvent continuer à implanter les industries polluantes dans ces pays à bas coûts de main d’œuvre. En réalité, ce système favorise les délocalisations et la désindustrialisation des pays occidentaux au nom de la protection de l’environnement. Cette solution du marché du carbone est la solution qu’ont trouvée les libéraux pour mettre en place de pseudo-mesures de protection de l’environnement sans ne rien toucher aux logiques libérales. Le résultat chiffré est clair : entre 1997 et 2007, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 35 %. Le protocole de Kyoto avait fixé un objectif de réduction de 5% d’ici à 2012.

C’est en particulier en Chine et en Inde que ces émissions explosent. Parce que leurs marchés se développent mais surtout en raison des délocalisations des industries polluantes produisant des biens qui sont ensuite exportés dans les pays occidentaux. Le transport rajoutant encore à la pollution. Au total, cela représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

HD. On pourrait objecter que c’est parce que ce marché n’est pas assez développé, pas assez mondialisé que cela ne marche pas.

A. B. Si les pays émergents comme la Chine ou l’Inde refusent toute contrainte environnementale ou sociale, c’est parce que dans le cadre du marché néolibéral, ils considèrent que ce sont des avantages comparatifs par rapport aux pays occidentaux. Étendre le marché du carbone ne sert pas à grand-chose car les contraintes dans ce cadre sont légères puisqu’elles dépendent des quotas. En réalité, cela ne servirait qu’à étendre un marché spéculatif du droit à polluer. Ils sont en train de reproduire quasiment à l’identique le système du marché du crédit immobilier qui nous a précipités dans la crise. Titrisation de produits à risques, création de produits financiers dérivés, tous les ingrédients sont là pour une prochaine crise, dont le déclencheur serait le marché du carbone. Un marché spéculatif est incontrôlable, instable, imprévisible, on ne peut pas réfléchir sur du long terme.

HD. Donc, pour vous, l’expression capitalisme vert n’a pas de sens ?

A. B. Cette expression a du sens : elle prouve que ce système capitaliste tente de tout récupérer, de tout intégrer à sa logique du profit. Le verdissement du capitalisme n’est que du discours qui n’a pas de sens dans les actes. La solution pour régler le problème des gaz à effet de serre serait de remettre en question le système du libre-échange. Notamment en mettant en place une taxe qui permette de réintroduire dans le prix des échanges les coûts sociaux et environnementaux.

C’est le moyen de casser cette spirale des délocalisations. Il faut sortir du système du libre-échange et créer un système d’échanges équitables dans lesquels les coûts sociaux et environnementaux sont intégrés. Ce marché des droits à polluer prouve qu’il faut répondre à la problématique environnementale en même temps qu’à la problématique sociale car les deux ont la même cause : le capitalisme. Malheureusement, le discours d’une majorité des organisations écologistes se limite à de l’environnementalisme et renvoie à une simple responsabilité individuelle sans aborder les questions de la responsabilité du capitalisme.

(Interview parue dans l’Humanité dimanche du 28 mai au 3 juin 2009)

(1) « Le climat, otage de la finance - ou comment le marché boursicote avec les « droits à polluer ». Éditions Mille et Une Nuits. 2008. Dernier ouvrage paru.- « Non au capitalisme vert », ouvrage collectif. Éditions Parangon. Aurélien Bernier est responsable national du Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP). Il a travaillé pendant dix ans pour l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).


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