Une société du fétichisme de l’image

lundi 29 juin 2009.
 

Le dernier ouvrage de William J. Mitchell interroge les manifestations innombrables de l’apparence et de l’illusion dans la relation sociale.

Iconologie. Image, textes, idéologie,

de W.J.T. Mitchell, Éditions Les Prairies ordinaires, 2009, 320 pages, 24 euros.

Une société caractérisée par la surabondance des images comme l’est la nôtre appelle une science et une philosophie de l’image (une « iconologie ») qui soient capables de reconnaître en même temps son unité et sa diversité, qui soient aussi capables de maintenir le cap critique sans pour autant tout niveler dans une mise en cause globale du « spectacle » ou du « simulacre » généralisé. Théoricien important des visual studies aux États-Unis, Mitchell élabore un discours sur les images qui voudrait refléter les ambiguïtés contemporaines. Empruntant aussi bien aux interprètes de l’histoire de l’art (Gombrich) qu’aux philosophes (Goodman) et aux sociologues, il propose un itinéraire sinueux qui chemine à travers de nombreuses conceptions de l’image pour conduire à une réflexion sur la pertinence de la critique de l’idéologie qui, aujourd’hui, ne peut pas ne pas être aussi une critique de la circulation des images et de la fascination par les images.

D’un côté, explique Mitchell, nous ne pouvons plus croire, à l’instar de beaucoup d’auteurs classiques, que l’image se trouve par essence du côté de la nature, de la représentation, de la ressemblance, de la similitude, pendant que, par exemple, l’expression langagière supposerait que nous soyons déjà installés dans le domaine de la convention et de l’artifice. En effet, comme nous l’ont appris les historiens de l’art tels que Panofsky, la représentation picturale s’effectue toujours selon un certain nombre de codes qu’il faut maîtriser pour fabriquer et comprendre une image. On n’est réaliste que sur la base de certaines décisions quant à ce qui est à prendre comme « réel ». Même une photographie n’est « fidèle » que sous un certain point de vue, et en fonction d’une certaine conception, historiquement variable, de ce qu’est la « fidélité ». En ce sens, Mitchell dit ne pas reculer devant les conséquences d’un relativisme et d’un conventionalisme décidés qui lui paraissent découler du postmodernisme : il faut renoncer à l’idée selon laquelle l’image constituerait une espèce très particulière de signes en raison de sa proximité avec ce qui compose effectivement le monde et la nature. Mais, de l’autre côté, on ne voit pas comment la critique pourrait complètement faire abstraction de l’inspiration iconoclaste. Marx lui-même ne comparait-il pas l’idéologie à une image déformée du réel ? N’insistait-il pas sur le fait que les sociétés capitalistes se caractérisaient par un « fétichisme de la marchandise », c’est- à-dire par une certaine façon dont les gens se laissent sidérer par un reflet ou une projection.

Pour résoudre cette difficulté, l’auteur fournit quelques indications un peu allusives mais précieuses. Pour critiquer la surabondance aliénante des images, explique-t-il en substance,

il ne faut pas rêver à un discours transparent ou à une représentation « vraie » qui rendrait superflue ces manifestations innombrables de l’illusion et de l’apparence qui, aujourd’hui, mobilisent à tout moment notre attention. Il faut plutôt jouer certaines images contre d’autres, apprendre à nous ménager, en nous immergeant intelligemment dans le flux des images, quelques voies praticables vers le monde et l’expérience, etc.

En ce sens, l’ouvrage de Mitchell peut être lu comme l’expression sophistiquée de la philosophie spontanée de celles et de ceux des enseignants, des journalistes et des artistes qui, au-delà de tout mépris de l’image, cherchent à nous faire saisir la manière dont son appropriation intelligente pourrait enrichir notre vie présente sans nous faire renoncer à changer la société.

Stéphane Haber, philosophe


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message