Les plombages dentaires mettent-ils en danger la vie des patients ?

dimanche 14 juillet 2019.
 

Source : Association des Journalistes de l’Information Sociale

Près de 40 millions de Français portent des amalgames dentaires. Aussi appelés plombages, ils servent à soigner les caries. Or, ils contiennent 50 % de mercure, un poison qui se répand dans l’organisme et peut provoquer de graves problèmes de santé. Pour cette raison, plusieurs pays européens ont interdit ces amalgames. Mais en France, le ministère de la Santé et la Sécurité sociale rejettent le principe de précaution, en assurant qu’il n’y a aucun danger. Enquête sur les dessous de cette décision sanitaire.

Fauteuils relaxants, musique douce et bouteille d’eau à portée de main. Une dizaine de personnes se reposent, perfusion au bras. Dans ce cabinet médical de Tienen, ville flamande à 40 km à l’est de Bruxelles, ces patients ne viennent pas pour donner leur sang ou leur plasma mais se faire soigner d’une intoxication aux métaux lourds.

Parmi eux, Sandrine G.*, une Calaisienne coquette et souriante. Il y a quelques années, cette dentiste de 43 ans souffrait le martyre. « Je ne pouvais plus porter un sac. J’annulais des rendez-vous professionnels au milieu de la journée. Je m’effondrais en pleurs, tellement mes muscles étaient tétanisés par la douleur. » La raison ? Une intoxication au mercure, diagnostiquée en 2008 par le laboratoire d’analyses médicales de Brême (Allemagne), que Sandrine G. attribue à ses amalgames dentaires. Les plombages contiennent en moyenne un gramme de mercure. Ils sont utilisés depuis 150 ans par les dentistes pour soigner les caries et près de 40 millions de Français en portent.

Or, le mercure s’échappe des amalgames sous forme de vapeurs et de poussières. « La moitié du métal est libérée dans l’organisme en raison de la mastication, du brossage de dents ou de la pose et dépose d’amalgames », explique Jean-Marie Danze, consultant belge en biophysique pour l’Association médicale allemande et auteur du livre Amalgames dentaires : un problème de santé publique. Et d’ajouter : « Ce mercure est absorbé par certains tissus comme les reins, le foie ou le cerveau, passe à 80 % dans le sang et est transmis au fœtus par le placenta. »

Selon Jean-Marie Danze, les effets du mercure sont aggravés par la présence d’autres métaux dans la bouche. Sous l’effet de la salive, ils produisent des micro-courants électriques pouvant toucher le système nerveux.

Résultat : troubles respiratoires, vomissements, douleurs articulaires, défaillance rénale, troubles de la concentration et de la coordination ou encore risques cancérogènes...

Depuis un an, Sandrine G. se rend une fois par mois à Tienen. On lui injecte du DMPS, un produit qui permet d’éliminer les métaux lourds de l’organisme. Si elle a retrouvé l’usage de ses membres, sa guérison lui a coûté près de 300 euros, non remboursés par la Sécurité sociale française.

Difficile de chiffrer le nombre de personnes intoxiquées. Selon Françoise Cambayrac, ancienne intoxiquée au mercure et auteure du livre Vérités sur les maladies émergentes qui dénonce les dangers des amalgames, 15 % de la population française serait concernée : « Ceux qui ne possèdent pas les gènes APOE 1 et APOE 2 permettant d’éliminer les métaux lourds ou qui ont tellement de mercure en bouche que leurs capacités naturelles d’élimination sont submergées. »

Caroline Bornert, qui s’est vue poser et déposer 25 plombages, a enduré les mêmes souffrances que Sandrine G.. Cette Alsacienne de 60 ans, déclarée invalide six années durant, a assigné au civil son ancien dentiste. Et depuis 2005, elle s’est constituée partie civile dans une instruction au tribunal de grande instance de Paris, ouverte pour « mise en danger de la personne d’autrui relative à la pollution mercurielle de l’environnement par les cabinets dentaires ».

Des études qui dérangent

L’affaire pourrait déboucher sur un procès et trancher un débat qui enflamme le monde scientifique depuis plus de 30 ans. Dans les années 1970, Jean-Jacques Melet, un médecin épidémiologiste de Montpellier, tire la sonnette d’alarme. Après l’examen d’un millier de patients possédant des amalgames dentaires, il met en évidence une intoxication chronique aux métaux lourds chez certains d’entre eux. En 1998, il fonde l’association « Non au mercure dentaire », regroupant près de 300 adhérents, qui milite pour l’interdiction des amalgames.

En 1996, l’université allemande de Tübingen analyse la salive de 20 000 personnes porteuses de neuf amalgames en moyenne. Environ 30 % des personnes absorbent deux fois plus de mercure par jour que la valeur permise par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), de 21 microgrammes par litre de sang. Une relation est par ailleurs établie entre la libération de mercure et l’apparition de symptômes au niveau de la bouche, de l’estomac et du système nerveux.

En 1995, 1 500 victimes gagnent un procès en Allemagne contre plusieurs fabricants d’amalgames. Trois ans plus tard, la Suède dérembourse les plombages et en 2008 la Norvège et le Danemark les interdisent. La même année, la Food and Drug Administration (FDA) américaine reconnaît la toxicité du mercure « sur le système nerveux des enfants en croissance et les fœtus ». En 2007, le ministre luxembourgeois de la Santé soutient l’Appel du Luxembourg pour l’interdiction des amalgames dentaires, lancé par l’ONG locale Akut.

En France, le Dr Melet prêche dans le désert. Rayé de l’Ordre, il se suicidera en 2005. La même année, l’Afssaps conclut à la non dangerosité du mercure dans les amalgames dentaires. « Les doses de mercure identifiées sont très en deçà de celles pouvant entraîner des effets toxiques », affirme l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, estimant que « le retrait systématique des amalgames ne se justifie pas ». Des conclusions confirmées par un rapport du Scénihr en 2008. Ce comité scientifique chargé par Bruxelles d’évaluer les risques sanitaires émergents déclare en janvier 2008 que « l’amalgame est parfaitement sain et sans danger ».

Le rapport de l’Afssaps recommande toutefois « d’éviter de placer des amalgames dentaires au voisinage direct d’autres alliages de métaux ». Et préconise « d’éviter ces actes chez la femme enceinte ou allaitante ». L’agence reconnaît donc bien l’existence d’un risque, sans pour autant appliquer le principe de précaution. « Effectivement, il y a des patients qui ont des allergies, mais les autres n’ont rien », estime Michel Goldberg, odontologiste - spécialiste des dents - qui a participé au rapport de l’Afssaps. Et de s’emporter : « Ce n’est pas parce que l’on déplore l’existence de culs-de-jatte qu’il faut interdire à tout le monde l’usage de la bicyclette ! »

En juin et novembre 2008, la députée UMP de la Moselle Marie-Jo Zimmermann demande à la ministre de la Santé Roselyne Bachelot d’interdire l’amalgame chez la femme enceinte et l’enfant. Sans succès. Le ministère reprend en effet les conclusions du rapport de l’Afssaps. Selon Paul Karsenty, expert à la direction générale de la santé, les pouvoirs publics ne font que suivre les avis des experts qui « affirment de manière unanime que les amalgames ne sont pas dangereux ».

Qu’en est-il de toutes les études qui prouvent le contraire ? Jean Huss, président de l’Akut et parlementaire luxembourgeois, est formel. Si l’Afssaps a conclu à l’inocuité des amalgames c’est parce que toutes les études montrant l’existence d’un risque ont été écartées. Michel Goldberg, l’expert de l’Afssaps, l’avoue : « Les rapports présentant des biais dans la méthodologie d’analyse n’ont pas été lus. » A la question de savoir quels sont les "bons" critères d’analyse, il répond sans hésiter : « Ceux que nous avons définis au sein du groupe de travail. La salive n’en fait pas partie, par exemple. Il faut faire une prise de sang ou d’urine. »

Au-delà de la bibliographie sélective, Jean Huss met en cause le choix des experts. « Aucun épidémiologiste ou toxicochimiste indépendant n’a travaillé sur le rapport du Scénihr », déplore le député. Même constat pour le groupe de travail de l’Afssaps, dont les 14 experts sont des dentistes connus pour leurs prises de position en faveur des amalgames dentaires.

Intérêts économiques

Qui a donc intérêt à maintenir l’usage des amalgames au mercure ? Les fabricants d’amalgames sont régulièrement montrés du doigt. Or, ils ne produisent pas seulement des plombages mais aussi d’autres matériaux de restauration, comme les composites dentaires, qui ne contiennent pas de mercure. Des produits complexes qu’ils vendent plus chers aux dentistes. Ils n’ont donc pas intérêt à maintenir les plombages.

Pour Jean-Louis Masson, sénateur divers droite de la Moselle et auteur d’une question parlementaire sur les amalgames, les principaux intéressés dans cette « affaire de gros sous » sont à rechercher du côté des dentistes : « L’ordre des dentistes fait pression sur le gouvernement pour continuer à poser des amalgames, qui sont plus rentables. »

Accusation à laquelle Roland Rémy, président de l’Ordre des chirurgiens dentistes du Nord, rétorque : « On n’y a aucun intérêt. Qu’on nous propose de mettre des amalgames ou des composites, c’est exactement le même coût de revient. » Faux. L’amalgame au mercure est plus facile et plus rapide à poser. Les dentistes ont donc intérêt à l’utiliser, comme en témoigne Sandrine G. : « Le soin à l’amalgame coûte beaucoup moins cher que le soin au composite. Depuis que je ne pose plus d’amalgames, je fais une croix sur 10 000 euros de revenus par an. »

Les amalgames seraient-ils plus économiques pour les caisses de la Sécurité sociale ? Plus résistants, ils doivent être changés trois fois moins souvent que les composites. Donc trois fois moins d’actes à rembourser. « C’est un produit qui n’est pas cher et qui présente des qualités de longévité. Pour la Sécu, c’est un impact économique extraordinaire », assure le chercheur sur les biomatériaux Harmurt-Frederic Hildebrand, qui a participé aux débats de l’Afssaps. La Sécurité sociale, elle, dément.

Un intérêt économique mais aussi un intérêt politique. Difficile pour le gouvernement de reconnaître le danger de l’amalgame au mercure après des années d’utilisation. Pour Harmurt-Frederic Hildebrand, l’Etat veut éviter « une hystérie nationale ». Et Jean-Marie Danze, le consultant belge, de conclure : « Si l’on interdit les amalgames, il y aura d’énormes procès, bien plus que pour l’amiante. L’Etat n’a pas envie de débourser de l’argent à cause d’erreurs passées devenues inavouables. »

* Les noms ont été changés.

Pauline Froissart Audrey Garric Marine Pennetier (Ecole supérieure de journalisme de Lille)

Suite à l’attribution du Prix de l’Information Sociale 2009, cette enquête a été publiée, dans une version rallongée, par le site d’information Mediapart, le 30 juin 2009.


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