Contre le chômage de masse (5 millions de chômeurs réels en décembre 2009 ?) L’incontournable réduction du temps de travail

mardi 7 juin 2016.
 

Au rythme actuel, nous allons tout droit vers un million de chômeurs supplémentaires à la fin de l’année. Un million de chômeurs supplémentaires selon le chiffre officiel (la catégorie 1 de l’INSEE). Et donc vers un total véritable de plus de 5 millions de chômeurs. Car ce qu’occulte ce chiffre officiel, ce sont les chômeurs découragés qui ne sont même plus inscrit à l’ANPE mais aussi les travailleurs qui ne bénéficient que d’emplois « en pointillé » (CDD, intérim, contrats aidés, contrats saisonniers…) ou d’emplois à temps partiels. Ces deux dernières catégories représentent à elles seules (chiffres de Denis Clerc - CAES magazine n° 90) 80% des travailleurs pauvres (dont le revenu est inférieur à 880 euros par mois pour une personne seule), soit 1,6 million de salariés. Et, comme le remarque avec force Denis Clerc, ces emplois ne sont pas le fruit du hasard puisqu’ils correspondent aux politiques patronales mais aussi aux politiques gouvernementales qui subventionnent ces types d’emplois.

Il n’est plus possible, en effet, comme dans les années 1980 ou même 1990 de ne pas considérer comme demandeurs d’emplois (d’emplois à temps plein et à salaire décent) ces centaines de milliers de salariés précaires. Ils remplissent d’ailleurs la même fonction que les chômeurs de la catégorie 1 de l’INSEE pour le capital, celui d’une armée de réserve qui pèse sur les salaires et les conditions de travail. Et c’est pour cela que le patronat, comme le gouvernement, malgré toutes leurs déclarations réitérées, la main sur le coeur, de vouloir lutter contre le chômage et la précarité, y tiennent, en réalité, comme à la prunelle de leurs yeux.

Une pandémie de paresse

Pour expliquer le chômage, la droite n’a, sur le fond, qu’une seule explication : les chômeurs sont des fainéants. Tant qu’ils ne sont pas obligés de travailler, ils ne travaillent pas. C’est pourquoi, il faut baisser au maximum les allocations chômage, pourtant conçues, dans notre pays, comme une assurance collective contre le chômage, contrepartie du « droit au travail » inscrit dans le préambule de la Constitution.

Comment peuvent-ils expliquer, dans ce cas, qu’avec des montants d’allocations différents le chômage augmente dans tous les pays de l’Union européenne sans qu’il y ait la moindre relation entre cette augmentation et le montant des allocations versées dans chacun des pays ?

Comment expliquer, autrement que par une pandémie de paresse, l’arrivée de ce million de chômeurs supplémentaires dans notre pays en 2009 ?

La droite a une autre explication en réserve : la flexibilité du travail. Plus le travail est flexible, précaire, moins il y a de chômeurs. Cela ne reposait déjà sur aucun constat sérieux avant la crise. Avec l’arrivée et l’extension de la crise, c’est bien pire : plus les contrats de travail sont précaires (il suffit de constater le sort réservé en France aux intérimaires et aux CDD), plus les salariés vont rapidement rejoindre les rangs des chômeurs.

Oui, mais nous disent les libéraux : demain, lors de la reprise, ils seront les premiers à être réembauchés… Demain ? Les derniers seront les premiers, comme au Paradis ? Un autre argument des néolibéraux pour expliquer le chômage, c’est l’inadéquation de l’offre de travail à la demande de travail. Le fossé qui existe entre les deux ne pourrait être comblé que par la formation (professionnelle, scolaire et universitaire). Cet argument n’est que poudre aux yeux. Il a, en fait, une double fonction. La première est de libérer le patronat d’une bonne partie du coût de la formation professionnelle. La deuxième est de faire croire que les emplois existent mais que s’il y a des chômeurs, c’est dû (outre la paresse et les allocations) à l’inadéquation de la demande, à la formation inadaptée des demandeurs d’emplois. Au cours des années 1970, avant l’arrivée du chômage de masse, les salariés qui arrivaient sur le marché du travail n’étaient pas plus (plutôt moins d’ailleurs) adaptés aux emplois qu’ils auraient à occuper. Mais, à ce moment-là, le patronat prenait en charge, dans l’entreprise, l’adaptation des salariés à leurs postes de travail. Aujourd’hui, profitant, du chômage de masse, le patronat n’accepte plus de financer ces dépenses. Il veut, d’emblée, des salariés expérimentés (ce qui explique en partie le chômage des jeunes) et immédiatement opérationnels. Il a réussi à transférer l’essentiel des coûts de formation sur les salariés (ou futur salariés) ou sur la société (école, université).

La formation ne crée pas d’emplois

Quant aux emplois, censés exister et être destinés à tous les chômeurs sous réserve qu’ils se forment, ils n’ont qu’une très mince réalité.

La propagande régulière du patronat et du gouvernement sur les dizaines de milliers d’emplois qui ne trouveraient pas preneurs, repose sur des approximations grossières : des « sondages » auprès de chefs d’entreprises, des emplois dont la nature et la durée (les missions d’intérim avaient une durée moyenne inférieure à une semaine avant la crise) ne sont jamais précisées.

La réalité est qu’il n’y a pas suffisamment d’emplois, loin de là, pour la population en âge de travailler. En prenant au pied de la lettre les chiffres du patronat et du gouvernement, concernant les offres d’emplois non satisfaites, il resterait toujours plus de 2 millions de chômeurs. Des formations qui permettraient de répondre au plus près aux besoins des postes de travail réellement offerts ne diminueraient que de quelques dizaines de milliers le nombre des chômeurs. Pour les autres bénéficiaires, elles ne feraient que changer leur place dans la file d’attente pour l’emploi.

L’expression rebattue de « mettre le pied à l’étrier de l’emploi » est, le plus souvent, une supercherie, car derrière l’étrier, il n’y a pas de cheval.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’une formation professionnelle (tout au long de la vie) ne soit pas nécessaire. Mais il ne faut pas confondre les problèmes, celui de l’accès à l’emploi et celui de l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois. Il ne faut pas non plus confondre ce qui est du ressort de l’école et de l’université et ce qui doit être à la charge des entreprises.

La croissance ne suffira pas à retrouver le plein emploi

Mais, nous affirme les néolibéraux, avec la croissance, tout s’arrangera et nous vaincrons le chômage.

Il est, tout d’abord, possible de se demander quand la croissance renouera avec ses taux, pourtant modeste, des dernières années. Le Japon, après la crise immobilière qui l’avait frappé au début des années 1990, avait attendu plus de 10 ans pour renouer (timidement) avec la croissance.

Faudra-t-il attendre 10 ans avec 5 millions de chômeurs pour que les « mécanismes du marché » permettent de faire reculer le chômage de masse ?

En quoi, ensuite, ces « mécanismes du marché » permettront- ils d’en finir avec le chômage de masse ? Ce n’est pas exactement la direction que prenait l’économie française avant la crise. Malgré une démographie favorable (le départ à la retraite du « Papy-boom »), le chiffre officiel ne reculait que très lentement alors que le chiffre des « nouveaux chômeurs » les salariés à temps partiel ou « en pointillé » connaissait une croissance robuste et continue.

Enfin, la croissance n’est pas suffisante, à elle seule, pour créer des emplois.

C’est ce qu’indiquent très clairement les travaux de Michel Husson (« Emploi et niveau de vie » Fondation Copernic). Selon ces travaux, en fonction des fluctuations cycliques, le nombre de chômeurs peut varier de façon importante mais, à long terme, sans réduction du temps de travail, le chômage de masse ne pourra que perdurer. Michel Husson constate, en effet, que « Pour une durée du travail donnée, la croissance ne crée des emplois qui si elle est supérieure à la progression de la productivité. Et on constate justement que la productivité a augmenté à un rythme supérieur à celui du PIB : elle a été multipliée par 15,6 entre 1896 et 2004, et le PIB seulement par 10,9. S’il n’y avait eu aucune réduction du travail sur l’ensemble du siècle, l’emploi aurait considérablement baissé, de l’ordre de 30% ».

L’économiste Jean-Marie Harribey (Politis n° 910) souligne également : « En France, du début du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, la productivité horaire du travail a été multipliée par 30 environ, la production par 26 et le temps de travail a été divisé par deux. Résultat : l’emploi a été multiplié par 1,75 » et il précise : « Sur les deux derniers siècles, en France, si la durée du travail n’avait pas été divisée par 2 avec l’augmentation de la population qu’on a connue […], l’emploi aurait baissé de 13 % et on aurait 14 millions de chômeurs ».

Ce qui se passe, en effet, c’est que l’augmentation de la production est, sur le long terme, compensée par l’augmentation de la productivité du travail (augmentation de la production par heure de travail). C’est pourquoi, si la croissance est nécessaire, la réduction du temps de travail est indispensable pour extirper le chômage de masse.

Pourquoi le Parti socialiste ne s’appuie-t-il pas, aujourd’hui, sur les 400 000 emplois supplémentaires que les lois sur les 35 heures, malgré toutes leurs limites et toutes leurs concessions au Medef, avaient permis de créer ? Pourquoi ne s’appuie- t-il pas sur le fait qu’à ce moment-là, pour la première fois depuis plus de 20 ans, l’espoir d’en finir avec le chômage de masse était vraiment devenu crédible ?

Pour renouer avec le plein emploi, il faudra donc renouer avec la croissance et pour cela adopter des politiques diamétralement opposées à celles des néolibéraux qui nous gouvernent mais aussi réduire sévèrement le temps de travail, sans diminution de salaire. D’abord, en imposant des vraies 35 heures, dans toutes les entreprises, avec embauches proportionnelles et fixation de maxima journalier et hebdomadaire.

En allant ensuite, vers les 32 heures pour partager le travail existant entre tous ceux qui veulent travailler. C’està- dire en refusant le partage actuel du temps de travail : surtravail d’un côté et sous-travail ou chômage de l’autre.

C’est un choix de société que le Parti socialiste doit, de nouveau, affirmer avec force. Ce choix de société nécessite une autre répartition des richesses et la volonté que les gains de productivité réalisés chaque année ne servent plus à gonfler les profits mais soient répartis autrement en augmentant les salaires (directs et indirects) et en réduisant le temps de travail.

Jean-Jacques Chavigné


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