Quelle organisation mais pour quelle révolution ? (par Pierre Zarka, FASE)

jeudi 9 juillet 2009.
 

1.

Il n’y a pas de conception d’organisation qui ne découle pas d’une conception de la politique.

L’héritage révolutionnaire repose sur des principes où l’organisation se substitue aux intéressés et à ce titre considère tout ce qui ne vient pas d’elle comme un obstacle au processus révolutionnaire. Point commun à Robespierre, Babeuf, Lénine et aux tentatives ultérieures. Au-delà des méfaits si caractéristiques du stalinisme, il n’y a pas d’un côté, ce qui serait aisément discerné comme démoniaque et de l’autre des processus qui ont fait leur preuves quant à leurs capacités de politisation. La difficulté réside dans le fait que les mêmes éléments ont par le passé porté des fruits réels mais étant fondés sur des rapports de dépossession se trouvent actuellement en porte à faux avec les aspirations des individus à assurer leur autonomisation.

Il faut bien s’interroger sur les raisons qui font que depuis 1789, aucune révolution n’ait durablement réussie. Nombre d’analyses portent en fait sur ce qui est déjà des conséquences et non sur les racines du problème. La Révolution française avait pour fondement qu’une classe de dominants et de possédants prenne la place d’une autre et depuis la Commune de Paris, la question posée est l’émancipation de chaque individu de toute forme d’exploitation et de domination. En s’inspirant des formes issues du XVIII° siècle, puis en rejetant la violence, révolution et course au pouvoir institutionnel sont souvent confondues.

La course effrénée aux logiques institutionnelles sans qu’elle ne corresponde à une réalité du mouvement populaire est non seulement vaine mais un piège. En moins de quarante ans, nous avons battu la droite à trois reprises et on ne peut pas dire que cela a été le point de départ d’une dynamique. Les lois « Auroux » en 1982 (qui seulement s’en souvient ?) sur les droits des travailleurs sont restées lettres mortes ; les 35H en 98 n’ont débouché que sur très peu de créations d’emplois ce qui rend l’acquis vulnérable. Et pourtant, ce sont là des promesses (pour une fois) tenues. Cela dit l’inefficacité d’une surévaluation du travail législatif au regard du mouvement populaire. D’où la nécessité de tirer la gauche vers un autre univers mental.

Je n’ignore pas pour autant la question des pouvoirs institutionnels et de la nécessité de les investir, mais la question est par quel angle les aborder. Pour moi, il ne s’agit pas simplement de les démocratiser, une fois au pouvoir, je crois le pouvoir trop corrupteur pour cela. Mais de créer les conditions que les dominés et exploités les investissent pour les subvertir et à ce titre, autant elles peuvent être un point d’appuie, autant je doute fort qu’une révolution puisse émerger à partir de la vie institutionnelle. La moindre conquête sociale et démocratique du XX° siècle a été arrachée lors d’interruptions de la normalité institutionnelle. Pour aller vite, disons que l’émancipation ne peut découler d’un processus qui ne serait pas en lui-même déjà émancipateur. C’est d’ailleurs l’immense apport théorique du mouvement d’émancipation féminine.

Cela implique une lutte permanente contre tout phénomène de subordination et de dépossession. Le contraire de la délégation de pouvoir n’est pas l’informel, il est dans la recherche de modes qui établissent des rapports plus contraignants pour les mandataires. Mais en aucun cas, ces derniers ne devraient avoir de fait, davantage de pouvoirs que les « mandateurs ».

2.

Que veut dire Révolution démocratique ?

Simplement qu’on ne décapitera personne ou qu’on n’enverra personne au goulag ? Ou cela ne pose-t-il pas la question de qui est le sujet de la transformation révolutionnaire. Est-ce le parti ? Ou est-ce ce que ce sont les dominés et exploités à travers les mouvements qu’ils provoquent ?

Ce ne peut qu’être d’abord de permettre aux individus de sortir du rôle de muets auquel la société les assigne et de les mettre en situation de surgir, d’intervenir là où on ne les attend pas. Il y avait de cela dans ce que l’on appelle « les émeutes de banlieues » en 2005 ou lors du référendum du TCE ou du mouvement contre le CPE. Pour celles et ceux qui avaient 18 ans en 68, ils se souviennent peut-être de l’effet sur nous de cette femme noire qui aux USA, décide de prendre place dans un bus réservé aux blancs ou de ce jeune noir en Alabama qui veut entrer dans une université réservée aux blancs. Ne pas être à la place où la société nous assigne. Chacun de ces exemples sont passés par un conflit nettement énoncé. Si on revient aux exemples donnés de tentatives d’ordre autogestionnaires actuelles luttant contre des menaces de délocalisation, l’engagement passe par une diffraction ou une dualité d’identité : les ouvriers ne cessent pas d’être des ouvriers mais ils deviennent en même temps AUSSI des gestionnaires.

A mon sens aujourd’hui, l’assignation première quant à la structure de la société est d’être mis à l’écart de tout pouvoir sur soi. Je trouve très significatif de n’avoir qu’un vocabulaire d’ordre sociologique et victimaire pour désigner les dominés et exploités. Nous n’avons pas de réel vocable politique pour les définir. C’est dans ce cadre que personnellement j’aborde la question de la propriété. L’axe d’un processus révolutionnaire me semblé devoir être située sur cette question. Et la difficulté que connaissent les mouvements sociaux aujourd’hui, tient à mon avis, à ce que les enjeux se sont déplacés : hier, c’était la répartition des fruits du travail ; aujourd’hui si on prend l’exemple des délocalisations ou des disparitions de productions, ou encore la question des retraites, c’est que ceux qui luttent se donnent le pouvoir d’organiser la société. Je souligne « pouvoir » et « se donnent ». Et ce qui nous interpelle est que cette problématique est ce qui éloigne des formes dominantes de la politique et de l’organisation.

La révolution n’est ni un état ni un programme, c’est ouvrir les vannes à l’intempestif, au surgissement du mouvement, à une tension permanente à travers laquelle la confrontation incessante porte sur le sens qu’ils prennent. La Révolution, c’est accepter de projeter une visée cohérente dans l’inconnu des actes collectifs, c’est alors accepter que le manque ne soit pas trop vite comblé. Or nous avons souvent trop peur du vide.

Cela ne veut pas dire que nous, nous ne nous tendons pas vers un horizon. Dans un cadre où l’affrontement premier, celui qui assure la cohérence de la domination est d’ordre idéologique, arracher ce pouvoir sur notre propre sort me semble reposer d’abord sur l’édification progressive d’un cadre conceptuel nouveau qui permette de s’affranchir du prisme idéologique du capitalisme. La production de connaissance est constitutive d’un processus émancipateur. Et là réside notre responsabilité première.

3.

Quelques principes de fonctionnement qui découlent de ces considérants : Il faut donc imaginer une conception de l’organisation collective qui non seulement ne contrarie pas la prise de responsabilités et la diffraction d’identité qu’implique tout processus d’émancipation mais le favorise. Tant que l’organisation n’est pas un outil d’individuation, c’est-à-dire d’affirmation de soi par la socialisation, elle absorbe au détriment des intéressés les caractéristiques de l’action politique. Elle les mets en extériorité au regard de l’exercice réel de créativité et de ce fait institutionnalise l’idéal commun. Pour être organisation collective des différents Moi transformés alors en NOUS, elle doit aider à mettre chacun( e) en relation avec ses alter egos à travers l’échange d’expériences, d’idées, de propositions en créant les conditions d’une égalité devant la connaissance et la décision. Aucune logique cohérente de pensée (ou de pratiques) ne peut prétendre à elle seule faire le tour du réel et des approches existantes dans la société, fédérer ces dernières, sans les aplanir artificiellement, est la condition de la participation active la plus large à l’organisation collective. On fait du commun avec du différents, sinon cela veut dire que le commun est déjà fait. A cette fin, je relèverai ici trois pistes à explorer qui me semblent fondamentales.

1.

Le caractère inachevé et mobile de la structure : par définition, au-delà de forces dont les engagements néolibéraux sont clairs, on ne peut dire à l’avance qui se fédèrera ou qui n’en sera pas. On n’adhère pas à une fédération comme on adhère à un parti fondé sur des rapports hétéronomes, une structure fédérative ne peut que revendiquer son caractère d’inachèvement, composite et n’écrasant pas la diversité des identités. Cela suppose un état de tension permanent pour intégrer de « nouveaux » participants et qu’hormis une incompatibilité criante, personne ne s’arroge le pouvoir de trier parmi les prétendants. Cela suppose aussi de considérer que la reconnaissance par les plus larges couches de l’opinion de l’originalité du caractère fédérant des logiques différentes est en soi un objectif politique à atteindre. 2.

De l’art du désaccord et de la cohérence de visibilité : la tradition veut que l’on soit identique pour être ensemble et divisés si l’on est différents. C’est le signe d’une concurrence face à la conquête du pouvoir. Cela interdit toute construction durable : le moindre désaccord fait tout exploser. Etre ensemble parce que (et non malgré) différents. Quelle identité politique ou sociale peut prétendre détenir à elle seule les clés de la révolution dont nous parlons ? Dès lors, la perméabilité critique à l’égard des autres pensées est un moteur indispensable, et même d’avantage, le désaccord doit d’abord être pris comme signalant un problème non résolu. Cela ne conduit ni à faire « de l’eau tiède » ni à donner raison à la moindre idée émise, mais à considérer que l’effort qui consiste à chercher à dépasser le désaccord en se dépassant soi-même est indispensable. D’autant qu’il est possible que n’existe pas seulement une bonne réponse par question.

Cela n’empêche pas de rendre lisible des prises de positions. Mais dans la mesure où nous souhaitons l’intervention créatrice du plus grand nombre d’individus, la prise de position ne peut être livrée comme un produit qui serait né du néant ; les débats qui y conduisent doivent faire partie de cette lisibilité. Le consensus est ce qui conduit à ne pas prendre de décision par un vote excluant mais à toujours rechercher ce qui permet d’être ensemble. Quant aux désaccords persistants, ils conduisent à penser que la réponse choisie mérite d’être revérifiée à la lumière de la pratique et de réflexions ultérieures. Et une prise de décision ne doit pas empêcher la poursuite d’expérimentations différentes pourvu que l’on se mette d’accord (toujours publiquement) sur les moyens d’harmoniser ce qui conduit à des postures différentes. Il n’y a de politique transformatrice qu’en construction.

Direction ou mutualisation ? La notion d’organisation renvoie alors davantage à la fusion de l’individuel et du collectif qu’à la constitution d’une institution qui met les individus concernés en extériorité de la capacité de production. De passer du stade de dominés et d’exploités à celui de force politique implique de mutualiser les expériences, idées, convictions et prises d’initiatives. La créativité nécessaire ne vient pas toujours des appareils constitués et toute l’histoire a montré que la pente qui menait du pouvoir de représentation au pouvoir accaparé était rapide. Les notions de mises en cohérences, de coordination n’empêche nullement la prise d’initiative devant l’évènement si le socle idéologique bâti en commun est suffisamment solide.

Il faut se débarrasser de la tentation de vouloir lisser la vie démocratique. Il y aura toujours une tension entre ce que l’on voudrait et ce qui est. Mais il est nécessaire que cette tension soit toujours présente à nos yeux. Il ne s’agit pas d’ignorer le besoin que des tâches soient couvertes. Au contraire. Animateurs, responsables aux fonctions et aux mandats bien précisés, portes- parole aux fonctions limitées sont à inventer. Et ce, en permanence. La rotation des cadres en est un élément mais seulement un élément : on ne peut pas dire que la limitation à deux mandats du président des USA ait fait de ce pays un modèle de démocratie. La question à creuser est bien plutôt dans le caractère collectif du travail d’élaboration, de définition des besoins et des moyens (j’ai tendance à préférer le mot travail au mot débat), la manière dont nous nous servons des moyens de communications et de la confrontation entre modes de penser y compris collectifs et structurés-je veux dire issus d’organisations- pour être en état de corriger ensemble des trajectoires ; ce n’est plus tout à fait de la représentation.


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