1) Le contexte
2) Conférence de Zimmerwald : Conditions de réunion
3) Conférence de Zimmerwald : les présents
4) Conférence de Zimmerwald : le contenu du Manifeste
5) MANIFESTE DE ZIMMERWALD
6) Déclaration commune aux socialistes et syndicalistes français et allemands
7) Adresse de sympathie de la Conférence socialiste internationale
8) Compte rendu de ses travaux par la conférence
9) Les délégations à la conférence de Zimmerwald
10) Lettre de Karl Liebknecht à la Conférence de Zimmerwald
11) Zimmerwald vu d’un bourg rural français
12) Il y a cent ans : la conférence de Zimmerwald (par le groupe Révolution)
13) Sitographie
14) Zimmerwald (chant de lutte)
De 1900 à 1914, la 2ème Internationale comprend le risque de guerre qui pèse sur l’Europe en raison des intérêts capitalistes et nationalistes divergents. Elle prévoit l’hécatombe que cela va entraîner vu la puissance des nouveaux armements. Congrès après congrès, elle appelle à la vigilance contre le risque de guerre généré par la concurrence capitaliste et par la course aux armements. Pays par pays, de discours en discours, de quotidien en quotidien, ses partis dénoncent les rodomontades des politiciens qui cherchent à faire oublier les aspirations sociales derrière le communautarisme nationaliste. Quiconque prend le temps de lire les journaux et les textes de la Section Française de l’Internationale Ouvrière peut constater qu’il s’agit d’un combat civilisationnel et pacifiste, de la part d’humanistes patriotes qui préfèrent la négociation à la guerre, qui luttent contre la loi des trois ans de service militaire (typique de la course aux moyens militaires) mais argumentent l’utilité qu’aurait une armée de masse (voir Jaurès : L’armée nouvelle).
Reste pour eux un problème : et si la guerre éclate tout de même, que faisons-nous ? L’avertissement donné par l’Internationale aux fauteurs de guerre est le suivant : dans chaque pays, nous retournerons les fusils contre son propre gouvernement. En fait, il s’agit plus d’une intimidation, d’une sommation que d’une perspective concrète puisque aucun parti n’entreprend la constitution de réseaux dans l’armée pour sa mise en pratique.
Jaurès est le principal porte parole de cette compréhension civilisée de ce que devraient être les rapports entre Etats et entre peuples : "« Nous n’irons pas à la guerre contre nos frères, nous ne tirerons pas sur eux ; et si les choses en arrivent à une conflagration, ce sera la guerre sur un autre front, ce sera la révolution. » (1912)
Le manifeste de la CGT rendu public le 26 février 1913 affirme une opposition très ferme à la logique de guerre et au service militaire obligatoire de 3 ans.
Non à la guerre (Manifeste CGT 26 février 1913)
En août 1914, cette orientation s’évapore. Tout le mouvement ouvrier et socialiste européen s’engage dans la guerre.
Août 1914 : La trahison militariste et nationaliste de la 2ème Internationale
Parmi les partis des pays en guerre, restent fidèles à l’orientation maintes fois réaffirmée de l’Internationale :
* le Parti social-démocrate de Russie (parti bolchévik) et quelques petits groupes russes dont celui de Trotsky
* le Parti Socialiste italien
* de petites minorités des autres organisations en particulier de la gauche du Parti Social-démocrate allemand
Finalement, la guerre éclate en août 1914 :
Causes de la Première Guerre Mondiale : capitalisme, nationalisme et responsabilité des Etats
Le 5 septembre 1915, 38 militants socialistes européens franchissent la porte de la pension Indermühle à Zimmerwald (arrondissement de Berne Mitteland en Suisse). Pour essayer de passer inaperçus, ils se présentent comme des ornithologues (spécialistes des oiseaux). Ils viennent de 11 pays différents (Suisse, Italie, Russie, Allemagne, France, Pays Bas, Pologne, Suède, Norvège, Bulgarie, Roumanie, Pologne).
Cette conférence est le résultat de deux processus commencés dès le début de la première guerre mondiale :
* d’une part l’activité de partis socialistes de pays neutres (Italie, Suisse, Danemark, Pays Bas, Suède, Norvège) en faveur de la paix par un arbitrage international. Ont relevé de cette démarche la réunion de Lugano (27 septembre 1914), la Conférence de Copenhague (17 et 18 janvier 1915), la Conférence des femmes socialistes à Berne du 25 au 27 mars 1915 (Russes, Allemandes, Anglaises, Suisses, Polonaises, Italiennes, Française, Hollandaise), la réunion internationale des Jeunes Socialistes.
* d’autre part l’action des bolchéviks pour transformer la guerre impérialiste en révolution socialiste.
Les ressortissants de l’Empire russe sont nombreux, qu’ils soient bolchévik (Lénine), indépendant (Trotsky), menchevik internationaliste (Martov), polonais, lituanien, membre du Bund (parti socialiste des travailleurs juifs) ou même socialiste révolutionnaire.
Les délégations britanniques officielles de l’« Independent Labour Party » et du « British Socialist Party » ont été empêchées de se déplacer au dernier moment par leur gouvernement (passeports retenus).
En Allemagne, les opposants à la guerre dans le SPD allemand (et au Parlement) ont fondé le 5 août 1915, le gruppe international autour de Rosa Luxembourg, Karl Liebnecht, Franz Mehring...
Pour la France, sont présents particulièrement Pierre Monatte (ouvrier du livre, dirigeant de la CGT, fondateur de la Vie ouvrière en 1909, syndicaliste révolutionnaire) et Alfred Rosmer (syndicaliste CGT contribuant à la rédaction de la Vie Ouvrière) qui ont refusé de soumettre la Vie Ouvrière à la censure, ce qui a amené la fin de parution de ce périodique jusqu’en avril 1919. Rosmer anime et diffuse en 1915 la revue "Au dessus de la mêlée " que publie Romain Rolland en Suisse.
Notons aussi la présence à Zimmerwald de personnalités attachantes comme :
* Christian Rakovsky, né le 13 août 1873 en Bulgarie, jeune roumain exilé à vie de tous les lycées du pays pour son activité politique, apprend la médecine en Suisse, Allemagne puis France, correspondant du Vorwärts (quotidien socialiste allemand et de L’Humanité), marié à une russe, expulsé de Saint Pétersbourg, anime le grand mouvement social roumain de 1905, aide admirablement les mutins du cuirassé Potemkine, dénonce les Guerres balkaniques de 1912 1913 puis la 1ère guerre mondiale (brochure publiée en français sous le titre « Les socialistes et la guerre »). La personnalité la plus influente à Zimmerwald, c’est lui.
* Angelica Balabanova, d’origine juive ukrainienne (1878), rejoint le combat socialiste révolutionnaire durant ses études en Belgique, s’installe en Italie où elle joue un rôle important dans l’organisation des travailleurs de l’industrie textile, adhère au Parti Socialiste italien, contribue à l’organisation de conférences internationales de femmes socialistes avec Clara Zetkin, diffuse le journal de Trotsky (Nache Slovo), combat pour l’exclusion de Mussolini, secrétaire à l’organisation de la Conférence de Zimmerwald.
4) Conférence de Zimmerwald : le contenu du Manifeste
Le Manifeste de compromis ci-dessous, rédigé par Trotsky et adopté à l’unanimité, tient compte de la prédominance du courant socialiste pacifiste à Zimmerwald :
* Il n’appelle pas à la révolution
* Il ne rompt pas formellement avec la deuxième Internationale
* Il affirme la paix pour but essentiel :" Aucun sacrifice n’est trop grand, aucun fardeau trop lourd pour atteindre ce but : le rétablissement de la paix entre les peuples"
Ceci dit, son contenu porte beaucoup plus loin que l’orientation socialiste pacifiste :
* dans la dénonciation du lien entre le capitalisme et la guerre
* dans la dénonciation des partis socialistes qui n’ont pas respecté les résolutions des congrès de la 2ème Internationale (Stuttgart, Copenhague, Bâle) contre la guerre
* par une conclusion très claire " Depuis que la guerre est déchaînée, vous avez mis toutes vos forces, tout votre courage, toute votre endurance au service des classes possédantes, pour vous entretuer les uns les autres. Aujourd’hui, il faut, restant sur le terrain de la lutte de classe irréductible, agir pour votre propre cause, pour le but sacré du socialisme, pour l’émancipation des peuples opprimés et des classes asservies... Ouvriers et ouvrières, mères et pères, veuves et orphelins, blessés et mutilés, à vous tous qui souffrez de la guerre et par la guerre, nous vous crions : Par‑dessus les frontières par‑dessus les champs de bataille, par‑dessus les campagnes et les villes dévastées :
Prolétaires de tous les pays, unissez‑vous !"
Prolétaires d’Europe !
Voici plus d’un an que dure la guerre ! Des millions de cadavres couvrent les champs de bataille. Des millions d’hommes seront, pour le reste de leurs jours, mutilés. L’Europe est devenue un gigantesque abattoir d’hommes. Toute la civilisation créée par le travail de plusieurs générations est vouée à l’anéantissement. La barbarie la plus sauvage triomphe aujourd’hui de tout ce qui, jusqu’à présent, faisait l’orgueil de l’humanité.
Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l’impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation de vivre de l’exploitation du travail humain et des richesses naturelles de l’univers. De telle sorte que les nations économiquement arriérées ou politiquement faibles tombent sous le joug des grandes puissances, lesquelles essaient, dans cette guerre, de remanier la carte du monde par le fer et par le sang, selon leurs intérêts.
C’est ainsi que des peuples et des pays entiers comme la Belgique, la Pologne, les Etats balkaniques, l’Arménie, courent le risque d’être annexés, en totalité ou en partie, par le simple jeu des compensations.
Les mobiles de la guerre apparaissent dans toute leur nudité au fur et à mesure que les événements se développent. Morceau par morceau, tombe le voile par lequel a été cachée à la conscience des peuples la signification de cette catastrophe mondiale.
Les capitalistes de tous les pays, qui frappent dans le sang des peuples la monnaie rouge des profits de guerre, affirment que la guerre servira à la défense de la patrie, de la démocratie, à la libération des peuples opprimés. Ils mentent. La vérité est qu’en fait, ils ensevelissent, sous les foyers détruits, la liberté de leurs propres peuples en même temps que l’indépendance des autres nations. De nouvelles chaînes, de nouvelles charges, voilà ce qui résultera de cette guerre, et c’est le prolétariat de tous les pays, vainqueurs et vaincus, qui devra les porter.
Accroissement du bien‑être, disait‑on, lors du déchaînement de la guerre.
Misère et privations, chômage et renchérissement de la vie, maladies, épidémies, tels en sont les vrais résultats. Pour des dizaines d’années, les dépenses de la guerre absorberont le meilleur des forces des peuples, compromettront la conquête des améliorations sociales et empêcheront tout progrès.
Faillite de la civilisation, dépression économique, réaction politique, voilà les bienfaits de cette terrible lutte des peuples.
La guerre révèle ainsi le caractère véritable du capitalisme moderne qui est incompatible, non seulement avec les intérêts des classes ouvrières et les exigences de l’évolution historique, mais aussi avec les conditions élémentaires d’existence de la communauté humaine.
Les institutions du régime capitaliste qui disposaient du sort des peuples : les gouvernements ‑ monarchiques ou républicains, ‑ la diplomatie secrète, les puissantes organisations patronales, les partis bourgeois, la presse capitaliste, l’Eglise : sur elles toutes pèse la responsabilité de cette guerre surgie d’un ordre social qui les nourrit, qu’elles défendent et qui ne sert que leurs intérêts.
Ouvriers !
Vous, hier, exploités, dépossédés, méprisés, on vous a appelés frères et camarades quand il s’est agi de vous envoyer au massacre et à la mort. Et aujourd’hui que le militarisme vous a mutilés, déchirés, humiliés, écrasés, les classes dominantes réclament de vous l’abdication de vos intérêts, de votre idéal, en un mot une soumission d’esclaves à la paix sociale. On vous enlève la possibilité d’exprimer vos opinions, vos sentiments, vos souffrances. On vous interdit de formuler vos revendications et de les défendre. La presse jugulée, les libertés et les droits politiques foulés aux pieds : c’est le règne de la dictature militariste au poing de fer.
Nous ne pouvons plus ni ne devons rester inactifs devant cette situation qui menace l’avenir de l’Europe et de l’humanité.
Pendant de longues années, le prolétariat socialiste a mené la lutte contre le militarisme ; avec une appréhension croissante, ses représentants se préoccupaient dans leurs congrès nationaux et internationaux des dangers de guerre que l’impérialisme faisait surgir, de plus en plus menaçants. A Stuttgart, à Copenhague, à Bâle, les congrès socialistes internationaux ont tracé la voie que doit suivre le prolétariat.
Mais, partis socialistes et organisations ouvrières de certains pays, tout en ayant contribué à l’élaboration de ces décisions, ont méconnu, dès le commencement de la guerre, les obligations qu’elles leur imposaient. Leurs représentants ont entraîné les travailleurs à abandonner la lutte de classe, seul moyen efficace de l’émancipation prolétarienne. Ils ont accordé aux classes dirigeantes les crédits de guerre ; ils se sont mis au service des gouvernements pour des besognes diverses ; ils ont essayé, par leur presse et par des émissaires, de gagner les neutres à la politique gouvernementale de leurs pays respectifs ; ils ont fourni aux gouvernements des ministres socialistes comme otages de l’« Union sacrée ». Par cela même ils ont accepté, devant la classe ouvrière, de partager avec les classes dirigeantes les responsabilités actuelles et futures de cette guerre, de ses buts et de ses méthodes. Et de même que chaque parti, séparément, manquait à sa tâche, le représentant le plus haut des organisations socialistes de tous les pays, le Bureau socialiste international manquait à la sienne.
C’est à cause de ces faits que la classe ouvrière, qui n’avait pas cédé à l’affolement général ou qui avait su, depuis, s’en libérer, n’a pas encore trouvé, dans la seconde année du carnage des peuples, les moyens d’entreprendre, dans tous les pays, une lutte active et simultanée pour la paix dans cette situation intolérable, nous, représentants de partis socialistes, de syndicats, ou de minorités de ces organisations, Allemands, Français, Italiens, Russes, Polonais, Lettons, Roumains, Bulgares, Suédois, Norvégiens, Hollandais et Suisses, nous qui ne nous plaçons pas sur le terrain de la solidarité nationale avec nos exploiteurs mais qui sommes restés fidèles à la solidarité internationale du prolétariat et à la lutte de classe, nous nous sommes réunis pour renouer les liens brisés des relations internationales, pour appeler la classe ouvrière à reprendre conscience d’elle‑même et l’entraîner dans la lutte pour la paix.
Cette lutte est la lutte pour la liberté, pour la fraternité des peuples, pour le socialisme.. Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. Mais une telle paix n’est possible qu’à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples. Elle ne doit conduire ni à l’occupation de pays entiers, ni à des annexions partielles. Pas d’annexions, ni avouées ni masquées, pas plus qu’un assujettissement économique qui, en raison de la perte de l’autonomie politique qu’il entraîne, devient encore plus intolérable. Le droit des peuples de disposer d’eux‑mêmes doit être le fondement inébranlable dans l’ordre des rapports de nation à nation.
Prolétaires !
Depuis que la guerre est déchaînée, vous avez mis toutes vos forces, tout votre courage, toute votre endurance au service des classes possédantes, pour vous entretuer les uns les autres. Aujourd’hui, il faut, restant sur le terrain de la lutte de classe irréductible, agir pour votre propre cause, pour le but sacré du socialisme, pour l’émancipation des peuples opprimés et des classes asservies.
C’est le devoir et la tâche des socialistes des pays belligérants d’entreprendre cette lutte avec toute leur énergie. C’est le devoir et la tâche des socialistes des pays neutres d’aider leurs frères, par tous les moyens, dans cette lutte contre la barbarie sanguinaire.
Jamais, dans l’histoire du monde, il n’y eut tâche plus urgente, plus élevée, plus noble ; son accomplissement doit être notre œuvre commune. Aucun sacrifice n’est trop grand, aucun fardeau trop lourd pour atteindre ce but : le rétablissement de la paix entre les peuples.
Ouvriers et ouvrières, mères et pères, veuves et orphelins, blessés et mutilés, à vous tous qui souffrez de la guerre et par la guerre, nous vous crions : Par‑dessus les frontières par‑dessus les champs de bataille, par‑dessus les campagnes et les villes dévastées :
Prolétaires de tous les pays, unissez‑vous !
Zimmerwald (Suisse), septembre 1915.
Pour la délégation allemande : Georg Ledebour, Adolf Hoffmann.
Pour la délégation française : A. Bourderon, A . Merrheim.
Pour la délégation italienne : G. E. Modigliani, Constantino Lazzari.
Pour la délégation russe : N. Lénine, Paul Axelrod, M. Bobrov.
Pour la délégation polonaise : St. Lapinski, A . Varski, Cz. Hanecki.
Pour la Fédération socialiste interbalkanique :
Au nom de la délégation roumaine : C. Racovski ;
Au nom de la délégation bulgare : Vassil Kolarov.
Pour la délégation suédoise et norvégienne : Z . Hőglund, Ture Nerman.
Pour la délégation hollandaise : H. Roland Holst.
Pour la délégation suisse : Robert Grimm, Charles Naine.
Les deux délégués français sont des syndicalistes ( Merrheim, secrétaire de la fédération CGT des métaux et Bourderon secrétaire de la fédération des tonneliers). Les deux délégués allemands sont députés du Parti Social Démocrate (Ledebour et Hoffmann).
Après un an de massacre, le caractère nettement impérialiste de la guerre s’est de plus en plus affirmé ; c’est la preuve qu’elle a ses causes dans la politique impérialiste et coloniale de tous les gouvernements, qui resteront responsables du déchaînement de ce carnage.
Les masses populaires furent entraînées dans cette guerre par l’« Union sacrée », constituée dans tous les pays par les profiteurs du régime capitaliste, lui ont donné le caractère d’une lutte de races, de défense des droits respectifs et des libertés. C’est sous l’impulsion de ces sentiments que, dans chaque pays, une très grande partie des forces ouvrières d’opposition ont été submergées par le nationalisme et, depuis, une presse aux ordres du pouvoir n’a cessé d’en accentuer le caractère.
Aujourd’hui, les chauvins de chaque nation assignent à cette guerre un but de conquête par l’annexion de provinces ou de territoires ; ces prétentions, si elles se réalisaient, seraient des causes de guerre future.
En opposition à ces ambitions, des minorités résolues se sont dressées dans toutes les nations, s’efforçant de remplir les devoirs affirmés dans les résolutions des Congrès socialistes internationaux de Stuttgart, Copenhague et Bâle. Il leur appartient, aujourd’hui plus que jamais, de s’opposer à ces prétentions annexionnistes et de hâter la fin de cette guerre, qui a déjà causé la perte de tant de millions de vies humaines, fait tant de mutilés et provoqué des misères si intenses parmi les travailleurs de tous les pays.
C’est pourquoi nous, socialistes et syndicalistes allemands et français, nous affirmons que cette guerre n’est pas notre guerre !
Que nous réprouvons de toute notre énergie la violation de la neutralité de la Belgique, solennellement garantie par les conventions internationales admises par tous les États belligérants. Nous demandons et ne cesserons de demander qu’elle soit rétablie dans toute son intégralité et son indépendance. Nous déclarons que nous voulons la fin de cette guerre par une paix prochaine, établie sur des conditions qui n’oppriment aucun peuple, aucune nation ;
Que nous ne consentirons jamais à ce que nos gouvernements respectifs se prévalent de conquêtes qui porteraient fatalement dans leur sein les germes d’une nouvelle guerre ;
Que nous œuvrerons, dans nos pays respectifs, pour une paix qui dissipera les haines entre nations, en donnant aux peuples des possibilités de travailler en commun.
Une telle paix n’est possible, à nos yeux, qu’en condamnant toute idée, toute violation des droits et des libertés d’un peuple. L’occupation de pays entiers ou de provinces ne doit pas aboutir à une annexion. Nous disons donc : Pas d’annexions, effectives ou masquées ! Pas d’incorporations économiques forcées, imposées, qui deviendraient encore plus intolérables par le fait consécutif de la spoliation des droits politiques des intéressés !
Nous disons que le droit des populations de disposer de leur sort doit être rigoureusement observé.
Nous prenons l’engagement formel d’agir inlassablement dans ce sens, dans nos pays respectifs, pour que le mouvement pour la paix devienne assez fort pour imposer à nos gouvernants la cessation de cette tuerie.
En dénonçant l’ « Union sacrée », en restant fermement attachés à la lutte de classe, qui servit de base à la constitution de l’Internationale socialiste, nous, socialistes et syndicalistes allemands et français, puiserons la fermeté de lutter parmi nos nationaux contre cette affreuse calamité et pour la fin des hostilités qui ont déshonoré l’humanité.
Pour la délégation française : A. Merrheim, secrétaire de la Fédération des Métaux ; A. Bourderon, secrétaire de la Fédération du Tonneau.
Pour la délégation allemande : Adolf Hoffmann, député au Landtag prussien ; Georg Ledebour, député au Reichstag.
La Conférence socialiste internationale envoie l’expression de son ardente sympathie aux victimes innombrables de la guerre, au peuple polonais, au peuple belge, au peuple juif, au peuple arménien, aux millions d’êtres humains se débattant dans d’atroces souffrances, victimes d’horreurs sans précédent dans l’histoire, immolés à l’esprit de conquête et à la rapacité impérialiste.
La Conférence salue la mémoire du grand socialiste Jean Jaurès, première victime de la guerre, tombé en martyr de la lutte contre le chauvinisme et pour la paix, et des militants socialistes Toutséviteh et Catanesi, morts sur les sanglants champs de bataille.
La Conférence envoie l’expression de son ardente et fraternelle sympathie aux membres de la Douma, exilés en Sibérie, qui continuent la glorieuse tradition révolutionnaire russe ; aux camarades Liebknecht et Monatte qui, en Allemagne et en France, ont mené courageusement la lutte contre la trêve nationale ; à Clara Zetkin et Rosa Luxembourg, emprisonnées pour leur propagande socialiste ; aux camarades de toutes nationalités poursuivis ou emprisonnés pour avoir lutté contre la guerre.
La Conférence s’engage solennellement à honorer les vivants et les morts en suivant l’exemple de ces courageux camarades, en travaillant sans trêve à réveiller l’esprit révolutionnaire dans les masses du prolétariat international et à les unir dans la lutte contre la guerre fratricide et contre la société capitaliste.
Du 5 au 8 septembre 1915 a eu lieu à Zimmerwald (Suisse) une Conférence socialiste internationale, la première réunion générale des socialistes internationaux depuis le commencement de la guerre.
La guerre a détruit subitement les relations internationales du prolétariat. Ce ne fut pas seulement une interruption superficielle des relations anciennes. Les partis socialistes et les organisations ouvrières des divers pays abandonnèrent non seulement le terrain de la lutte de classe mais aussi celui de la solidarité internationale. Aujourd’hui encore, les tendances nationalistes prévalent. Les antagonismes nationaux qui déterminaient, avant la guerre, la politique des gouvernements bourgeois et qui, toujours, étaient combattus par le prolétariat, se sont emparés de la classe ouvrière dès le commencement de la guerre. Cet antagonisme nouveau s’accentua encore par l’attitude de la presse ouvrière qui, dans divers pays, se mit au service des gouvernants. En défendant leur politique de guerre, souvent même leurs buts de guerre et leurs intentions de conquête, elle prêchait, comme un nouvel évangile social, la solidarité nationale des ouvriers et de leurs oppresseurs en remplacement de la solidarité internationale du prolétariat.
Dans ces conditions, le Bureau Socialiste International ne pouvait plus suffire à sa tâche. Les relations normales entre lui et les partis affiliés ont cessé. Le Bureau ne mène plus qu’une existence apparente.
Pour rétablir les relations internationales et provoquer, conformément aux décisions des Congrès de Stuttgart, de Copenhague et de Bâle, une action commune contre la guerre et pour la paix, les partis socialistes des pays neutres ont fait des tentatives réitérées.
Dans ce sens a eu lieu, au mois de septembre 1914, à Lugano, une Conférence socialiste italo‑suisse. Au Comité directeur du Parti suisse fut confié le mandat de rétablir, sur la base des décisions des congrès internationaux, les relations avec les partis des pays belligérants et neutres. Entre temps, le camarade hollandais Troelstra avait entrepris un voyage dans le but d’influencer dans le même sens les Comités directeurs des divers partis. Mais ses efforts n’aboutirent qu’au transfert du Bureau socialiste international de Bruxelles à La Haye, sans cependant avoir pour effet un travail commun des Partis socialistes. Vers la même époque, les socialistes américains lancèrent une invitation à un congrès international qui aurait lieu à Washington. Les camarades américains offraient de se charger de toutes les dépenses. Leur projet échoua et le congrès n’eut pas lieu.
Au mois de janvier 1915 se réunit à Copenhague une Conférence des socialistes des pays neutres du Nord. Elle se borna à établir un programme général pour la paix, sans se prononcer sur les conditions préliminaires de sa réalisation.
Plus tard, des efforts privés et officieux furent faits auprès du Bureau socialiste international pour le rétablissement des relations internationales. Mais la Conférence des socialistes des pays alliés à Londres, ainsi que la Conférence socialiste de la Duplice à Vienne, montrèrent que ces efforts étaient restés vains et que de nouvelles tentatives n’avaient guère de chances d’avoir d’autre résultat. Cette opinion fut confirmée lorsque le Comité directeur du Parti socialiste suisse invita le Bureau socialiste international à convoquer, dans le plus bref délai, une réunion du Bureau à laquelle assisteraient des représentants des divers pays. Cette démarche resta également sans résultat et échoua par suite du refus du Parti français de donner son assentiment à cette invitation.
Après cet échec, le Comité directeur du Parti suisse, agissant toujours d’accord avec la direction du Parti italien, convia les Partis socialistes des pays neutres à une réunion qui aurait dû avoir lieu le 30 mai, à Zurich. La plupart des Partis invités répondirent négativement ou pas du tout.
Il apparut alors que tous les efforts tentés pour rétablir les relations socialistes internationales n’aboutiraient à aucun résultat, qu’une action commune des partis socialistes, voire même la simple tentative d’un échange de vues, resterait impossible aussi longtemps que quelques Partis officiels persisteraient à se placer sur le terrain du patriotisme et de la politique de guerre de leurs gouvernements. Dans ces conditions, tout nouvel effort de réunir les représentants des Partis socialistes officiels était inutile. Contrairement à la théorie, la pratique apportait la preuve qu’il est impossible d’être en même temps nationaliste et internationaliste, que, pratiquement, il faut choisir entre l’un et l’autre. Aussi a‑t‑on renoncé à toute nouvelle tentative, avec ou sans la collaboration du B.S.I., pour réunir les partis affiliés à ce Bureau.
En se basant sur ces faits et expériences, le Comité directeur du Parti italien, réuni le 15 mai, à Bologne, d’accord avec des socialistes d’autres pays et sur le rapport du citoyen Morgari, qui avait conféré avec des cama rades des pays belligérants et neutres, décida de prendre l’initiative de la convocation d’une Conférence internationale. Des invitations furent adressées à tous les partis, organisations ouvrières ou groupes qu’on savait restés fidèles aux anciens principes et résolutions de l’Internationale ouvrière. Des délibérations entre socialistes suisses et italiens eurent lieu, aboutissant tout d’abord à une réunion préliminaire, le Il juillet 1915, à Berne. A cette réunion, on fixa le but et le caractère de la Conférence projetée. On tomba d’accord que la Conférence à convoquer n’aurait nullement comme but la création d’une nouvelle Internationale, mais que sa tâche serait plutôt d’appeler le prolétariat à une action commune pour la paix, de créer un centre d’action et d’essayer de ramener la classe ouvrière à sa mission historique. On décida d’envoyer les invitations selon les conditions établies par le Comité directeur du Parti socialiste italien.
Source : marxist.org
La Conférence se réunit le 5 septembre 1915. Voici la liste des délégations la composant :
Allemagne. ‑ La délégation représente les divers groupes d’opposition. Etant donné son attitude à l’égard de la guerre, le Parti officiel n’a pas été invité.
France. ‑ Ici également on a dû s’abstenir d’inviter le Parti officiel qui est engagé dans la voie de la politique gouvernementale. Toutefois, des membres du Parti et de la C.G.T. étaient présents. La Fédération des ouvriers des Métaux a envoyé une représentation officielle ; de même la minorité de la C.G.T.
Italie. ‑ La délégation représente le Parti officiel et le groupe parlementaire.
Angleterre. ‑ Des délégations de l’« Independent Labour Party » et du « British Socialist Party » étaient assurées. La délégation de l’I.L.P., composée des camarades Jowett et Bruce Glasier, et celle du B.S.P., composée du camarade E. C. Fairchild, n’ont pu se rendre à la Conférence, le gouvernement anglais ayant refusé les passeports. La veille de la Conférence arriva le télégramme suivant : « Impossible obtenir passeports. Saluts chaleureux. Jowett, Glasier. »
Russie. ‑ Délégations officielles du Comité central et du Comité d’organisation du Parti ouvrier social‑démocrate ; de même du Comité central du Parti socialiste révolutionnaire. De plus, délégations de la social‑démocratie lettone et du « Bund ».
Pologne. ‑ Un délégué officiel de chacune des trois organisations socialistes de la Pologne russe et de la Lithuanie se plaçant sur le terrain de la lutte de classe.
Roumanie. ‑ Délégation officielle du Parti socialiste.
Bulgarie. ‑ Délégations officielles du Parti ouvrier socialiste de Bulgarie et de sa fraction parlementaire.
Les délégations roumaine et bulgare représentaient en même temps la Fédération socialiste interbalkanique.
Suède et Norvège. ‑ Délégations officielles de la Sozialdemokratiska Umgomsfőrbundet.
Hollande. ‑ Délégation officielle du Groupe « De Internationale ».
Suisse. ‑ Délégations personnelles, le Comité directeur du Parti suisse ayant laissé toute latitude aux camarades d’assister à la Conférence.
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Lettre de Karl Liebknecht à la Conférence de Zimmerwald (1915)
Au début du 21ème siècle, le refus de l’idéologie nationaliste guerrière relayée par une campagne d’opposition à la loi des trois ans de service militaire actif, a rencontré une adhésion forte dans les milieux populaires et progressistes, y compris en milieu rural, par exemple dans mon canton d’Entraygues sur Truyère.
La journaliste Fernand Momméja, pourtant proche de Clémenceau, en rend compte dans le grand quotidien de l’époque : Le Temps.
La jeunesse et l’armée avant 1914 : le conseil de révision
Le départ du conscrit (chanson antimilitariste)
Une mutinerie est préparée par Louis Brévié, enfant D’Entraygues, qui fait son service à la caserne Burloup de Rodez. Dénoncé, il est condamné aux travaux forcés à Cayenne.
Lorsque la guerre éclate, de nombreuses personnes comprennent la catastrophe qu’elle va représenter mais globalement "chacun fait son devoir".
Peu à peu, le grand nombre de morts au combat, d’orphelins, d’invalides... crée une situation nouvelle, en particulier dans la jeunesse.
Dans mon village, quelques adolescents de 16 à 19 ans se retrouvent, de temps en temps, chez un des leurs nommé Bernard Dauban. Entraygues est trop éloigné des grandes villes pour qu’ils entendent parler de la convocation de Zimmerwald. Par contre, l’écho de cette conférence leur parvient. C’est ainsi qu’un petit réseau commence à se créer, faisant référence à Zimmerwald.
Le groupe prend un nom identitaire internationaliste "Jeunes Zimmerwald" ; il gagne quelques sympathisants parmi les lycéens de Rodez avec lesquels ils sont internes. Les autorités l’apprennent et Bernard Dauban se voit exclu du lycée Foch (Rodez).
Ayant longtemps connu Bernard Dauban, décédé en 1996, et l’ayant interviewé plusieurs fois, je tiens, par honnêteté envers lui, à ajouter son constat. Quelques jeunes groupés autour de lui étaient très motivés face à la guerre en 1915 1916 parce que leur tour de partir aux tranchées arrivait ; cependant, ils n’ont guère continué à être actifs politiquement après la fin de la guerre. Certains se fondront même dans l’idéologie majoritairement conservatrice des bougnats de Paris.
Jacques Serieys
En août 1914, l’Europe sombrait dans une guerre qui précipitait les travailleurs les uns contre les autres. Ce conflit était le fruit de la compétition entre deux blocs impérialistes rivaux déterminés à se disputer les marchés, les sources de matières premières et le contrôle politique des colonies. Le premier (France et Grande-Bretagne) regroupait les puissances satisfaites, repues de leurs pillages coloniaux et voulant maintenir cette domination ; elles s’allièrent à l’impérialisme russe, cette « prison des peuples » qui avait ses propres ambitions territoriales. Le second (l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie) unissait les puissances impérialistes arrivées trop tard ou étant trop faibles lors du précédent partage du monde – et qui espéraient arracher de nouvelles colonies et les piller pour leur propre compte. Cette guerre avait été préparée par plus d’une décennie de course aux armements et de conflits localisés, notamment en Mandchourie et dans les Balkans.
La faillite de la IIe Internationale
Pour le mouvement ouvrier, cette guerre n’était pas une surprise. Dès 1907, la IIe Internationale, essentiellement constituée des partis « sociaux-démocrates » (socialistes) européens, se réunissait en congrès à Stuttgart et y dénonçait le caractère impérialiste de la guerre à venir. Cinq ans plus tard, alors que les puissances impérialistes commençaient à s’affronter par pays balkaniques interposés, un nouveau manifeste de la IIe Internationale dénonçait la propagande nationaliste et hypocrite des bourgeoisies impérialistes et proclamait qu’en cas de guerre, la social-démocratie la combattrait au moyen de grèves générales révolutionnaires.
Lorsque l’épreuve vint finalement, en août 1914, presque tous les partis sociaux-démocrates (à l’exception du parti serbe et des bolcheviks russes) se rangèrent au garde-à-vous derrière leurs bourgeoisies respectives et approuvèrent les crédits de guerre demandés par les gouvernements. Dans plusieurs pays belligérants, des dirigeants sociaux-démocrates sont même entrés dans les gouvernements, comme Jules Guesde ou Marcel Cachin en France. Dans tous ces pays, les partis socialistes ajoutèrent leur voix à la propagande militariste, en la couvrant d’un mince verni « de gauche ».
En Grande-Bretagne, le Parti Travailliste se rallia à la « guerre du Droit » (alors que le gouvernement de Sa majesté venait d’envahir et d’annexer les républiques sud-africaines). En Allemagne, le parti social-démocrate (SPD) proclama qu’il devait défendre les droits des ouvriers contre la « barbarie tsariste », au moment même où ces droits étaient bafoués par le gouvernement allemand. En France, la direction de la SFIO déclarait prendre sa place dans la lutte pour la « république universelle » – tout en s’alliant à la dictature du Tsar Nicolas II.
Les bases matérielles du réformisme
Cette trahison des dirigeants « socialistes » prit tout le monde par surprise. Lorsqu’il reçut le journal du SPD annonçant le vote des crédits de guerre par ses députés, Lénine crut d’abord qu’il s’agissait d’un faux fabriqué par l’Etat-major allemand.
Cette faillite des directions de la IIe Internationale était la conséquence du réformisme qui s’était graduellement développé, dans les sommets de la social-démocratie, depuis les années 1890. Du fait de la longue période de croissance qui a précédé la guerre, les couches supérieures de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier ont bénéficié du système capitaliste en expansion, qui disposait d’une marge de manœuvre pour concéder des réformes à une fraction des travailleurs. Cette couche sociale constituait la base du réformisme, qui remettait en cause la nécessité de renverser le système capitaliste et défendait la perspective de son évolution « progressive » vers le socialisme.
Cette politique aboutit à l’intégration progressive de la social-démocratie dans la vie politique « normale » des démocraties bourgeoises européennes. La trahison du 4 août n’en était que le couronnement et la révélation. Ayant renoncé à combattre le capitalisme, les dirigeants réformistes furent poussés à en accepter les conséquences et à soutenir leurs gouvernements respectifs dans le carnage impérialiste, les aidant à envoyer les travailleurs d’Europe et des colonies s’entre-tuer dans les tranchées.
L’opposition à la guerre
Malgré la dictature de fait qui régnait dans tous les pays, l’opposition à la guerre et à la politique « sociale-chauvine » (selon la formule de Lénine) des dirigeants sociaux-démocrates commença à s’organiser. Cependant, une grande partie des porte-paroles de cette opposition se cantonnaient à une ligne « pacifiste », à demander une paix « juste » et le retour à la situation d’avant-guerre, qui avait pourtant débouché sur la guerre. L’Allemand Karl Kautsky et le Français Jean Longuet, par exemple, refusaient de rompre avec les dirigeants sociaux-chauvins et justifiaient à la fois le sabordage de l’Internationale (que Kautsky jugeait impossible de maintenir en temps de guerre) et le vote des crédits de guerre (que Longuet approuvait tout en se proclamant « pacifiste »). Cette tendance, en pratique, fournissait une couverture de gauche aux sociaux-chauvins.
D’autres militants, souvent isolés, s’attelèrent à une lutte intransigeante et révolutionnaire contre la guerre. En décembre 1914, en Allemagne, le jeune député social-démocrate Karl Liebknecht votait – seul – contre les crédits de guerre et appelait les travailleurs à combattre la bourgeoisie allemande, suivant sa célèbre formule : « l’ennemi principal est dans notre propre pays ». Il fonda ensuite avec Rosa Luxemburg la Ligue Spartakus, qui s’efforçait de rassembler la gauche révolutionnaire au sein du SPD. En France, Trotsky, alors en exil, participa à la publication d’un journal révolutionnaire, NacheSlovo, et tissa des liens avec des militants révolutionnaires français, dont Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Le révolutionnaire balkanique Christian Rakovsky [1], de son côté, répondit au social-chauvin Jules Guesde par une longue brochure, qui fut publiée en France par Rosmer.
Exilé en Suisse, Lénine défendit dès le début de la guerre la nécessité de la combattre par des méthodes révolutionnaires, ce qu’il résumait par la formule du « défaitisme révolutionnaire ». Cette idée est souvent mal comprise. Lénine était à l’époque complètement coupé des masses ; cette formule ne leur était pas destinée. Elle s’adressait aux cadres du parti bolchevik, dont beaucoup étaient influencés par la propagande « pacifiste ». Lénine voulait affermir ses camarades et marquer une rupture nette entre sa position révolutionnaire, internationaliste, et celles des pacifistes.
Vers la IIIe Internationale
Pour Lénine comme pour Karl Liebknecht, la priorité de l’heure était de s’atteler à la construction d’une nouvelle Internationale, qui rassemblerait tous les socialistes révolutionnaires. Les bolcheviks consacrèrent beaucoup d’énergie à nouer des contacts avec les différentes « gauches » des partis socialistes d’Europe.
Pour ces militants, la nécessité d’une conférence internationale marquant l’opposition des socialistes internationalistes à la guerre était évidente. Depuis le début de la grande boucherie, aucune réunion internationale n’avait rassemblé des socialistes des différents pays belligérants. Organisée par la direction du PS italien et par Christian Rakovsky, cette conférence finit par se tenir du 5 au 8 septembre 1915 à Zimmerwald, en Suisse. Peu de militants purent y assister. Avec son ironie habituelle, Lénine déclara sur place que « tous les internationalistes d’Europe peuvent tenir dans deux voitures ». Bon nombre de délégués s’étaient vus refuser leurs visas de sortie, que ce soit en Allemagne, en France ou en Angleterre. Si la majorité des présents étaient influencés par les idées pacifistes, Lénine parvint à organiser autour des bolcheviks une « gauche de Zimmerwald », qui allait jouer le rôle d’embryon de la future IIIe Internationale.
Emprisonné, Karl Liebknecht envoya un message appelant à la lutte révolutionnaire contre la guerre et à la construction d’une nouvelle Internationale, « sur les ruines de l’ancienne, et sur de nouveaux fondements plus solides ». La conférence publia un manifeste, rédigé par Trotsky, qui soulignait le caractère impérialiste de la guerre, pointait la responsabilité des directions des partis socialistes et de l’ancienne Internationale – et appelait les travailleurs à la lutte pour la paix et le socialisme. Lénine jugea le texte insuffisamment sévère avec les « centristes » et les « conciliateurs » (les pacifistes de toutes nuances). Mais il le signa et jugea qu’il constituait « un pas dans la bonne direction », vers la rupture avec le social-chauvinisme.
La conférence de Zimmerwald marqua un tournant dans la politique européenne, pendant la guerre. Pour la première fois depuis août 1914, le lien entre les socialistes des pays belligérants était renoué, malgré les gouvernements bourgeois et malgré les efforts des directions des partis « officiels ». Elle permit de relever le drapeau du socialisme révolutionnaire, abandonné par les sociaux-chauvins. Enfin, Zimmerwald posa les premières bases, encore fragiles et hésitantes, de la fondation de la IIIe Internationale, qui allait naître des ruines de la précédente, après la révolution d’Octobre 1917.
Jules Legendre
Source : http://www.marxiste.org/theorie/his...
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