Plus de 11 milliards de provision pour les bonus des salariés de Goldman-Sachs, 1 milliard d’euros pour les traders de la BNP. À chacun selon ses moyens … Ces informations occupent le devant de la scène. M. Fillon convoque les dirigeants de la BNP … à une réunion à laquelle il ne participait pas pour cause de vacances et un sous-fifre a dû les sermonner - ils ont dû trembler ! Le gouvernement des États-Unis est « irrité » nous dit Le Monde. Et reprise la chansonnette de la « moralisation du capitalisme ». Sous le titre « les banques détruisent le capitalisme », Marianne 2 donne la parole au représentant des petits actionnaires qui réclame l’intervention de la loi pour sévir contre les dirigeants de la BNP. Tous les acteurs sont en place pour un remake d’une pièce qu’on nous joue depuis le début de la crise.
Plusieurs remarques s’imposent, si on ne veut pas être mystifié par cette mise-en-scène de l’information.
Première remarque : il faudrait remercier les dirigeants de Goldman-Sachs et de la BNP : ils refusent le jeu hypocrite qu’on veut leur faire jouer. Ils sont des capitalistes, c’est-à-dire des fonctionnaires du capital et leur boulot est de pomper de la plus-value, de faire passer le profit produit dans les entreprises dans la poche des financiers et comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, ils doivent grassement rémunérer leurs traders. Les cris d’orfraie poussés dans la presse et chez les politiques sont plutôt indécents. S’ils voulaient empêcher que les banquiers ne profitent de l’aubaine qu’a été l’aide de l’État, il y avait un moyen très simple : nationaliser le système bancaire. C’eût été la logique la plus élémentaire : puisque le capitalisme « libéral » venait de faire faillite, il fallait lui appliquer sa propre loi, licencier tous ces PDG banqueroutiers et mettre en place un autre système, une ou des banques nationales ayant comme seule tâche d’aider au financement des entreprises productives et particulièrement des artisans, commerçants et PME. Mais ni l’UMP, ni le PS, ni les plumitifs du Monde ou de Libération, ni les chroniqueurs des grands médias audiovisuels n’ont défendu une telle politique et tous les discours sur le scandale des traders ne sont que pure tartufferie.
Deuxième remarque : la déréglementation financière n’est pas le résultat de la volonté des banquiers en général et encore moins de quelques banquiers crapuleux. C’est une politique menée avec constance depuis plusieurs décennies maintenant. Quand on observe la politique réelle suivie par tous les gouvernements dans les années 80, on est frappé par la très grande convergence pratique – habilement camouflée derrière des habits idéologiques bariolés. C’est le 27 octobre 1986 que Mrs Thatcher dérèglemente les marchés financiers britanniques. En France le processus de décloisonnement des services financiers commence en 1984 sous la houlette du ministre de l’économie de l’époque, Pierre Bérégovoy. Paradoxalement le processus sera un peu plus lent aux États-Unis. Le gouvernement conservateur de Mrs Thatcher et les gouvernements « socialistes » français convergent sur l’objectif d’un « espace financier européen » largement ouvert sur le monde et qui sera officiellement mis en place en 1993 après avoir été officialisé par le traité de Maastricht, adopté par le gouvernement Mitterrand-Bérégovoy et validé par un référendum où l’on vit l’essentiel de la droite et presque tout le PS (Chevènement mis à part) faire campagne pour le « oui »... Quand le PS déclare : « il appartient à la France de prendre vraiment la tête d’un encadrement des pratiques financières » (Communiqué du 5 août 2009), on se demande bien pourquoi ils ne s’en sont pas rendus compte plus tôt. Le PS dénonce les appels creux à la « moralisation du capitalisme », mais il n’a rigoureusement rien d’autre à proposer. Bref les politiques se défaussent de leurs propres responsabilités et prennent les citoyens pour des idiots.
Troisième remarque : tous font comme si seuls les excès du système étaient en cause. Imprudence, rapacité des traders (tout est de la faute à Kerviel !), franche criminalité (ah ! Madoff, le plus grand escroc de tous les temps …), voilà ce dont il faut étourdir les peuples, voilà les boucs émissaires chargés de supporter tous les péchés du mode de production capitaliste. C’est là un mélange d’idéologie spontanée de la société capitaliste et d’opérations de propagande parfaitement conscientes. Mais comme toujours dans le monde de l’idéologie, la réalité est mise cul par-dessus tête. Les « excès » des traders, la malhonnêteté des escrocs comme Madoff ne sont pas les causes de la crise mais sa conséquence. Quand Madoff propose de servir des rendements réguliers de 10 à 15% à ses gogos souscripteurs (parmi lesquels quelques vénérables institutions financières), il ne fait que s’adapter aux normes de ROI (return on investment) édictées par les « marchés financiers » et reprises par tous les politiques. Les traders ne sont que les représentants les plus visibles d’un système où le capital fictif prend progressivement la place principale. Les quelques milliards que ces parasites accaparent ne sont anecdotiques en comparant des milliers de milliards de dollars de capital déjà engloutis dans la crise.
Dernière remarque : « l’éthique (protestante) du capitalisme » chère à Max Weber n’a jamais servi qu’à légitimer l’argent qui fait de l’argent (la chrématistique condamnée par Aristote comme « contre nature »). Certaines fractions de la classe capitaliste ont pu ou peuvent encore concilier les exigences de la production de la plus-value avec quelques règles morales. Mais dans son ensemble, le capitalisme se moque de la morale comme d’une guigne. Rappelant les horreurs de l’accumulation primitive et de la colonisation, le lien étroit entre « l’esclavage dissimulé des salariés en Europe » et « l’esclavage sans phrase dans le nouveau monde », Marx concluait : « Voilà de quel prix nous avons payé nos conquêtes ; voilà ce qu’il en a coûté pour dégager les « lois éternelles et naturelles » de la production capitaliste, pour consommer le divorce du travailleur d’avec les conditions du travail, pour transformer celles-ci en capital, et la masse du peuple en salariés, en pauvres industrieux (labouring poor), chef-d’œuvre de l’art, création sublime de l’histoire moderne. Si, d’après Augier, c’est « avec des taches naturelles de sang, sur une de ses faces » que « l’argent est venu au monde », le capital y arrive suant le sang et la boue par tous les pores. » (Capital, I, chap. XXXI) C’est donc tout autre chose qu’une affaire de grosseur de portefeuille...
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