12 août 1949 12 août 2014 Les Conventions de Genève gardent-elles de leur force 60 ans après ? (article de la Croix rouge Internationale)

dimanche 13 août 2023.
 

A) Gaza 2014 et les Conventions de Genève

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B) Palestine et conventions de Genève

Israël occupe militairement depuis près de 50 ans la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza.

Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté des Résolutions (242 puis 338 et autres) demandant la fin immédiate de cette occupation. Dans l’intervalle, tant que dure l’occupation, le droit international définit les limites du pouvoir de l’occupant (droits et devoirs) et protège les civils. Le principal instrument applicable est la quatrième convention de Genève.

Dispositions de la IVe Convention de Genève

Cette Convention est un compromis entre les impératifs militaires de sécurité (pour l’occupant) et les droits fondamentaux des civils (subissant l’occupation). C’est donc un minimum réaliste, intangible, qui s’applique « quelles que soient les circonstances ». (Ce consensus des États remonte à 1949 et tient compte des leçons de la Seconde Guerre mondiale.)

Dans le cas des Territoires palestiniens occupés, l’une des normes les plus importantes est celle qui interdit les « colonies de peuplement » (art. 49, fin : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa population civile dans le territoire occupé par elle »).

Cette convention est très détaillée et précise. Parmi toutes ses dispositions, la violation de certaines - dont l’article interdisant la colonisation - constitue une « infraction grave », correspondant à un crime de guerre. Ces violations sont : « l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le transfert illégaux, la détention illégale, le fait de contraindre une personne protégée à servir dans les forces armées de la Puissance ennemie, ou celui de la priver de son droit d’être jugée régulièrement et impartialement selon les prescriptions de la présente Convention, la prise d’otages, la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. »

Ce sont ces dispositions du droit humanitaire, davantage que les droits de l’homme, qui sont invoquées à propos du conflit israélo-palestinien.

Applicabilité de la IVe Convention de Genève

La IVe Convention de Genève est applicable dès le début du conflit (et de l’occupation) et prend fin, pour certaines dispositions, 1 an après la fin des opérations militaires ou, pour d’autres (dont l’art. 49), jusqu’à la fin de l’occupation.

Le fait de l’occupation militaire en Cisjordanie et à Gaza, et donc de l’applicabilité des Conventions de Genève, relève pour la communauté internationale et pour le CICR, p.ex., de l’évidence. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’y réfère dans plusieurs de ses résolutions. nécessaire]

La Cour suprême d’Israël, dans un arrêt du 30 mai 2004, a jugé que « les opérations militaires des forces de défense israéliennes à Rafah, dans la mesure où elles affectent des civils, sont régies par la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 … et par la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949 ». La précision « dans la mesure où elles affectent des civils » pourrait ne pas représenter une application intégrale de la Convention, les termes « dans la mesure où » étant toujours restrictifs dans une décision juridictionnelle.

C) Les Conventions de Genève

En 1949, les États se sont réunis à Genève pour examiner les Conventions de Genève existantes et ajouter une quatrième Convention consacrée à la protection des civils. Depuis lors, ces traités ont été complétés par trois Protocoles additionnels.

Certains critiques ont suggéré que les Conventions approchaient l’âge de la retraite et n’étaient plus adaptées au type de guerre contemporaine qui oppose les armées régulières aux groupes armés, à une époque où la plupart des conflits ont lieu au sein des États et non entre eux.

Les partisans des traités, en revanche, soutiennent que les règles sont toujours pertinentes et que les Conventions, ainsi que leurs Protocoles additionnels, continuent de fournir le meilleur cadre disponible pour protéger les civils et les personnes qui ne combattent plus.

Knut Dörmann, chef de la Division juridique du CICR, donne son avis sur les problèmes qui se posent aujourd’hui concernant les règles de la guerre et sur les efforts que l’institution continue de déployer pour que les Conventions résistent à l’épreuve du temps.

Que sont les Conventions de Genève et quel objectif servent-elles ?

Les Conventions sont l’élément le plus important du droit international humanitaire : un ensemble de règles qui visent à protéger les civils et les personnes qui ne combattent plus, y compris les militaires blessés ou malades et les prisonniers de guerre. Elles ont pour objectif non pas de mettre un terme aux conflits mais de limiter la barbarie des conflits armés.

Les Conventions de Genève s’appliquent uniquement aux conflits armés internationaux, à l’exception de l’article 3 commun aux quatre Conventions, qui couvre également les conflits armés non internationaux. L’adoption de cet article en 1949 a été une avancée capitale, vu que les traités de droit humanitaire précédents ne couvraient que les situations de guerre entre États. Comme la plupart des conflits actuels sont des conflits armés non internationaux, l’article 3 garde une importance vitale dans la mesure où il établit une règle de base pour la protection des personnes qui ne participent pas ou plus aux combats, que toutes les parties au conflit – étatiques ou non – doivent respecter.

Fait étonnant, les Conventions ont été universellement ratifiées, ce qui signifie que chacun des États du monde y est partie (voir la liste des États Parties aux Conventions de Genève).

Quel lien existe-t-il entre le CICR et les Conventions ?

Le CICR est étroitement lié aux Conventions de Genève depuis le début. Le fondateur du CICR, Henry Dunant, a également eu l’idée d’élaborer la Première Convention de Genève « pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne », qui a été adoptée en 1864.

Depuis l’époque de Dunant, le CICR a toujours essayé de mettre en parallèle les Conventions de Genève, et le droit humanitaire dans son ensemble, et la réalité des conflits armés tels qu’ils sont vécus sur le terrain. Depuis le tout début, nous faisons partie d’un processus dynamique qui veille à ce que le droit international humanitaire soit adapté aux changements qui ont lieu dans les méthodes de guerre.

Par exemple, durant les années qui ont précédé la Deuxième Guerre mondiale, le CICR a élaboré un projet de Convention internationale concernant la condition et la protection des civils de nationalité ennemie qui se trouvent sur le territoire d’un belligérant ou sur un territoire occupé par lui. Bien qu’il ait cherché à obtenir l’approbation des États, aucune mesure n’a été prise concernant ce texte, les gouvernements refusant de réunir une conférence diplomatique pour décider de son adoption.

Ainsi, il n’y a pas eu de traité protégeant spécialement les civils contre les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale. En revanche, la communauté internationale a convenu en 1949 d’adopter la Quatrième Convention de Genève relative à la protection des civils. L’adoption de ce texte marque un grand tournant, car l’instrument énonce que les populations civiles et les biens de caractère civil doivent être épargnés en temps de conflit armé.

Aujourd’hui, la mission humanitaire du CICR – sa description de poste en un sens – découle des Conventions, qui chargent l’institution de visiter les prisonniers, d’organiser les opérations de secours, de réunir les familles dispersées et de mener d’autres activités humanitaires similaires lors de conflits armés. Le CICR est mentionné expressément dans plusieurs dispositions des Conventions.

Certains disent que les Conventions ont été élaborées pour un monde complètement différent et doivent aujourd’hui être révisées, si ce n’est réécrites. Qu’en pensez-vous ?

À mon avis, le problème ne réside pas dans le droit. En fait, les Conventions ont montré qu’elles étaient étonnamment pertinentes au cours des 60 dernières années. Depuis 1949, elles ont été complétées par les Protocoles additionnels et par des règles importantes élaborées en droit international humanitaire coutumier, ce qui a renforcé encore la protection des civils, notamment lors de conflits armés non internationaux, grâce à une meilleure adaptation aux réalités nouvelles.

Le problème majeur, c’est que le droit n’est pas suffisamment respecté. Trop peu de personnes connaissent les Conventions de Genève, et un trop grand nombre de parties belligérantes les ignorent ou les bafouent. Je crois fermement que si les règles existantes étaient respectées, on éviterait une grande partie des souffrances causées par les conflits armés actuels.

En même temps, n’oublions pas que les Conventions ont fait largement leurs preuves ces soixante dernières années en sauvant d’innombrables vies, en réunissant des milliers de membres de familles dispersées et en réconfortant des millions de prisonniers de guerre. Selon moi, c’est une raison suffisante pour célébrer leur anniversaire. Je n’ose pas imaginer les souffrances qu’il y aurait en plus dans le monde si elles n’existaient.

N’oublions pas non plus que les conflits armés internationaux et l’occupation ne sont en aucune façon des faits du passé. Le conflit qui a opposé l’an dernier la Russie à la Géorgie est un exemple récent de conflit armé international où les quatre Conventions de Genève étaient applicables.

De quelle manière le droit international humanitaire a-t-il évolué au cours des soixante dernières années ?

Le droit international humanitaire s’est considérablement étoffé à mesure que le caractère et l’impact des conflits évoluaient au fil des années. Notamment, en 1977, deux Protocoles additionnels ont été adoptés. Le Protocole additionnel I a renforcé la protection des victimes de conflits armés internationaux, tandis que le Protocole additionnel II visait le même objectif dans le cas de conflits armés non internationaux, y compris les guerres civiles.

Durant les années 80 et 90, d’autres traités internationaux sont entrés en vigueur, qui ont interdit certaines armes classiques, telles que les mines antipersonnel, ainsi que les armes chimiques. Ne serait-ce que l’an dernier, plus d’une centaine d’États ont signé un traité historique contre l’emploi des armes à sous-munitions.

Enfin, des progrès considérables ont été accomplis pour rechercher et punir les auteurs de crimes de guerre, grâce au travail des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, et à l’établissement de la Cour pénale internationale.

Pour moi, tout cela indique que le droit international humanitaire est véritablement capable d’évoluer avec le temps.

Que pourrait-on encore faire pour codifier davantage le droit international humanitaire, et quels autres défis observez-vous actuellement concernant le droit et la réalité sur le terrain ?

Il est encore possible de renforcer et de clarifier le cadre juridique existant. Par exemple, le CICR a récemment publié un guide interprétatif sur la notion de « participation directe aux hostilités ». Ni les Conventions de Genève ni les Protocoles additionnels expliquent clairement ce que cela signifie réellement. Or, c’est une question cruciale, car, au regard du droit, les civils perdent leur protection en cas d’attaque dirigée contre eux lorsqu’ils participent – et tant qu’ils participent – directement aux hostilités. Si l’on n’a pas la même interprétation de ce point de droit, les civils risquent d’être victimes d’attaques erronées ou arbitraires.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Imaginez un chauffeur de camion civil qui livre des munitions à une position de tir sur la ligne de front. On pourrait certainement considérer cela comme une participation directe aux hostilités. Mais qu’en est-il si ce même chauffeur transporte des munitions depuis une usine à un port éloigné de la zone de conflit ? Selon nous, s’il soutient aussi l’effort de guerre, ce chauffeur ne participe pas directement aux combats et est donc protégé contre toute attaque.

Ces questions sont d’autant plus pertinentes lorsque vous considérez que les fonctions militaires traditionnelles sont de plus en plus sous-traitées à des entreprises privées, et que les civils soutiennent régulièrement des groupes armés non étatiques à travers différentes activités allant du soutien militaire et logistique à la fourniture de vivres et d’abris pour les combattants.

D’autres défis se posent concernant les conflits armés non internationaux, où des problèmes majeurs sur le plan humanitaire ne sont pas couverts par les traités de droit humanitaire existants. Les règles de droit international humanitaire coutumier ont comblé certaines de ces lacunes, mais il reste des domaines où le droit pourrait être davantage clarifié et étoffé. Par exemple, il n’existe actuellement pas de cadre détaillé établissant des garanties, en matière de procédure, visant les personnes internées pour des raisons de sécurité en relation avec un conflit armé non international. De telles garanties sont nécessaires, notamment pour que les personnes ne soient détenues que s’il y a des raisons valables de les détenir.

Ce qu’on appelle la « guerre mondiale contre le terrorisme » a déclenché un vaste débat sur le droit international humanitaire. Que disent en fait les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels au sujet du terrorisme ?

Je pense qu’il est légitime de dire que ce qui s’est passé le 11 septembre 2001 et ses conséquences ont mis, comme jamais auparavant, le droit humanitaire à rude épreuve.

Au fond, les opinions ont divergé sur la question de savoir si la « guerre contre le terrorisme » équivalait en fait à un conflit armé. Parallèlement, il y a eu des discussions pour savoir si les terroristes présumés détenus dans le contexte de cette lutte étaient couverts par le droit humanitaire.

Personnellement, je crois que les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels contiennent de nombreuses réponses pertinentes à ces questions. Après tout, le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau. Les quatre Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels interdisent expressément tout acte de terrorisme.

Pour ce qui est des mesures à prendre face aux menaces que constitue le terrorisme, je crois aussi que les Conventions sont efficaces dans la mesure où elles mettent en balance les préoccupations des États concernant leur sécurité et le respect de la dignité humaine.

Mais le droit humanitaire ne doit s’appliquer qu’à des situations où la lutte contre le terrorisme équivaut dans les faits à une guerre. Les actes terroristes commis en dehors d’un conflit armé doivent être combattus au moyen de la législation nationale ou internationale, plutôt que du droit international humanitaire. Ces moyens comprennent la collecte d’informations, la coopération policière et judiciaire, le gel des valeurs ou les pressions diplomatiques et économiques sur les États accusés d’aider les terroristes présumés. Le droit humanitaire ne devrait pas s’appliquer à des situations pour lesquelles il n’a pas été prévu.

Cependant, le débat déclenché par les événements du 11 septembre a révélé de possibles lacunes ou failles dans le droit international humanitaire. Par exemple, en ce qui concerne la détention des terroristes présumés dans des situations de conflit armé, certains aspects de l’article 3 commun aux quatre Conventions sont flous et doivent être clarifiés. Ainsi, s’agissant des conditions de détention, le droit devrait aller au-delà de la notion basique de traitement humain et être plus spécifique. De la même façon, il n’existe aucune orientation précise sur les garanties en matière de procédure (examen des motifs de la détention) auxquelles ont droit les personnes détenues pour des raisons de sécurité.

Comme vous l’avez relevé plus tôt, la Seconde Guerre mondiale a poussé le CICR à refaire campagne pour étendre les Conventions à la protection des civils. Pourquoi cela a-t-il été important et comment les choses ont-elles évolué depuis lors ?

En 1949, tout le monde était encore sous le choc de la Seconde Guerre mondiale – un conflit armé international sans précédent. Y avaient participé la majorité des nations du monde, et plus de 100 millions de militaires avaient été mobilisés. Plus de 70 millions de personnes – des civils pour la plupart – avaient été tuées, faisant de ce conflit le plus meurtrier de l’histoire.

La quatrième Convention de Genève et, plus tard, les Protocoles additionnels, ont constitué des avancées majeures en termes de protection offerte aux civils, mais la triste réalité, c’est que la population civile continue de payer un lourd tribut lors des conflits actuels.

L’un des principaux changements constatés depuis 1949, c’est la nature de plus en plus asymétrique des guerres. J’entends par là les situations où la formation et le matériel de guerre d’une partie sont de loin supérieurs à ceux de l’autre. Généralement, cela arrive lorsque des forces armées bien équipées et entraînées affrontent des groupes rebelles. Ces différences ont, dans certains cas, été utilisées par le camp le plus faible pour expliquer pourquoi il n’a pas respecté les règles fondamentales du droit humanitaire. Cela peut facilement devenir un cercle vicieux où chacune des parties justifie ses manquements aux règles du droit humanitaire en montrant du doigt son ennemi.

Autre évolution notable, les opérations militaires ont de plus en plus souvent lieu dans des zones urbaines fortement peuplées, et des armes lourdes ou hautement explosives sont fréquemment utilisées. De Grozny à Mogadiscio et de Bagdad à Gaza, les conflits armés ont des conséquences dévastatrices sur la population civile.

Que pensent les personnes les plus touchées par la guerre des questions telles que la protection des civils ou les comportements acceptables en temps de guerre ? Les gens que vous essayez d’aider croient-ils à l’efficacité des Conventions de Genève ?

Le CICR a récemment mandaté un sondage d’opinion dans huit pays touchés par un conflit ou une situation de violence, afin d’avoir l’avis des gens sur la conduite des hostilités et d’autres questions connexes.

La grande majorité des personnes interrogées adhèrent aux principes essentiels du droit international humanitaire et à l’idée selon laquelle même les guerres devraient avoir des limites. Mais l’enquête montre également qu’en réalité, un nombre bien moindre de personnes savent que des règles existent en la matière. Cela étant, certains doutent que le droit ait un réel impact sur le terrain.

Outre le fait que des civils continuent d’être tués, séparés de leurs proches ou contraints de fuir de chez eux lors des conflits à travers le monde, les résultats de l’enquête indiquent que ce que nous devons réellement faire, c’est respecter davantage le droit.


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