Dossier Mexique : libéralisme et guerre des drogues ( 2 articles)

mardi 25 août 2009.
 

1) Au Mexique, le narcotrafic - roi

L’intégralité de l’entretien avec Carlos Florès, spécialiste mexicain du narcotrafic, et chercheur au Centre de recherche et d’études supérieures en anthropologie sociale (CIESAS, Mexique), publié dans l’Humanité vendredi.

Quelle est la situation actuelle du narcotrafic au Mexique ?

Carlos Florès. Le narcotrafic a proliféré à des niveaux sans précédent en ce qui concerne sa présence dans le pays, sa capacité de violence, et son effet déstabilisateur sur l’Etat mexicain. Dans divers régions du pays, la violence détériore rapidement les conditions sociales et met en doute la vigueur de l’Etat en tant que structure institutionnelle capable de garantir les aspects les plus fondamentaux de la sécurité des citoyens. L’argent du narcotrafic a probablement servi au financement de plusieurs campagnes électorales. Tout cela mine la consolidation démocratique du pays, étant donné que celle-ci ne dépend pas seulement de la tenue d’élections, mais aussi du renforcement d’un Etat de droit transparent et fort, dans lequel fonctionne effectivement les valeurs et processus institutionnels de transparence, et de responsabilité des autorités devant les citoyens.

Quel bilan faites vous de la stratégie de « guerre contre les drogues » du président Felipe Calderon ?

Carlos Florès. Elle laisse de côté certains aspects indispensables à une diminution durable de la violence due à la délinquance organisée. Les transformations institutionnelles et accords politiques pour mettre fin à l’impunité et à la corruption - systèmes informels d’opération utilisés par de multiples entités et pouvoirs étatiques- n’ont pas été mis-en-place. Ceci est la cause de fond de la criminalité organisée qui touche le Mexique. La délinquance organisée a pu y proliférer non pas seulement grâce à ses propres capacités et à une situation géographique avantageuse (à la frontière du plus grand marché de drogues au monde, les Etats-Unis), mais à cause d’un régime politique qui a favorisé la reproduction de la corruption, et la capture d’institutions étatiques par des intérêts privés, voir criminels.Cette situation ne s’est pas modifiée sur le fond, malgré l’alternance à la présidence il y a presque dix ans. Les pouvoirs publics n’ont pas non plus été capables de détecter et d’immobiliser les actifs patrimoniaux et financiers des organisations. Cet aspect a pourtant fait recette dans les pays touchés par des activités criminelles. Cela s’est fait en Italie, aux Etats-Unis, et même en Colombie, où ça a permis de donner un coup décisif il y a quelques jours à une organisation délinquante d’origine mexicaine. Le manque de résultats des autorités mexicaines dans ce domaine est surprenant.

Quelle est votre réaction au récent rejet au Congrès américain de l’octroi d’une parti de l’aide (100 millions de dollars) accordée au gouvernement mexicain pour la lutte contre le narcotrafic ?

Carlos Florès. Cela prouve que la communauté internationale analyse avec plus de détails le problème de sécurité au Mexique, à partir d’une information plus diversifiée, au-delà de l’information généralement auto-complaisante fournie par le gouvernement mexicain . Tandis que les plus hautes sphères de décision du pays lance le défi de prouver un seul cas où des institutions de sécurité mexicaines auraient violé les droits de la population, de nombreuses organisations nationales ou étrangères, d’Human Rights Watch, au Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, en passant par la propre Commission nationale des droits humains, ont mises en avant de multiples irrégularités en la matière. La stratégie gouvernementale parait n’insister que sur le déploiement de forces fédérales pour contenir la violence. Elle a été insuffisante. Elle a débuté au Michoacan (Etat mexicain) en 2007, et deux ans plus tard, avec l’aggravation de la situation, il n’y a plus d’autre option que d’envoyer de nouvelles troupes. En aucun endroit du monde, une politique contre la délinquance organisée paramilitarisée ne peut être victorieuse sans appliquer des politiques de reconstruction institutionnelle et de prévention sociale qui évitent que les organisations du crime ne se légitimisent auprès d’une base sociale appauvrie et souvent oubliée par l’Etat.

Comment pourrait être gagné, à long terme, le combat contre les cartels ?

Carlos Florès. C’est une question très simple, mais qui contient en réalité des débats complexes. Il n’y a pas de solution facile et immédiate pour un problème qu’on a laissé pourrir et auquel on n’applique pas les mesures de fond qui pourrait permettre son éradication. aucun pays n’est réellement en mesure de désarticuler complètement un marché illicite de la demande de drogues, ni d’éliminer complètement le problème de la délinquance organisée. Plus le temps passe, plus les variables deviennent compliquées, et moins la solution est visible. Il y a quelques années par exemple, il aurait été possible de maintenir la lutte contre la délinquance organisée à partir de la police. A présent, le caractère paramilitaire de la criminalité, fait qu’il sera de plus en plus difficile de se passer de l’armée, qui possède un capacité de contrôle forte. L’incapacité chronique des autorités mexicains à générer des institutions policières fiables et efficaces a conduit à la nécessité de maintenir les forces armées dans une tâche pour laquelle elles ne sont pas réellement qualifiées et dans où elles seront de plus en plus discréditées, étant donné la forte probabilité que perdurent les violations des droits des citoyens. Cependant, le problème de sécurité n’est pas seulement celui des forces armées, car le système judiciaire dans son ensemble ne fonctionne pas et n’est pas capable de surveiller les détenus dangereux. Les multiples évasions le démontrent. Beaucoup de processus (judiciaires) sont viciés, et les condamnations obtenues sont infimes. Le combat contre la corruption n’est pas réalisé de manière systématique. Il est très difficiles d’atteindre les présumés coupables appartenant aux hautes sphères du pouvoir, car ils bénéficient d’une autorité institutionnelle et de multiples protections légales, héritées du régime autoritaire duquel nous sortons et que dix ans de présidence du PAN (parti libéral), n’ont pas réussi à démanteler. Je ressens la responsabilité d’insister sur la nécessité de promouvoir la réorganisation et la reconstruction des institutions policières, pénales, pénitentiaires, et judiciaires, pour une démocratie plus seulement de discours, mais effective dans ses principes et pratiques quotidiennes. Néanmoins, ce type de tâches peut prendre du temps et la construction de telles institutions est question de plusieurs années. Au vu de l’état de détérioration des institutions et des conditions économiques difficiles favorisant la pauvreté et la délinquance organisée, et un manque de perspectives des autorités constituées, le panorama mexicain apparaît considérablement obscurs.

Entretien réalisé par Léonor Lumineau-Marsaudon

2) Libéralisme et guerre des drogues, le mauvais trip mexicain

Mexique . Le président Calderon a choisi l’option militaire pour mettre fin aux cartels. Mais les « narcos » n’ont jamais été aussi puissants, plongeant le pays dans une insécurité sans précédent.

Quarante morts entre trois jours. C’est le dernier bilan macabre des violences liées aux cartels de la drogue au Mexique. Ultime cadavre en date, celui d’un garçon de quatre ans, victime collatérale d’un règlement de compte au cours duquel la voiture de ses parents a été criblée de balles par des tueurs. Malgré la mise en avant de chiffres impressionnants par lesquels le gouvernement mexicain entend prouver la réussite de la « guerre contre les drogues », un nombre croissant de voix s’élèvent pour réclamer un débat plus profond sur la question et s’emploient à souligner les limites et dérives d’une politique militarisée ultra-répressive.

Depuis son élection en 2006, le président Felipe Calderon a en effet lancé le Mexique dans une véritable guerre contre les trafiquants. L’armée a été appelée à la rescousse d’une police minée par la corruption, et impuissante face à la violence des « narcos ». Environ 36 000 soldats et policiers ont ainsi été déployés dans les États les plus affectés par les activités des cartels.

Ciudad Juarez, ville frontière du Nord, est devenue la vitrine de la « guerre contre les drogues ». Sept cadavres liés au crime organisé y seraient découverts quotidiennement. Dix mille militaires et policiers y ont été envoyés en 2008. Selon les habitants, si la violence a baissé à leur arrivée, le bain de sang a repris une fois les trafiquants « habitués. » Il s’est même aggravé.

L’efficacité de la militarisation reste aussi à prouver à l’échelle nationale. La presse mexicaine a ainsi fait état début août d’un nouveau record macabre : déjà 4 300 morts liés aux cartels depuis janvier 2009 (5 300 en 2008). L’attaque frontale, bien que médiatiquement intéressante, ne serait pas forcément la plus efficace pour le long terme. Elle aurait même des effets pervers. Les témoignages de violations des droits de l’homme perpétrées par des militaires peu formés se multiplient… Elles restent systématiquement impunies, puisqu’aucun cadre légal n’est prévu pour leurs activités dans la lutte contre le narcotrafic.

Plusieurs questions restent aussi en suspens. Quid des garanties que les militaires ne succomberont pas, eux aussi, à la corruption endémique qui ronge la police et rend inefficace toute tentative contre les cartels ? Certainement pas les salaires. Et comment ne pas craindre que des soldats corrompus vendent aux rois de la cocaïne techniques et matériel militaires, rendant par cette occasion la lutte vouée à l’escalade stérile de violence ? Rappelons que le groupe Los Zetas, regroupant de sanguinaires tueurs à la solde du cartel du Golf, fut créé à la fin des années 1990 par d’anciens hauts gradés de l’armée mexicaine attirés par les sommes astronomiques brassées par le business des drogues.

Auparavant gardées hors du débat public, les voix plaidant pour une approche préventive sont aujourd’hui davantage écoutées. L’efficacité de la belliqueuse « guerre contre les drogues » reste très largement soumise à l’assainissement en profondeur des forces de police, à la fin de l’impunité judiciaire, à la mise en place d’une politique sociale de grande envergure, et surtout, à l’assainissement d’un personnel politique historiquement trempé dans le commerce des drogues illicites.

Léonor Lumineau-Marsaudon


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