Du Congo belge à l’assassinat de Lumumba

vendredi 19 janvier 2024.
 

- 30 juin 1960 : Patrice Lumumba proclame l’indépendance du Congo
- 17 janvier 1961 : Assassinat de Lumumba, président élu du Congo, par la Belgique, les USA, la Grande-Bretagne et la France

La république Démocratique du Congo a connu depuis 40 ans d’innombrables et atroces guerres civiles. Il s’agit pourtant d’un vaste pays avec 2 345 000 km2, en gros la superficie de l’Europe occidentale. Sa population approche les 63 millions d’habitants, avec le français pour langue officielle.

Ce pays paraissait apte à connaître un développement économique et démocratique au début des années 1960. Malheureusement, ses richesses naturelles ont toujours occasionné convoitises et cupidité : diamant, or, cuivre, bois, café, caoutchouc, étain, coltan, bauxite, fer, manganèse, pétrole, gaz...

1) La colonisation du Congo par la Belgique

De 1880 à 1920, l’armée belge et les milices privées des firmes, couverts par les missionnaires catholiques, répandent la terreur au Congo pour exploiter le caoutchouc au plus près de leurs intérêts. La moitié de la population est exterminée, soit environ 10 millions de morts (plus que la Shoah).

Telle est la conclusion de plusieurs études récentes d’Adam Hochschild, de Mark Dummet, de Jan Vansina...

"Esclavagisme, déportations, guerres, massacres, pillages, captures, emprisonnements et tortures étaient les moyens et les méthodes utilisés pour forcer la population à récolter le caoutchouc et à le livrer aux autorités coloniales" (Pressafrique)

Plusieurs ouvrages récents (Les fantômes du roi Léopold, par exemple) n’hésitent pas à parler de génocide et d’holocauste pour caractériser le Congo colonial.

2) La décolonisation

En 1955, le gouvernement belge envisage une décolonisation du Congo sur 30 ans. La Guerre d’Algérie, le processus de décolonisation de l’Afrique noire, les émeutes des 4 et 5 janvier 1959 à Léopoldville l’obligent à précipiter ce choix tout en cherchant à conserver d’une part une main mise économique, d’autre part des dirigeants politiques à sa solde.

La popularité de Patrice Lumumba, animateur du Mouvement National Congolais va contrarier ce plan. Cet humaniste attaché aux objectifs d’émancipation du Tiers Monde remporte les élections puis est élu chef du gouvernement.

Le 30 juin 1960, il prononce un discours intéressant à mettre en ligne ici pour deux raisons :

- d’une part, d’après de nombreux historiens, il scelle la décision de l’assassiner prise par les USA, la Belgique et divers exploiteurs du pays.

- d’autre part il tord un peu le cou à l’image de peuple arriéré que les médias donnent souvent du Congo.

3) La proclamation d’indépendance par Patrice Lumumba

"Cette indépendance du Congo est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami que nous traitons d’égal à égal... C’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang... Ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses pour que nous puissions les chasser de notre mémoire.

Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « Tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « Vous » honorable était réservé aux seuls blancs ?

Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs : qu’un noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens, qu’un noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d’injustice ?

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert, mais tout cela aussi, nous, que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons, tout cela est désormais fini.

La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants (...) ».

4) La sécession du Katanga et l’intervention armée de l’ONU

Du 10 au 20 juillet 1960, l’armée belge toujours présente au Congo, prend possession de la riche province minière du Katanga. Le gouvernement du général de Gaulle "fournit les premiers mercenaires qui permirent au gouvernement sécessionniste katangais de mettre sur pied une "gendarmerie" de sinistre mémoire" (ouvrage cité ci-dessous).

Le 12 juillet, le gouvernement légaliste et confiant de Patrice Lumumba commet l’erreur de demander à l’ONU "une aide militaire contre l’actuelle agression extérieure".

L’ONU déploie ses troupes..., en fait pour protéger la sécession du Katanga. Le récent livre de Bruno De Witte aux Editions Kartala ( L’assassinat de Lumumba) donne de nombreuses preuves de la détermination des dirigeants américains et de l’ONU à écraser Lumumba considéré comme un danger pour les intérêts des grandes firmes.

En fait, Lumumba ne méritait ni cette caractérisation ni cette haine. Il se rend aux Etats Unis pour demander l’aide du président mais il n’est même pas reçu.

5) L’assassinat de Lumumba

L’ONU, les Etats Unis, la Belgique... réussissent peu à peu à isoler Patrice Lumumba, chef du gouvernement, dans son propre pays, et même dans sa propre capitale.

Devant le refus de l’ONU de l’autoriser à participer aux obsèques de sa fille, Lumumba tente de quitter Léopoldville le 27 novembre 1960, caché sous les pieds des passagers de la banquette arrière d’une chevrolet. Plusieurs membres du gouvernement et dirigeants du pays font de même dans d’autres véhicules pour ne pas être arrêtés par les "casques bleus" de l’ONU.

Malheureusement, Lumumba est tellement populaire que son voyage devient triomphal, attirant des foules immenses. Lumumba, Okipo et Mpolo sont "arrêtés" par un commando.

A ce moment-là, les gouvernements des Etats-unis, de la Belgique, de la france et de la Grande-Bretagne ont déjà décidé de tuer Lumumba par crainte que leurs grandes entreprises perdent des profits dans l’exploitation des richesses minières du Congo. La CIA , le M16 (services secrets britanniques), le SDECE français et la Belgique organisent le meurtre du premier ministre élu.

Mi-janvier 1961, un avion français avec pilote français enlève Lumumba, violemment tabassé tout au long du parcours. Des soldats arrachent les cheveux et la barbiche du premier ministre congolais et l’obligent à la manger.

A l’arrivée au Katanga, devant un parterre d’officiers belges, les trois dignitaires congolais sont à nouveau passés à tabac. Le contingent suédois de l’ONU, présent, n’intervient pas. D’après les informations dont nous disposons actuellement, c’est le service de renseignement britannique MI6 (en particulier sa diplomate espionne Daphné Park) qui supervise l’assassinat du premier Premier ministre du Congo indépendant (révélation d’un Lord, David Edward Lea).

"L’ombre de la CIA a plané sur l’opération" affirme un enquête de La Libre Belgique ; sans aucun doute. En 2001 une commission d’enquête parlementaire belge a conclu à la "responsabilité morale" de la Belgique qui a présenté ses excuses au Congo.

Dans la soirée du 17 janvier 1961, Lumumba, Okipo et Mpolo sont exécutés dans des conditions, semble-t-il, inhumaines.

Les populations congolaises se soulèvent aussitôt, aux quatre coins du pays. Elles tiennent les deux tiers du pays. Mais l’aide militaire sophistiquée des Etats Unis et d’Israel au dictateur Mobotu permet d’écraser ces forces peu armées.

La place est alors libre pour que les USA installent la dictature du maréchal Mobutu qui restera à la botte des multinationales durant presque 30 ans, laissant un pays en lambeaux. Quand la télé nous montre ces populations affamées, ces longues colonnes de fuyards, ces bandes mafieuses surgissant de la jungle, n’oublions pas qu’il s’agit là du résultat d’une politique "libérale" et non d’une "nature" de populations immatures.

Jacques Serieys

Information complémentaire : l’ouverture récente de quelques dossiers d’archives de la CIA a permis d’apprendre :

* que les USA avaient effectivement décidé d’assassiner Lumumba

* qu’ils ont tenté plusieurs solutions comme du poison sur sa brosse à dents...

Honte à ceux qui passent ce type de mépris des droits humains par pertes et profits.

Patrice Lumumba Une tête mise à prix par le monde capitaliste

B) Les crimes de la Belgique coloniale au Congo. Devoir de mémoire

Par Eric Toussaint

Exposé présenté lors d’une conférence organisée le mardi 12 juin 2007 à Liège par le CADTM sur la période historique du Congo soumis à Léopold II (1885-1908).

En premier lieu, je voudrais aborder la question du contexte historique dans lequel le Congo devient un Etat soumis à la Belgique par l’intermédiaire de son roi, Léopold II. Ensuite, j’analyserai une série d’éléments sur l’exploitation du Congo.

La démarche du CADTM, qui co-organise cette activité avec différentes associations liégeoises, se situe dans le cours et le moyen terme. Il s’agit de lancer un débat absolument nécessaire sur la mémoire, sur le rôle de la Belgique, très concret, à l’égard du peuple congolais, de la fin du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui.

Ce soir, nous allons aborder la période du Congo soumis à Léopold II (1885-1908). L’idée est d’organiser une série d’activités dans les huit ou neuf mois qui viennent pour décrire la situation jusqu’à aujourd’hui. Après cette soirée, nous aborderons la période 1908 à 1960 quand le Congo passe de Léopold II à la Belgique, l’indépendance du Congo en 1960, les circonstances de cette indépendance, l’assassinat du premier ministre congolais Patrice Lumumba, le rôle de la Belgique dans le soutien et dans l’organisation de cet assassinat, son soutien à la dictature de Mobutu ; la fin du régime de Mobutu et la période ouverte par la fin de Mobutu, c’est-à-dire, la période actuelle qui s’étale sur dix ans, de 1997 à 2007.

Nous pensons convoquer des activités non seulement à Liège mais à Bruxelles, à Mons, à Ostende et dans d’autres villes, parce que ce pays est empli de symboles qui renvoient à la période de Léopold II. Des symboles qui, pour la plupart, comme la plaque de bronze de l’hôtel de ville de Liège, ont été construits, créés dans les années 1930, dans un contexte bien précis : il fallait faire oublier les atrocités de l’époque léopoldienne.

En effet, au début du 20e siècle, dans le cadre d’une campagne internationale de protestation contre les crimes dont se rendait coupable le régime de Léopold II au Congo, une période d’opprobre frappe Léopold II. Puis, on enregistre au cours des années 1930, une sorte de réhabilitation de Léopold II : on érige des statues équestres de Léopold II et on inaugure des plaques « commémoratives » dans une série de lieux publics extrêmement importants au niveau de la mémoire, comme le hall de l’hôtel de ville de Liège.

Nous voulons aborder d’une manière tout à fait critique, avec un parti pris de mise en cause, ces aspects de l’Histoire de manière à ce que la Belgique assure réellement un devoir de mémoire, une obligation de mémoire. Comme le disait José Mukadi qui a introduit cette soirée, des débats ont agité en Belgique, dans les huit derniers mois, sur la question de savoir s’il fallait permettre à un nouvel élu municipal de siéger dans un conseil communal alors qu’il niait le génocide arménien du début du 20e siècle. Par contre, le silence est de mise lorsqu’il s’agit des actions du Roi des Belges au Congo de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle. Il y a là une mémoire tout à fait sélective des mandataires politiques belges, de la presse, de certains professeurs d’université. Notre rôle consiste à réintroduire dans le débat, dans les questions de société, la responsabilité de la Belgique à l’égard du peuple congolais.

Il s’agit d’un travail qui s’étendra sur plusieurs mois. Nous convoquerons, avec d’autres organisations, une journée d’étude à Bruxelles où nous ferons appel à une série d’historiens en leur donnant le temps d’exposer les faits et de débattre. Je précise que moi-même, je ne suis pas docteur en histoire, je suis historien de l’école normale de Jonfosse et docteur en Sciences politiques de l’université de Liège et de l’université de Paris VIII.

Mise en perspective historique de la colonisation du Congo

A la fin du 18e siècle, soit plus d’un siècle avant le démarrage de la colonisation léopoldienne du Congo, les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord, suite à une guerre d’indépendance, se libèrent de la couronne britannique. La Grande-Bretagne, dans une autre partie de la planète, renforçait son emprise, en imposant la colonisation de l’Asie du Sud, l’Inde au sens large, de la fin du 18e siècle jusqu’au milieu du 20e siècle. De leur côté, les Hollandais renforçaient leur domination sur l’Indonésie. Ceux qui luttaient pour la libération, pour la suppression des colonies, ne se limitaient pas aux descendants européens – récemment immigrés - qui ont obtenu l’indépendance des 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord pour fonder ensemble, en 1776, les Etats-Unis d’Amérique du Nord.

Un peuple extrêmement courageux, un peuple noir descendant direct d’Africains, le peuple d’Haïti, conquiert aussi son indépendance en 1804 contre la domination française. Au cours des vingt années suivantes, des guerres d’indépendance sont livrées en Amérique Latine. Elles sont dirigées par des personnes comme Simon Bolivar qui va défaire, en plusieurs batailles, les troupes espagnoles qui dominent une grande partie de l’Amérique Latine. Je mentionne tout cela parce que, à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle, alors que toute une série de pays conquièrent leur indépendance aux Amériques, l’Afrique subsaharienne est encore largement non colonisée par les Européens. Cela ne l’empêche pas d’avoir subi les effets de la colonisation des autres continents par le biais du commerce triangulaire et de la traite des Noirs. Plusieurs dizaines de millions d’Africains sont réduits en esclavage et transportés de force aux Amériques entre le 17e siècle et le milieu du 19e siècle. C’est dans le quatrième quart du 19e siècle que l’Afrique subsaharienne tombe complètement sous le joug colonial des pays européens : Grande-Bretagne, France, Portugal, Allemagne, Belgique ... principalement.

Léopold II, deuxième roi des Belges, cherche à doter son pays d’une colonie

Léopold II envisage de coloniser une partie de l’Argentine, puis il se tourne vers les Philippines et il en demande le prix aux Espagnols. Ce prix est trop élevé, il ne peut pas le payer. Finalement, il jette son dévolu sur l’immense bassin du fleuve Congo. Pour ce faire, il utilisera la ruse afin de ne pas entrer en conflit avec les grandes puissances européennes qui sont déjà, elles, d’importantes puissances coloniales et qui auraient les moyens de réduire à néant les ambitions coloniales de la Belgique, venue tardivement réclamer sa part du gâteau. Avant de devenir roi, Léopold II avait parcouru une partie importante du monde colonial : Ceylan, l’Inde, la Birmanie, l’Indonésie. Il tomba en admiration au cours de ses voyages devant les méthodes des Pays-Bas à Java en Indonésie. Java était pour lui le modèle à suivre et c’est ce qu’il appliquera lors de sa colonisation au Congo. Le modèle javanais reposait sur la main d’oeuvre forcée. Au 19e siècle, les arguments utilisés par les Européens pour coloniser l’Afrique et l’Asie étaient principalement les suivants : christianiser les païens ; apporter à tout le monde les bénéfices du libre commerce (cela reste très actuel…) et, dans le cas de l’Afrique subsaharienne, en finir avec la traite des esclaves par les Arabes.

A partir de 1865, quand Léopold II accède au trône, il entreprend de nombreuses initiatives pour doter la Belgique d’une colonie. Par exemple, en 1876, il organise au palais royal une conférence géographique internationale. Selon lui, l’objectif - et c’est cohérent par rapport au prétexte qui était utilisé à l’époque - est : « Ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’ait point encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent des populations entières, c’est, j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. (...) Il m’a paru que la Belgique, État central et neutre, serait un terrain bien choisi pour une telle réunion. (...) Ai-je besoin de vous dire qu’en vous conviant à Bruxelles, je n’ai pas été guidé par des vues égoïstes ? Non, Messieurs, si la Belgique est petite, elle est heureuse et satisfaite de son sort ; je n’ai d’autre ambition que de la bien servir. ». Et il explique qu’avec cette société internationale de géographie où il a convoqué une série de grands explorateurs, il s’agira de construire des routes à ouvrir successivement vers l’intérieur et des stations hospitalières, scientifiques et pacificatrices qui constitueront autant de moyens d’abolir l’esclavage, d’établir la concorde entre les chefs, de leur procurer des arbitres justes, désintéressés. Cela, c’est le discours officiel. Très peu de temps après, il embauche l’explorateur Stanley qui venait de traverser l’Afrique d’est en ouest en suivant le fleuve Congo jusqu’à son embouchure.

La conférence de Berlin de 1885 et la création de l’Etat indépendant du Congo

En 1885, après de multiples manoeuvres diplomatiques, Léopold II obtient à Berlin l’autorisation de créer un État indépendant du Congo. Le chancelier Bismarck dit en clôture de la conférence de Berlin en février 1885 : « Le nouvel État du Congo est destiné à être un des plus importants exécutants de l’oeuvre que nous entendons accomplir, et j’exprime mes meilleurs voeux pour son développement rapide et pour la réalisation des nobles desseins de son illustre créateur. » Parallèlement à ses discours dans les grandes conférences, Léopold II tient un autre type de propos : les documents qu’il envoie à ceux qu’il délègue dans l’État indépendant du Congo pour le mettre en valeur, ou les déclarations qu’il fait à la presse. Par exemple, le 11 décembre 1906, paraît une interview au journal new-yorkais Publisher’s Press où il dit - je le cite et ayons à l’esprit que nous sommes en 1906, plus de vingt ans après la conférence de Berlin : « Quand on traite une race composée de cannibales depuis des milliers d’années, il est nécessaire d’utiliser des méthodes qui secoueront au mieux leur paresse et leur feront comprendre l’aspect sain du travail ».

Dès le moment où, en 1885, Léopold II peut créer de toutes pièces l’État indépendant du Congo qui est SON État personnel, il prend un premier décret fondamental : toutes les terres considérées vacantes deviennent propriété de l’État. Il s’approprie les terres alors que l’objectif de l’État indépendant du Congo était de permettre aux chefs congolais de s’entendre et de se défendre par rapport aux Arabes qui les réduisaient en esclavage. En réalité, il passe une série de traités, via Stanley, avec une série de chefs coutumiers du Congo, par lesquels ces chefs coutumiers transfèrent la propriété des terres de leurs villages ou de leurs domaines au chef de l’État indépendant du Congo, Léopold II. Les autres terres, un immense territoire, sont déclarées vacantes et deviennent donc aussi la propriété de l’État indépendant du Congo.

Le modèle javanais appliqué par la Belgique de Léopold II au Congo

C’est alors que Léopold II applique le modèle de l’exploitation hollandaise de Java : il exploite systématiquement la population qu’il réussit à dominer notamment par la création de la Force publique, en exigeant de cette population qu’elle récolte du latex (du caoutchouc naturel), des défenses d’éléphants, et qu’elle fournisse la nourriture nécessaire aux besoins des colons. Le roi s’octroie un monopole sur à peu près toutes les activités et les richesses du Congo. Son modèle implique une récolte maximale des richesses naturelles du Congo par des moyens qui n’ont rien à voir avec des méthodes directement modernes de production industrielle. Non, il s’agit de forcer la population congolaise à récolter le latex pour ramener obligatoirement une certaine quantité par tête, à chasser pour ramener d’énormes quantités de défenses d’éléphants. Léopold II entretient une force coloniale dotée d’une armée principalement composée de Congolais et commandée entièrement par des Belges, pour imposer le respect de l’ordre colonial et le respect des obligations de rendement. Il utilisera systématiquement des méthodes d’une absolue brutalité. Par tête d’habitant, il fallait ramener tant de caoutchouc.

Pour forcer les chefs de villages et les hommes à partir à la cueillette, on emprisonnait leurs femmes dans des camps de concentration où elles étaient régulièrement soumises à des sévices sexuels de la part des colons ou des Congolais de la Force publique. Si l’on n’obtenait pas les résultats et les quantités obligatoires, on tuait pour faire des « exemples », ou on mutilait. Des photos de l’époque montrent des personnes victimes de ces mutilations, qui avaient un sens tout à fait précis. Les soldats de la Force publique devaient faire la preuve qu’ils avaient utilisé chaque cartouche à bon escient : ils devaient donc ramener une main coupée pour prouver que la cartouche avait bien servi à tuer un Congolais. La vision, la politique de Léopold II, roi des Belges et représentant des intérêts de la Belgique, du peuple belge, correspondait donc à un mode de colonisation extrêmement brutal.

Il dit d’ailleurs à propos du modèle de colonisation : « Soutenir que tout ce que le blanc fera produire au pays doit être dépensé uniquement en Afrique et au profit des noirs est une véritable hérésie, une injustice et une faute qui, si elle pouvait se traduire en fait, arrêterait net la marche de la civilisation au Congo. L’Etat qui n’a pu devenir un Etat qu’avec l’actif concours des blancs, doit être utile aux deux races et faire à chacune sa juste part. ». Manifestement la part qui revient au Congolais, c’est le travail forcé, la chicote et les mains coupées. Sur la question de l’exploitation sauvage du caoutchouc, je donnerai seulement quelques chiffres : l’exploitation du caoutchouc commence en 1893 et est liée aux besoins en pneumatiques de l’industrie automobile naissante et du développement de la bicyclette. On produit 33.000 kilos de caoutchouc en 1895, on en récolte 50.000 kilos en 1896, 278.000 kilos en 1897, 508.000 kilos en 1898… Les récoltes absolument énormes vont donc rapporter des bénéfices extraordinaires aux sociétés privées que Léopold II a créées, et dont il est l’actionnaire principal, pour gérer des affaires de l’État indépendant du Congo. Le prix du kilo de caoutchouc à l’embouchure du fleuve Congo est de 60 fois inférieur au prix de vente en Belgique. Cela rappelle aussi des choses très actuelles avec les diamants ou le coltan collectés aujourd’hui.

La campagne internationale contre les crimes de la Belgique de Léopold II au Congo

Cette politique a finalement donné naissance à une immense campagne internationale contre les crimes perpétrés par le régime léopoldien. Ce sont des pasteurs noirs des Etats-Unis qui s’insurgent contre cet état de chose, puis le fameux Morel. Celui-ci travaille pour une société britannique à Liverpool et est amené à voyager régulièrement à Anvers. Il fait le constat suivant : alors que Léopold II prétend que la Belgique fait des échanges commerciaux avec l’État indépendant du Congo, les bateaux ramènent du Congo des défenses d’éléphants, des milliers de kilos de caoutchouc, et ne repartent qu’avec des armes, essentiellement, et des aliments pour la force coloniale. Morel pense qu’il s’agit là d’un bien drôle de commerce, d’un bien drôle d’échange. Les Belges de l’époque qui soutenaient Léopold II ne reconnurent jamais cette réalité. Ils affirmèrent que Morel représentait les intérêts de l’impérialisme britannique et ne critiquait les Belges que pour prendre leur place.

Paul Janson, dont le principal auditoire de l’université libre de Bruxelles, porte le nom, dira : « Je ne vais jamais critiquer l’œuvre de Léopold (il était député à la chambre) car ceux qui le critiquent notamment les Britanniques, ne le font qu’avec la politique de ôte toi de là que je m’y mette ». Cependant, les critiques prennent de l’ampleur, avec des livres comme celui de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, et Le crime du Congo belge, un livre trop méconnu de Arthur Conan Doyle, l’écrivain qui a inventé Sherlock Holmes. Une campagne internationale contre l’exploitation du Congo se traduit par des manifestations aux Etats-Unis ainsi qu’en Grande-Bretagne et finit par produire des effets. Léopold II se voit obligé de constituer une commission d’enquête internationale en 1904 qui se déplace sur place, au Congo, pour récolter des témoignages. Les témoignages que cette commission internationale récolte sont accablants. On les trouve tous sous une forme manuscrite dans les archives de l’État belge.

Aujourd’hui, le devoir de mémoire par rapport aux crimes contre l’humanité commis au Congo

Au cours des vingt dernières années, beaucoup de conférences ont été données, des livres ont été publiés pour dénoncer le type d’Etat que Léopold II, Roi des Belges, avait instauré au Congo. Bref, une ample littérature sérieuse s’est ajoutée aujourd’hui aux documents d’époque. On y apprend par exemple que la part du budget que l’Etat indépendant du Congo destinait aux dépenses militaires oscillait bon an mal an entre 38% et 49% des dépenses totales. C’est dire l’importance de la chicotte, l’importance des fusils modernes pour instaurer une dictature utilisant systématiquement l’arme de la brutalité et des assassinats… On peut considérer, sans risque d’erreur, que le Roi des Belges et l’Etat indépendant du Congo, qu’il dirigeait avec l’accord du gouvernement et du parlement belges de l’époque, sont responsables de « crimes contre l’humanité » commis de manière délibérée. Ces crimes ne constituent pas des bavures, ils sont le résultat direct du type d’exploitation auquel le peuple congolais était soumis. Certains auteurs, et non des moindres, ont parlé de « génocide ». Je propose de ne pas engager un débat qui se focalise sur cette question parce qu’il est difficile d’établir exactement des données chiffrées. Certains auteurs sérieux estiment que la population congolaise en 1885 atteignait 20 millions et qu’au moment où Léopold II doit transmettre à la Belgique en 1908 son Congo à la Belgique pour en faire le Congo belge, il restait 10 millions de Congolais. Ce sont des estimations d’auteurs sérieux, mais difficiles à prouver dans la mesure où il n’y avait pas de recensement de population.

Au lieu de millions de victimes, si le nombre de celles-ci s’élevait à des dizaines de milliers ou à des centaines de milliers de victimes innocentes de l’activité coloniale de Léopold II, il n’en resterait pas moins qu’il s’agit de crimes contre l’humanité et qu’il est fondamental de rétablir la vérité historique. Des citoyens, et notamment des jeunes, entrant dans le hall de l’hôtel de ville de la ville de Liège, ou allant de la rue du Trône vers la place Royale à Bruxelles, passent devant la plaque saluant l’œuvre coloniale ou devant la statue équestre de Léopold II. Des citoyens passent devant la statue de Léopold II érigée à Ostende en front de mer. Ils voient un Léopold II majestueux avec, en contrebas, des Congolais reconnaissants, tendant leurs mains reconnaissantes vers lui avec pour seul commentaire le rôle civilisateur de Léopold II pour libérer les Congolais de la traite des esclaves… Il est urgent de rétablir la vérité historique et d’arrêter de mentir à nos enfants, de mentir aux citoyens belges, d’arrêter d’insulter la mémoire des victimes, des descendants des victimes et des descendants des Congolais qui ont subi dans leur chair, dans leur dignité, une domination absolument terrible. Ce devoir de mémoire, il doit être fait ailleurs aussi. Qu’on évite un débat du type : « vous ne faites que critiquer la Belgique et vous taisez ce qui s’est passé ailleurs ».

J’ai commencé mon exposé par situer le contexte : la Grande-Bretagne a dominé de manière extrêmement brutale l’Asie du Sud ; les Pays-Bas ont dominé avec une violence extrême les populations d’Indonésie ; avant cela, on avait exterminé les trois quarts de la population de ce qu’on appelait, à ce moment-là, les Amériques et, dans le cas de la Caraïbe, on en a exterminé quasiment 100% au cours du 16e siècle. L’Etat belge n’a donc pas du tout le monopole de la brutalité, mais nous sommes en Belgique et, en tant que citoyens belges, avec nos amis congolais, avec les ressortissants des différents pays qui vivent en Belgique, il est fondamental de faire ce devoir de mémoire et de rétablir la vérité historique.

Comme nous le proposons, ce peut être en démontant la plaque de bronze qui se trouve dans l’hôtel de ville et en la mettant dans un musée avec toute l’explication nécessaire. Pour le moins, ce peut être en accompagnant cette plaque d’une explication adéquate correspondant à la vérité historique sur la base de travaux scientifiques. C’est pour cela que nous demandons aux autorités communales qu’elles contribuent à rendre justice à la mémoire des citoyens du Congo et d’ici, tous citoyens du monde. C’est aussi pourquoi nous demandons la mise en place d’une commission parlementaire d’enquête sur le passé colonial de la Belgique.

Eric Toussaint

www.cadtm.org

C) La fin du Congo belge et le début du néo-colonialisme

Par Jan Willems

Suite aux révoltes qui éclatèrent en 1959 dans la colonie belge du Congo, la conférence, dite de « la Table Ronde », entre les grands partis belges et les tout nouveaux partis congolais débutait en janvier 1960 à Bruxelles. Cette conférence allait déboucher sur la promesse d’octroyer l’indépendance du Congo pour juin 1960 mais en coulisse le gouvernement et la bourgeoisie belge préparaient la poursuite du pillage des riches ressources congolaises.

Pour comprendre les enjeux de cette conférence, il faut se replacer dans le contexte de l’effondrement du système colonial après 1945. Le choc de la Deuxième Guerre mondiale avait renforcé les contradictions des sociétés coloniales à travers le monde. La guerre avait généré des famines. Elle avait aussi transformé des millions d’hommes colonisés en soldats qui avaient été plongés dans les combats les plus meurtriers et qui ne voulaient plus être traités comme des esclaves. L’explosion anticolonialiste débuta directement à la fin de la guerre avec les révoltes dans l’empire français en Indochine (actuels Vietnam, Laos et Cambodge), à Sétif en Algérie, à Madagascar ainsi que dans l’empire britannique des Indes. Le retrait britannique de l’Inde, la défaite de l’armée française par les combattants anti-impérialistes indochinois en 1954 et le début de la guerre d’Algérie montraient aux grandes puissances impérialistes européennes qu’il serait de plus en plus difficile de garder les colonies comme telles.

Pourtant, le gouvernement belge ne voulu rien savoir. Dès 1946, le gouverneur général belge qui dirigeait le Congo avait pourtant constaté que rien ne serait plus comme avant la guerre et qu’il faudrait changer de système. Mais les gouvernements belges comme la puissante Société Générale de Belgique, la plus grande multinationale belge qui contrôlait les ressources minières du Congo, ne voulait pas lâcher la poule aux œufs d’or. Les colons blancs ne voulaient pas renoncer à leurs privilèges face aux indigènes qu’ils traitaient comme des domestiques et qu’ils exploitaient dans des conditions similaires à celle de l’Europe du 19ème siècle, voire du Moyen Age.

Les filiales des multinationales belges opérant au Congo étaient capables de générer du profit deux fois plus vite que les entreprises opérant en Belgique. La Société Générale et le gouvernement belge pillèrent l’uranium du Congo pour aider le développement de l’armement nucléaire américain et pour développer l’industrie nucléaire belge dans les années 1950 (Electrabel sera une filiale de la Société Générale). A la fin des années 50, l’indépendance du Congo n’était pas à l’ordre du jour de la bourgeoisie belge et de son gouvernement. Ainsi, un rapport officiel belge de 1958 prévoyait que le Congo pourrait éventuellement devenir indépendant dans les années 1980 !

Si la colonie rapportait beaucoup, elle n’avait pratiquement rien coûté aux dirigeants belges. Les infrastructures restaient très peu développées, hormis ce qui était nécessaire à la production et au transport des matières premières pillées par les entreprises belges. Elles avaient été construites par le travail forcé des peuples indigènes du Congo dont l’exploitation brutale de la fin du 19ème siècle s’était traduite par des millions de victimes. Les systèmes, plus que rudimentaires, de santé et d’éducation des congolais étaient principalement organisés par des religieux. En 1959, il n’y avait que quelques dizaines de congolais qui avaient eu accès à l’enseignement supérieur. La modernisation de la colonie s’était donc limitée à ce qui était indispensable au pillage des ressources naturelles du Congo.

Pendant cinquante ans les colonisateurs belges ,« civilisateurs », s’appuyèrent sur les chefs de tribus traditionnels pour diriger la colonie plus facilement et à moindre coût. Cela renforça des logiques tribales qui divisèrent les différentes ethnies congolaises pendant des décennies, qui bloquèrent l’émancipation des femmes et la diffusion des idées progressistes. Il fallait maintenir les colonisés dans l’ignorance et le conservatisme pour éviter des révoltes généralisées contre l’oppresseur colonial.

Le gouvernement colonisateur belge avait tout fait pour limiter l’émergence d’une conscience politique au sein des masses congolaises. Pourtant, l’explosion eut lieu en 1959. Le gouvernement belge se rendit à l’évidence, les populations congolaises ne se laisseraient plus faire comme jadis alors que tant d’autres peuples luttaient pour leur indépendance, y compris par la voie armée. En pleine guerre d’Algérie, le gouvernement belge ne pouvait que constater l’échec de l’armée française empêtrée dans ses guerres coloniales sanglantes, coûteuses et de plus en plus impopulaires en France elle-même. Le Congo ne pouvait pas devenir une autre Algérie.

En janvier-février 1960, le gouvernement belge organisa alors une conférence, dite de « la Table Ronde », à laquelle il invita les grands partis belges (sauf le Parti communiste) et les partis congolais qui venaient de se former. Quelques mois auparavant, le gouvernement belge envisageait encore de garder pendant des dizaines d’années un contrôle belge au Congo sur les affaires étrangères, la défense, l’économie, les transports et communications, la monnaie. Mais face à l’opposition des congolais indépendantistes et la peur d’une révolte générale, il fut convenu de donner l’indépendance au Congo pour juin 1960 ! Les grands partis belges (chrétiens, libéraux et socialistes) prétendirent ainsi « remettre toutes les clefs » du Congo aux Congolais.

Rien n’était plus faux. Le gouvernement belge, la Société Générale et les autres capitalistes belges ayant des intérêts au Congo continuèrent d’intervenir pour garder le contrôle des richesses minières congolaises. Ils décidèrent de créer une guerre civile qui allait déboucha sur la mise en place la dictature sanglante de Mobutu qui soumettra le Congo aux puissances occidentales pendant plus de trente ans !

Après la conférence, dite de « la Table Ronde, le gouvernement belge continua de contrôler l’appareil d’Etat colonial, certains partis congolais et la formation des cadres de l’armée, notamment du premier futur chef d’Etat major, un jeune sergent du nom de Mobutu. Malgré cela, les premières élections virent le succès de Patrice Lumumba, un ancien commis postier et petit employé d’une brasserie qui était devenu militant anticolonialiste. Lumumba voulait bâtir un Congo indépendant, moderne, capable de dépasser les clivages ethniques. Il devint alors le premier ministre du Congo indépendant au grand dam de la bourgeoisie belge qui ne le trouvait pas assez docile. La bourgeoisie belge le présenta comme communiste pro soviétique (ce qu’il n’était pas). Ainsi le grand journal catholique la Libre Belgique n’hésitait pas à la caricaturer avec des cornes de diable et à publier un éditorial qui regrettait que l’armée belge ne l’élimine pas simplement « d’un geste viril » !

Pour casser Lumumba, le gouvernement belge et la Société Générale organisèrent la guerre de sécession de la province du Katanga, la plus riche en ressources minières, dix jours seulement après la proclamation de l’indépendance. Le Congo fut alors plongé dans une sanglante guerre civile. Mais le gouvernement américain s’opposa à l’intervention directe belge car il craignait qu’une démarche aussi grossièrement colonialiste ne renforce le camp anti-impérialiste à travers toute l’Afrique. Le choix des services secrets américains et belges se porta alors sur le servile Mobutu et ils décidèrent d’assassiner Lumumba. Sous le couvert d’une intervention de l’ONU, les gouvernements des Etats-Unis et la Belgique aidèrent Mobutu à prendre le pouvoir organisant un coup d’Etat militaire.

Mobutu devint le dictateur à vie qui allait laisser les multinationales belges, américaines et françaises piller son pays tout en s’enrichissant de manière scandaleuse. Pendant des décennies, Mobutu prit 15 à 18% du budget de l’Etat pour sa présidence, soit environ 100 millions de dollars par an ! A ceux qui osaient le contester, les bourreaux de Mobutu n’hésitaient pas à torturer, à violer et assassiner par milliers les opposants. Cela n’empêcha pas la Belgique de continuer à former des officiers de l’armée du dictateur, pendant que le roi Baudouin et la reine Fabiola devenaient les parrains des enfants de Mobutu !

La corruption, la répression et le pillage systématique du pays par Mobutu et sa clique ainsi que par les grandes entreprises étrangères finirent par provoquer l’effondrement progressif de l’Etat au cours des années 1980-1990. En 1997, le gouvernement de Mobutu fut chassé par les armées voisines du Rwanda et de l’Ouganda et son régime s’effondra. Le pays se retrouva alors plongé dans une guerre sanglante pendant plus de dix ans dans laquelle se sont affrontés des bandes armées des seigneurs de guerre congolais ou étrangers, soutenues par les grandes puissances occidentales comme la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Mais les matières premières ont continué d’être pillées pour le profit des firmes multinationales. En 2007, les Nations-Unies estimaient que, depuis 1997, entre 5 et 10 milliards de dollars de matières premières avaient été pillées pour être revendues sur les marchés internationaux par les divers seigneurs de guerre opérant au Congo. La guerre au Congo a déjà tué plus de trois millions de personnes. Des centaines de milliers de femmes ont été violées et mutilées par des soldats. Ces massacres en ont fait le conflit le plus sanglant dans le monde depuis la deuxième guerre mondiale et le gouvernement actuel n’a aucune marge de manœuvre face aux grandes puissances occidentales et aux entreprises étrangères qui continuent de piller le pays.

Il y a 50 ans se terminait officiellement la colonisation belge au Congo. Mais aussitôt les puissances impérialistes occidentales, en premier lieu la Belgique, les Etats-Unis et la France, mirent en place un système de contrôle indirect qui devait assurer la poursuite du pillage des ressources du nouvel Etat pseudo indépendant. La dictature brutale de Mobutu allait dégénérer au point de mener à une des plus sanglantes guerres de l’histoire de l’humanité. Voilà le triste bilan de la colonisation capitaliste belge au Congo et du système néocolonial mis en place dans les années 1960.

Deux bilans de la colonisation belge au Congo

Lors de la cérémonie de passation de pouvoir pour l’indépendance qui se déroula le 30 juin 1960 à Léopoldville (actuelle Kinshasa), le Roi Baudouin, paré de sa tenue d’apparat militaire coloniale blanche, présenta la version officielle de l’histoire du Congo belge :

« L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie (sic) du roi Léopold II. Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d’abord pour délivrer le bassin du Congo de l’odieux trafic esclavagiste ; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies, jadis ennemies. Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd’hui son couronnement, il ne s’est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur (…)

Ne compromettez pas l’avenir par des réformes hâtives, et ne remplacez pas les organismes que vous remet la Belgique, tant que vous n’êtes pas certains de pouvoir faire mieux. N’ayez crainte de vous tourner vers nous. Nous sommes prêts à rester à vos côtés pour vous aider de nos conseils (…)

C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance (…) ».

Cette vision mensongère et paternaliste niait les millions de morts provoqués par la brutale colonisation organisée par Léopold II à la fin du 19ème siècle, pour des raisons économiques qui n’avaient rien d’humanitaire. Elle niait la répression féroce qui s’était abattue contre ceux qui résistaient aux colonisateurs. Choqué par l’arrogance de Baudouin, Lumumba répondit quelques minutes plus tard par un discours improvisé qui ne faisait que retranscrire la réalité évidente, mais qui allait le faire haïr par la bourgeoisie et par tous les réactionnaires belges.

« Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.

Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des "nègres". Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation ?

Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini ».


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