DU PARTI-ETAT AU PARTI-MOUVEMENT

samedi 29 août 2009.
 

(article extrait du livre « Autogestion : hier, aujourd’hui, demain »)

Quelle forme-parti pour l’autogestion ?

La crise de la forme-parti est un élément de la crise politique contemporaine. Elle en révèle la profondeur et la complexité. Le discrédit et la désaffection qui frappent les partis politiques sont d’une ampleur sans précédent. Tout ce qui surgit de neuf et qui renouvelle les contestations anti-capitalistes sectorielles ou globales depuis Mai 68 en posant la question d’un projet alternatif de société s’est produit en extériorité des partis politiques, y compris de ceux se réclamant du mouvement ouvrier.

Les réponses que tentent d’apporter ces derniers à la crise de la forme-parti sont dérisoires : :abandon de telle notion, nouveau nom donné à telle instance voire au parti lui-même, personnalisation accentuée… Il est vrai que toute leur ambition est de participer à la vie politique telle qu’elle est et aux institutions telles qu’elles sont, sans en remettre en cause les cadres, et de maintenir la cohérence d’un appareil qui prend en charge la représentation des intérêts sociaux légitimant l’existence de ce parti. Pour les autogestionnaires que nous sommes, il s’agit de penser cette crise et non de s’en tenir à l’anecdote ; l’apparition du nouveau est à ce prix. Pour cela un bref retour historique s’impose.

Les labyrinthes de la mémoire

Pour le Marx du « Manifeste communiste », « les communistes ne forment pas un parti distinct des autres partis ouvriers, ils n’ont pas d’intérêts distincts de ceux du prolétariat dans son ensemble. Ils ne présentent pas de principes particuliers d’après lesquels ils prétendent modeler le mouvement prolétarien. Voici ce qui distingue les communistes des autres partis prolétariens : d’une part dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs au prolétariat tout entier ; d’autre part dans les diverses phases que traverse la lutte entre prolétariat et bourgeoisie, ils représentent toujours l’intérêt du mouvement dans son ensemble. Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, celle qui pousse toujours plus avant toutes les autres. Théoriquement, ils ont sur le reste de la masse prolétarienne l’avantage de comprendre clairement les conditions, le cours et les fins générales du mouvement prolétarien »

Cette citation dans son intégralité, replacée dans le contexte du jeune mouvement ouvrier, permet de mieux saisir les deux caractéristiques majeures justifiant, aux yeux de Marx, à la fois la constitution de l’aile la plus éclairée du mouvement ouvrier en organisation politique distincte, et le lien que cette aile marchante doit constamment entretenir sans sectarisme avec les autres structures organisées et avec l’ensemble du mouvement ouvrier. Cette seconde caractéristique a été le plus souvent oubliée dans l’histoire du mouvement ouvrier dans ses phases ultérieures et tout au long du XXe siècle par quasiment toutes les variantes se réclamant de la tradition communiste

Pour le Lénine de « Que faire ? » la conscience spontanée est synonyme d’illusion idéologique et d’inorganisation. La conscience révolutionnaire ne peut être développée que par un parti révolutionnaire rassemblant intellectuels et ouvriers conscients et jouant un rôle d’avant-garde, parti construit de haut en bas à partir d’un noyau organisateur. Le « centralisme démocratique » assure la subordination de la base au sommet, celui-ci étant à ses yeux le congrès et non le sommet d’un appareil, congrès où ont lieu les discussions, où se prennent les décisions, où s’en vérifie l’application. Lénine veut construire un parti sérieux, honnête, démocratique, et sa critique du spontanéisme doit être entendue comme celle d’une conscience spontanée livrée à elle-même et laissée sans travail d’élucidation théorique visant à dégager une orientation. Cette critique n’implique de la part de Lénine aucun mépris à l’égard du mouvement spontané et des initiatives prises par les masses elles-mêmes. C’est ainsi qu’il comprendra l’importance des soviets en Russie. De fait le parti bolchevik fera la révolution d’octobre 17 en étroite relation avec le mouvement des masses, et, notons-le, sans Secrétaire général ni Bureau politique, seulement avec un comité central où Lénine est mis en minorité à plusieurs reprises.

Dès 1904 ce modèle suscite la perplexité et l’inquiétude de Rosa Luxembourg qui insiste sur la nécessité de respecter la démocratie interne et pointe des risques de bureaucratisation. Rosa Luxembourg critique ce qu’elle appelle l’ultra-centralisme de Lénine ; elle craint que doter le Comité central de pouvoir absolus n’aboutisse à renforcer le conservatisme qu’elle juge inhérent à tout organe institutionnalisé, vivant non seulement le Parti bolchevik mais aussi la social-démocratie allemande. Pour elle "les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus précieuses que l’infaillibilité du meilleur comité central". Malgré ses désaccords avec les bolcheviks, elle soutiendra avec enthousiasme la révolution d’Octobre 1917.

Dans un premier temps Trotsky s’oppose lui aussi aux conceptions de Lénine qui supposeraient selon lui le contrôle de tous les membres du Parti par un Comité central omniprésent. Il y voit une conception abstraite et bureaucratique et préconise un parti constitué d’organisations ouvrières autonomes reconnaissant l’influence et les vues générales du Parti. En Octobre 1917 il se rallie aux conceptions de Lénine et adhère au parti bolchévik. Dès lors, il considèrera que l’existence d’un parti révolutionnaire est la condition indispensable de la révolution socialiste et se fait le champion du parti comme instrument de la conquête du pouvoir, parti incarnant la dictature du prolétariat en cumulant l’unité de volonté, l’unité d’organisation et l’unité d’action.

Chez Lénine, le rôle d’avant-garde, la subordination de la base au sommet, la verticalité, sont cohérents avec une stratégie qui tout en admettant comme possible sur le plan de la théorie une révolution pacifique et démocratique, prépare de fait la conquête de l’Etat et la dictature du prolétariat par des voies insurrectionnelles. Le parti bolchevik a pu abattre le tsarisme et remporter la guerre civile. Mais construire l’alternative, comme on dit aujourd’hui, a tout de suite fait problème. Fonctionnant comme un Parti-Etat, centralisant toute vie politique, concentrant la science de la vie sociale et l’apportant de l’extérieur aux masses, le parti bolchevik n’a pu tenir les promesses des soviets qu’il a immédiatement instrumentalisés : les masses ne pouvaient plus s’approprier les conditions de leur vie sociale, de leur transformation de soi ; le Parti-Etat se chargeait de fait de faire la révolution à leur place. Non seulement ce modèle est contradictoire avec une stratégie visant à assurer l’hégémonie des pratiques autogestionnaires dans la société civile, mais le bolchevisme, pratique, culture et organisation, est donc caduc du tout au tout.

La bureaucratisation quasi-immédiate de la Révolution d’Octobre 1917 pour des raisons objectives (situation d’arriération combinée aux effets de la double guerre mondiale et civile) et subjectives (limites propres et conceptions du parti bolchévik) va créer le terrain où se développe la contre-révolution stalinienne, à la fois en continuité et en rupture avec le bolchévisme. Le centralisme démocratique devient un centralisme autocratique, établissant par la terreur le pouvoir absolu du Secrétaire général sur le parti et le peuple entier. Les directions prennent un rôle fondamental et exercent leur pouvoir sur les membres privés de toute autonomie. C’est ce modèle, frauduleusement donné comme fidèle au modèle bolchevik, qui va régir la vie des quelques partis communistes de masse d’Europe occidentale jusqu’aux années 80-90. En France, ce stalinisme ordinaire va laisser la place à une institutionnalisation grandissante et à des réflexes de survie de la part de l’appareil procédant à des réformettes dans une ambiance de sauve-qui-peut théorique, laissant plus de jeu aux structures locales défendant chacune ses intérêts matériels immédiats autour d’un réseau d’élus locaux de plus en plus réduit.

Au début des années 20, Gramsci, aux prises avec les premiers signes du stalinisme, voit les limites du modèle bolchevik pour les pays capitalistes développés. Pour pouvoir mener la guerre de position, pour que les classes subalternes puissent devenir hégémoniques, c’est-à-dire accéder à l’intérêt universel, le parti révolutionnaire doit réintégrer les tâches politique dans la société civile et ne peut plus être le seul centre de médiation politique, le seul lieu de concentration de la vie politique. Le parti révolutionnaire doit être autre chose qu’un anti-Etat. De fait Gramsci renoue avec les meilleures théorisations de Lénine mais il ne définit pas un modèle différent. Il ne pose pas la question des relations avec les autres partis politiques et ne s’interroge pas sur l’identification du parti et de l’Etat pendant la période de transition.

N’en déplaise aux « nouveaux philosophes » des années 80 et devenue aujourd’hui idée reçue, rappeler que la bureaucratisation n’est pas l’apanage des partis révolutionnaires. L’autoritarisme bureaucratique remonte au parti social-démocrate allemand, le SPD, à la charnière du 19e et du 20e siècles. Trahissant les idées de Marx et d’Engels en matière d’organisation, ce parti, qui conjugue l’autocratie et le réformisme le plus plat, va fonctionner le premier comme un appareil d’Etat où les directions toutes puissantes et infaillibles règlent les affaires du parti à l’insu de ses membres et imposent l’unanimité autour de sa ligne, où tout se passe en haut, où la participation aux institutions et aux élections est conçue comme une fin en soi, où le syndical et le social est subordonné à l’intérêt du parti. C’est d’ailleurs Kautsky, tête pensante du SPD, qui avance la thèse de la conscience révolutionnaire apportée de l’extérieur aux masses, thèse reprise par Lénine dans « Que faire ? ». Lénine qui essaiera , tardivement mais en vain, de corriger le tir. De fait toutes les organisations ouvrières qui vont s’installer dans les institutions bourgeoises tout en évoquant de loin en loin la révolution vont se bureaucratiser.

Les tâches du présent

La mémoire mise à jour, reste à accomplir les tâches du présent. Ces tâches ne sont plus exactement celles que Marx proposait à l’aile marchante du mouvement ouvrier, appelée communiste, au milieu du XIXe siècle. Il s’agissait alors d’un jeune mouvement ouvrier dispersé dans une nébuleuse de structures très diverses, sans représentation politique significative .

Un siècle et demi d’expérience du mouvement ouvrier et un capitalisme largement renouvelé et mondialisé sont passés par là : prolongement des révolutions industrielles, extraordinaire développement des forces productives avec des effets profondément contradictoires, révolution scientifique et technique, élévation massive du niveau éducatif et culturel des populations au Nord comme au Sud, mais aussi expérience des échecs tragiques des révolutions anticapitalistes du XXe siècle comme des tentatives réformistes, anciennes de couleur rose, et plus récentes de couleur verte, visant à humaniser le capitalisme en prétendant faire l’économie d’une transformation radicale. La crise de la représentation politique et plus profondément de la politique elle-même est aussi le produit de cette histoire tragique et de ces tentatives inabouties. Ce n’est pas la politique comprise comme « chose publique » et comme « les affaires de toutes et de tous » qui est aujourd’hui rejetée, en particulier dans les milieux populaires, mais la distance grandissante qui s’est instaurée entre la société , ses besoins et ses exigences, d’une part, et d’autre part la représentation « professionnalisée » et le système politique ; le tout sur fond d’absence de perspectives politiques émancipatrices et de projet alternatif consécutives aux échecs de toutes les composantes du mouvement ouvrier, comme de l’écologie politique.. Cette crise renforce également dans les réseaux associatifs et syndicalistes une méfiance tenace vis-à-vis du politique, déjà alimentée par l’héritage négatif d’un siècle qui a vu la grande majorité des partis -petits et grands- du mouvement ouvrier s’efforcer de manipuler associations et syndicats, et y parvenir dans bien des cas. La remarque vaut aussi pour les partis écologistes, historiquement beaucoup plus jeunes et de dimension plus modeste, mais qui ont tenté à leur tour de manipuler par exemple les associations de défense de l’environnement à partir des années 1980. Dans ce dernier cas, l’héritage est moins lourd. Mais le tableau d’ensemble favorise pour nombre de syndicalistes et d’associatifs l’illusion que l’activité politique est superflue et que toute structure politique est à priori suspecte, alors que son caractère généraliste -à la différence des associations et des syndicats dont le champ d’activité est sectoriel- lui donne une fonction de synthèse irremplaçable

C’est donc au présent, et non en prétendant corriger les erreurs du passé, que se joue la définition de la forme-parti. Notre thèse sera qu’il ne faut pas tout abandonner de la forme-parti -la fonction de mémoire, de socialisation et sa vocation d’ancrage populaire demeurent nécessaires- mais qu’il faut la transformer en parti-mouvement. A la fois parti et mouvement, celui-ci sera souple et agile, capable de se dépasser lui-même,ne niant point la spontanéité mais l’aidant à s’organiser elle-même, organisateur permanent de prise de conscience et d’initiative politiques, bannissant toute forme de politique professionnelle et tout pouvoir des directions sur ses membres.

Ce qui est décisif, c’est la fonction politique à assumer. Pour une stratégie autogestionnaire qui ne fait pas de la conquête de l’Etat un préalable, pour qui la participation aux élections n’est pas l’activité principale, il s’agit de favoriser sans attendre toutes les formes d’appropriation sociale et de désaliénation et toutes les capacités à s’organiser, débattre, décider, à développer dans la société civile l’hégémonie des idées et des pratiques autogestionnaires. Quelles sont dans cette perspective les fonctions de la forme-parti ? Il s’agit de porter la mémoire des luttes indispensable à leur pérennité, d’assurer la synthèse entre l’expérience, la pratique et le projet ; de socialiser et mettre en cohérence les luttes ; d’organiser l’expression des mouvements sociaux et des mobilisations citoyennes dans les formes politiques générales qui leur évitent de s’émietter en régressions de type catégoriel ou corporatiste ; d’intégrer en théorie et en pratique les luttes dans un projet d’émancipation global sans lequel ne seront pas mis en cause sur le fond les déterminations essentielles du capitalisme, projet que les mouvements sociaux et les mobilisations citoyennes ne développent pas spontanément, tout au moins d’un point de vue global et avec une vision d’ensemble. Ce travail de synthèse est d’autant plus crucial à notre époque où reste à réaliser la convergence des luttes féministes, écologistes, ouvrières et démocratiques.

Autogestionnaire dans ses objectifs, le parti-mouvement le sera aussi dans son fonctionnement. Les pratiques autogestionnaires, et cela vaut pour la vie interne autant que pour la vie publique, doivent être non pas institutionnelles, ce qui est une forme de bureaucratisation, mais instituantes, c’est-à-dire trouver dans les institutions auxquelles elles donnent naissance leur prolongement et un point d’appui pour de nouvelles conquêtes et de nouveaux pouvoirs.

L’organisation interne du parti-mouvement donne à voir la sincérité de ses convictions et la réalité de son projet. Il s’agira de rompre avec la verticalité et le centralisme, et non pas avec tout forme de centralité, lieu où les pratiques se socialisent, où les propositions se confrontent, où les décisions se prennent et se confirment après débat. Priorité sera donnée aux formes de décision les plus démocratiques. Le développement des réseaux est à la fois une caractéristique majeure et extrêmement positive et l’une des conditions des mobilisations citoyennes et de l’altermondialisme dans la dernière décennie du XXe siècle. Cependant, le principe du réseau ne peut se substituer au parti-mouvement : leurs fonctions ne sont pas identiques, elles sont complémentaires et la forme-réseau peut aussi se déployer au sein du parti-mouvement sans être sa forme d’organisation dominante. Le réseau ne peut assumer l’héritage de ce qu’il convient de conserver des fonctions antérieures de la forme-parti, et il ne peut être paré de toutes les vertus démocratiques : parfois, il est déjà lui aussi à travers l’utilisation d’un outil comme internet le lieu à travers lequel se construisent de nouvelles inégalités au sein même des organisations associatives, syndicales et politiques, tendant à favoriser les individus maîtrisant le mieux l’écrit et l’accès aux sources d’information, et disposant de plus de temps libre que d’autres. Mais la culture en gestation dans le mouvement altermondialiste pourra apporter beaucoup pour favoriser les initiatives individuelles et locales, dans la mesure notamment où elle met l’accent sur « l’ ici et maintenant » des actions à entreprendre et laisse une grande initiative aux groupes et aux individus.

Bannissant tout autoritarisme et toute unanimité imposée, la centralité ainsi conçue pourrait alors assurer sans coercition la cohérence de l’organisation et sa pérennité, l’essentiel étant la participation de tous et de toutes aux initiatives communes, à l’élaboration de la stratégie, du projet et du programme, à la critique permanente. La rotation des responsabilités, et la parité dans tous les lieux d’animation collective -prenant la place des anciennes « directions d’organisations »- sont impératives. Le droit de tendance, lié au pluralisme fondateur indispensable du parti-mouvement, doit être garanti, même s’il ne suffit pas à assurer la démocratie. Priorité sera donnée aux droits et aux initiatives des adhérentes et adhérents et à leur formation critique qui doit tendre à devenir une auto-formation permanente. Parce que l’activité politique s’inscrit dans le cadre d’une citoyenneté active, et qu’elle doit devenir l’affaire de toutes et de tous, le « parti-mouvement » combattra sans concession la professionnalisation de la politique, qui est la réponse de la bourgeoisie et de ses partis à la crise de la politique et de sa représentation

Le parti-mouvement reconnaîtra sans exception et sans restriction l’autonomie des mouvements sociaux. Il ne dirigera ni les syndicats, ni les associations, ni les mouvements de masse et ne s’y substituera pas ; il ne créera pas de tendances politiques dans les syndicats et les associations. Avançons l’idée sans doute paradoxale de « coopération conflictuelle » pour exprimer l’idée que les luttes du politique et du social contre leurs adversaires communs n’excluent nullement contradictions et désaccord et exigent une critique réciproque et menée au grand jour, un débat public et citoyen, dont les Forums sociaux sont déjà une expression. Dans les mobilisations citoyennes comme dans les mouvement sociaux, le parti-mouvement n’aura nulle prétention à un rôle de direction : il agira dans l’optique la plus unitaire et la plus respectueuse des structures d’auto-organisation dont se dotent mobilisations citoyennes et mouvements sociaux, en étant attentif aux nouvelles formes du « front unique politico-social » telle que celles qu’ont mis en place et expérimenté associations, syndicats et forces politiques en Gwadlupe dans le cadre du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) en 2008, et de la mobilisation qu’il a rendue possible et déployée en 2009

Le parti-mouvement prolongera sur le terrain politique les nouvelles pratiques expérimentées avec succès au sein du mouvement altermondialiste et esquissées d’un point de vue pratique et théorique par les courants autogestionnaire de l’après 68 ( PSU, Alliance marxiste révolutionnaire, courants libertaires) à contre-courant du PCF et des groupes trotskystes et maoïstes d’alors : le refus des pratiques autoritaires, la rupture avec les rapports « parti-avant garde-masses » dans lesquels le parti domine et manipule les structures associatives et syndicales, et la construction de nouvelles et fructueuses relations égalitaires, sans hiérarchie ni chef d’orchestre et sans aucune domination de telle ou telle structure sur les autres : les coopérations horizontales du mouvement altermondialiste et des Forums sociaux dessinent la voie à suivre (1)

Le projet du parti-mouvement doit prendre pour fil rouge l’anticapitalisme. Le féminisme et l’écologie ne sont pas les contradictions secondaires du capitalisme qui serait la contradiction principale, ils ne sont ni des contradictions secondes ni des contradictions secondaires. Simplement, si les dégâts dans la nature sont vieux comme l’humanité, ils deviennent sous le capitalisme mondialisé une catastrophe permanente ; et si la domination subie par les femmes a sa logique et son contenu propres, elle recoupe en des points essentiels l’organisation capitaliste du travail où les femmes occupent pour le plus grand nombre une place subalterne.

Le féminisme, en tant que revendication à l’égalité des droits, et en tant qu’expression d’une émancipation spécifique, doit être intégré à la définition même d’une société émancipée au même titre que l’appropriation collective des moyens de production.

Pour l’essentiel les victimes de la catastrophe écologique sont les victimes de la crise économique. La synthèse du rouge et du vert est possible ; elle n’est assurée aujourd’hui par aucune force politique à une échelle de masse. Le parti-mouvement devra en faire une de ses tâches prioritaires : ni vieux paradigme rouge, ni nouveau paradigme vert, mais contribution à une nouvelle synthèse et nouveau projet alternatif

Autogestionnaire dans ses objectifs, le parti-mouvement le sera aussi dans son fonctionnement. Les pratiques autogestionnaires, et cela vaut pour la vie interne autant que pour la vie publique, doivent être non pas institutionnelles, ce qui est une forme de bureaucratisation, mais instituantes, c’est-à-dire trouver dans les institutions auxquelles elles donnent naissance leur prolongement et un point d’appui pour de nouvelles conquêtes et de nouveaux pouvoirs.

Le parti-mouvement doit voir grand. Au cœur de la crise qui secoue le capitalisme mondialisé, une forte poussée d’individuation travaille la société. Dévoyée en individualisme consumériste par la marchandisation, elle s’exprime avec une force particulière dans la jeunesse. Les formes actuelles de citoyenneté craquent de toute part. La socialisation sous domination capitaliste impose de cruelles souffrances aux salariés et sont souvent remises en cause. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes s’interrogent, commencent à tirer les leçons des expériences passées et des drames qui ont marqué le mouvement ouvrier. On les retrouve dans les mobilisations féministes, écologistes, antiracistes, sociales et dans les Forums sociaux de l’altermondialisme. Les hommes et les femmes qui se retrouvent dans ces mobilisations ont très souvent une méfiance profonde et justifiée vis-à-vis des structures politiques, y compris des structures qui se réclament de la gauche radicale, de l’écologie politique et parfois encore du communisme, comme en France. Leur culture, leur expérience, leurs aspirations, tout alimente cette méfiance qui ne doit pas être assimilée à une méfiance vis-à-vis du politique en tant que tel , et qui peut être dépassée si , ainsi que nous en émettons l’hypothèse et comme nous en formons le souhait, le parti-mouvement voit le jour comme une construction politique commune dont ils et elles maitriseront entièrement le processus, construction politique commune qui ne peut se réduire à la transcroissance d’une force politique déjà existante, mais qui requiert un pluralisme politique constitutif

Marx se fixait comme objectif une société où le libre développement de chacune et de chacun est la condition du libre développement collectif. Aujourd’hui plus qu’à son époque lourds sont les périls, mais mieux qu’à son époque existent les possibilités d’une action émancipatrice. Telle est la raison d’être de l’autogestion, comme pratique et comme éthique, avec les conséquences qui en découlent sur le type d’organisation politique nécessaire. S’organiser sur le plan politique demeure indispensable car les fonctions du parti-mouvement ne peuvent être assumées par aucune des autres structures par ailleurs nécessaires, encore faut-il en redéfinir les modalités, en tenant compte du mouvement réel, de la crise de la forme-parti et du projet autogestionnaire

Bruno DELLA SUDDA et Romain TESTORIS

(1) C’est d’ailleurs là où le bât blesse dans la contribution dite du 22 mars 2010 de D. Cohn-Bendit. S’il est particulièrement pertinent en ce qui concerne la nécessaire transformation de la nature et des formes de la politique, on peut craindre que la radicalité salutaire de la forme politique nouvelle à construire se substitue chez lui à la nature du projet d’émancipation et soit mise en avant au détriment du dépassement du capitalisme


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