Les ancêtres de l’homme marchaient-ils sur leurs doigts ?

lundi 31 août 2009.
 

Comment les prédécesseurs d’Homo sapiens ont-ils commencé à marcher sur leurs deux pattes arrière ? Comment leurs descendants ont-ils façonné des outils de plus en plus élaborés ? Deux grandes questions sur l’évolution humaine auxquelles une paire d’études publiées mi-août apportent leurs lumières.

Dans les années 80, le paléontologue français Yves Coppens consolide une théorie sur l’apparition de l’homme moderne, bipède et presque les baskets aux pieds : des populations vivant en Afrique de l’est se sont retrouvées isolées par la formation d’un rift, qui taillade depuis 10 millions d’années le continent, de l’Ethiopie au Mozambique.

Le phénomène s’accompagne de changements climatiques : moins de pluies à l’est du rift où s’installe un climat plus sec, donc moins de forêts pour jouer à Tarzan et construire des cabanes. Les primates restés sur place ne survivent qu’en se redressant peu à peu, histoire d’y voir clair au milieu de la savane. Patatras : un ancêtre bipède retrouvé dans un milieu forestier

Mais en 2000, l’équipe de Brigitte Senut, du Muséum de Paris, découvre au Kenya quelques morceaux d’os vieux de 6 millions d’années qu’on identifie comme des restes d’un membre de la lignée humaine.

Il s’appelle Orrorin Tugenensis, et problème : il vivait sûrement en milieu forestier (d’après les restes d’animaux et de végétaux trouvés avec lui) mais se tenait déjà un peu debout (ce sont les os qui le disent).

Voilà qui ne colle pas avec le modèle « bipède = savane ».

L’année suivante, nouvel accroc : une équipe menée par Michel Brunet, professeur au Collège de France, désensable des morceaux de Sahelanthropus tchadensis, dit Homme de Toumaï. Comme son nom l’indique, l’animal vivait au Tchad, c’était il y a 7 millions d’années, et lui aussi était probablement en partie bipède.

Point noir pour la théorie en vogue, puisque Toumaï vivait… à 2 500 km au nord-ouest du rift, très loin du lieu de naissance supposé de la marche sur deux jambes ! La marche debout a-t-elle débuté sur des branches ou sur la terre ferme ?

Coppens a reconnu que sa théorie battait de l’aile, preuve qu’un grand savant doit aussi être capable de reconnaître ses erreurs. Mais elle n’est pas définitivement enterrée, car en paléontologie le moindre nouveau fossile peut tout faire basculer.

Deux hypothèses sont donc aujourd’hui en concurrence :

* soit les premiers hominidés ont commencé par déambuler à terre et à quatre pattes avant de se redresser * soit ils ont d’abord appris à marcher en équilibre sur des branches d’arbres, avant de se lancer dans les épreuves au sol.

Cette dernière idée n’est pas saugrenue. Aujourd’hui encore, les orangs-outans se déplacent régulièrement à deux pattes sur les branches. Mais ils vivent en Asie, alors que les premiers hommes sont apparus en Afrique.

Il est donc préférable de chercher des comparaisons avec les espèces locales : chimpanzés et gorilles. C’est ce qu’ont fait Tracy Kivell et Daniel Schmitt, chercheurs à l’université de Durham, en Caroline du Nord. Dans leurs derniers travaux publiés dans la revue Pnas, ils se sont attentivement penché sur les os du poignet. « La marche sur les articulations des doigts »

Pourquoi le poignet ? Parce que gorilles et chimpanzés, non contents de marcher de temps en temps sur les branches, ont une autre technique de déplacement, celle-là unique au monde : le « knuckle-walking ». Littéralement, la « marche sur les articulations des doigts », qui consiste à s’appuyer sur ses doigts repliés contre la paume avant de s’élancer vers l’avant.

La technique, traumatisante pour des bras et des mains inadaptés (essayez, pour voir ! ) a forcément nécessité des adaptations dans cette articulation cruciale : le poignet.

Une hypothèse couramment acceptée, et vous admettrez qu’elle est logique : à position spéciale, morphologie spéciale, que l’on doit retrouver chez tous les animaux pratiquant le knuckle-walking et pas chez les autres.

A l’inverse, une espèce qui ne présente pas l’anatomie « typique » de ce mode de déplacement doit être considérée comme incapable de knuckle-walking. D’où la question : les ancêtres de l’homme avaient-ils cette configuration du poignet caractéristique, oui ou non ? Style tendu pour le gorille, fléchi pour le chimpanzé

Premier résultat, les poignets des chimpanzés et gorilles sont effectivement différents de ceux des orangs-outans, des autres singes et des hominidés. Mais pour ce qui est des structures significatives du knuckle-walking, notamment celles limitant l’étirement des articulations, ça ne marche plus !

Certaines structures se retrouvent chez des singes et des hominidés qui ne pratiquent pas du tout la marche sur les doigts, et même entre gorilles et chimpanzés les faits ne se ressemblent pas. Par exemple, et sans entrer dans une ostéologie absconse, le poignet peut se plier au maximum de 58° chez les gorilles, contre 42° chez les chimpanzés.

Pour les auteurs de l’étude, de telles surprises obligent, d’une part, à distinguer non pas une mais deux techniques de knuckle-walking : bras tendu chez le gorille, plus fléchi pour le chimpanzé, d’où leurs morphologies différentes.

Surtout, les structures que l’on pensait caractéristiques de cette technique se retrouvant chez bien des singes, elles seraient en réalité le résultat du déplacement… dans les branches, où le poignet subit aussi de violentes contraintes (essayez encore, pour voir). Le moindre bout d’os peut remettre tout en cause

D’où un retournement complet de situation : leurs os du poignet prouvaient jusqu’à présent, on en mettrait sa propre main à couper, que nos ancêtres avançaient à quatre pattes.

Désormais, il faudra être convaincu que leurs fossiles démontrent l’exact contraire, c’est-à-dire un développement de la bipédie à partir d’une vie arboricole, les deux jambes sur les branches et les bras en appui pour ne pas se vautrer dix mètres plus bas.

Je vous avais prévenu : en paléontologie, le moindre bout d’os peut remettre une théorie en cause, et selon qu’on le regarde le jour ou la nuit, à jeun ou après seize verres de Ricard, on pourra lui faire dire tout ou son contraire.

C’est d’ailleurs l’argument avancé par les tenants de la théorie du knuckle-walking, qui ne manqueront pas d’exposer bientôt leurs propres analyses prouvant, juré craché, que nos ancêtres ont commencé par marcher les poignets au sol et les fesses en l’air. Pour l’apparition du feu, on a moins de doutes

Tout cela se passait voilà plusieurs millions d’années, puisque même les Australopithèques, qui vécurent entre -4 et -2,5 millions d’années, n’étaient pas encore tout à fait bipèdes. Par la suite, les hominidés ont réalisé d’autres avancées majeures.

La taille d’outils a commencé vers -1,8 million d’années puis s’est améliorée, diversifiée, spécialisée. Le feu a été maîtrisé, la date officielle des premiers foyers est encore fluctuante mais tourne autour de -500 000 ans.

Le feu a offert aux hommes sa chaleur, sa lumière et son pouvoir de cuisson. Des aliments ? Oui, mais aussi des outils ! Car entre les premières flambées, juste bonnes à se réchauffer sommairement en attendant les centrales nucléaires, et les technologie très élaborées pour cuire des céramiques ou fondre des métaux, les hommes ont dû passer par un long apprentissage de la maîtrise du feu. Les chercheurs tentent de reproduire la fabrication des bifaces

Si l’on en croit les recherches d’une équipe d’archéologues menée par l’université du Cap, en Afrique du Sud, et publiés dans le magazine Science, le feu a notamment été utilisé pour améliorer les propriétés des pierres dans lesquelles ils taillaient leurs outils. Et ce dès -72 000 ans, peut-être même -164 000, les analyses ne sont pas assez concluantes pour cette dernière date.

Ce qui est sûr, analyses microscopiques à l’appui, c’est que les pierres ont été chauffées à environ 300°C avant d’être taillées en outils, probablement en les insérant sous les braises des foyers. Et le chauffage a été volontaire, puisque là où on a retrouvé les vieux outils seuls ces derniers portaient des marques de cuisson.

Les spécialistes qui s’amusent à tailler des pierres à l’ancienne, comme les premiers hommes, sont formels : un caillou chauffé est bien plus facile à travailler, on obtient avec lui des bifaces plus fins, plus délicats, avec une surface de coupe plus grande. Le bonheur !

Les chercheurs sont décidément de grands enfants. Les uns font joujou avec des galets pour s’en faire des couteaux suisses, les autres observent, fascinés, les singes qui marchent sur leurs doigts…

Et l’homme dans tout ça ? Une chose est sûre : il ne pouvait pas à la fois se tenir à quatre pattes et prendre des pierres dans ses mains, ses cloisons nasales n’auraient pas survécu. Voilà qui fera sûrement avancer le schmilblick !

Par Damien Jayat


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message