L’extraterritorialité morale de la finance n’a que trop duré !

jeudi 3 septembre 2009.
 

Une banque réalise une opération spéculative, disons à la hausse du prix du pétrole. Elle gagne un milliard. Le trader qui l’a menée a droit à 10 % du total, soit 100 millions. Si vous lisez les journaux, vous aurez déjà compris que mon illustration n’est pas purement imaginaire !

Moralisons la finance : plafonnons le bonus des traders. Andrew Hall de Citigroup, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’aura plus droit qu’a un million de dollars. Examinons l’avant et l’après. Avant : 100 millions pour le trader, 900 millions pour la banque, coût pour la communauté en prix du carburant, 1 milliard. Après : 1 million pour le trader, 999 millions pour la banque, coût pour la communauté, 1 milliard. Question : a-t-on vraiment moralisé la finance ?

Vous m’avez compris : ce n’est pas en réduisant le bonus des traders que la finance sera moralisée. La morale – ou plutôt l’absence de morale – n’est pas dans le taux de la commission, elle est dans l’opération qui permet que la communauté soit plumée.

Seulement de cela, on ne parle pas. Pourquoi ? Parce que la seule communauté que connaissent les banques centrales, c’est la communauté des investisseurs. Les autres, c’est l’ennemi : les autres réclament des augmentations de salaires qui pénalisent les seuls qu’il s’agit de défendre. Quand les autres crient trop fort, les banques centrales font monter le taux d’intérêt qui ferme les usines, et au bout d’un moment, ils ont compris et eux aussi la ferment.

On dit : « la finance est amorale » et on entend comme au feu d’artifice des « Ah ! » et des « Oh ! » Ce n’est pas qu’elle est immorale comme chacun croit l’observer mais qu’elle est a-morale. Avec ça, tout a semble-t-il été dit, et tout le monde rentre chez soi content. Mais accepterions-nous qu’on nous dise à propos du politique, s’il apparaissait immoral, que ce n’est rien, qu’il est simplement a-moral ? Non ! Alors pourquoi tolérons-nous ce discours à propos de la finance ?

Parce qu’on nous dit : « C’est la liberté qui est en jeu ! » On nous dit : il faut choisir entre liberté et égalité, il faut choisir entre concurrence et solidarité. Et c’est là que nous nous laissons berner parce que nous répondons : « Ah ! ben oui, c’est vrai ça ! » Non ce n’est pas vrai, parce que ce à quoi ils pensent quand ils vous disent « liberté », c’est individualisme à tout crin, « Après moi le déluge ! », l’agressivité sans contrainte, et quand ils vous disent « concurrence », ils pensent à la loi du plus fort (eux en l’occurrence), « Malheur aux vaincus ! » et, une fois de plus, l’agressivité sans contrainte. Et cela, voyez-vous, ce n’est pas un choix, il ne s’agit pas de valeurs à instaurer : c’est l’animalité au cœur de l’homme, telle que la nature l’a créé. Ce n’est pas un choix : c’est le donné sur lequel notre espèce a bâti.

Le seul choix possible, c’est de faire un pas en-dehors de l’animalité, en domestiquant nos instincts. Et la nature ici n’est pas une excuse, parce que si elle nous a dit dans un premier temps : « C’est votre agressivité qui vous permettra de survivre », elle nous dit aujourd’hui dans un second temps : « Sur une planète dont vous découvrirez un jour les limites… ».

Nous sommes sortis de l’animalité brute pour ce qui touche au politique en exigeant que la politique soit morale. Nous n’y sommes pas arrivés parce que nous avons accepté au cœur de nos sociétés une finance amorale qui dévoie le politique en permanence en le soumettant au pouvoir de l’argent. Il s’agit maintenant de domestiquer la finance à son tour en la soumettant elle aussi à la règle morale. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que pour cela, on ne pourra pas se contenter de règlementer la manière dont elle fait les choses : il faudra aller voir aussi quelles sont précisément les choses qu’elle fait, et dire à propos de certaines – comme nous l’avons fait partout ailleurs dans nos sociétés : « Ceci n’est pas bien ! », le condamner et le faire disparaître.

L’extraterritorialité morale de la finance n’a que trop duré !


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