Reconstruire une vraie gauche, voilà l’urgence (Déclaration du Conseil National de Gauche Unitaire)

lundi 14 septembre 2009.
 

Le Conseil National, la direction de Gauche Unitaire, a adopté la déclaration politique suivante lors de sa réunion du 5 septembre.

Cette rentrée 2009 place le monde du travail, le mouvement social, le peuple de gauche devant des défis aggravés.

À l’inverse de ce que prétendent gouvernements et experts médiatiques, la crise est loin d’être terminée.

Si, conjoncturellement, les plans de relance mis en place par les États pour sauver les banques et des branches entières d’activité ont permis une embellie des indices économiques pour les derniers mois, rien n’est pour autant réglé.

Le système financier international n’est pas assaini, le chômage s’accroît partout dramatiquement, actionnaires et grands patrons multiplient les plans de licenciements et exercent une pression à la baisse sur les revenus des travailleurs, les jeunes arrivent en masse sur un marché du travail en rétraction…

Leur crise n’est pas finie

Décidément, ce n’est pas la fin de la crise du capitalisme. Parce que cette crise est systémique, qu’elle est celle de toute une étape de l’histoire du capitalisme, qu’elle frappe en d’autres termes le mode d’accumulation qui prévalait ces dernières décennies, qu’elle entraîne avec elle un modèle néolibéral tendant à une marchandisation généralisée, des mots et des choses, des corps et des esprits, de la nature et de la culture. Parce qu’elle est globale, touchant tous les pays et tous les secteurs de l’économie. Parce que les classes possédantes se révèlent impuissantes à trouver une alternative à l’ultralibéralisme désormais en faillite patente. Parce qu’elle révèle l’âpreté d’une crise écologique qui menace la planète de nouvelles famines, voit l’eau se raréfier et le climat se réchauffer. Parce qu’elle s’accompagne de l’effondrement de l’hégémonie de l’hyperpuissance américaine, appelant de nouveaux rapports de force mondiaux et de nouvelles hiérarchies de dépendance, au prix de la montrée en puissance des concurrences et affrontements entre nations et multinationales. Parce qu’elle est annonciatrice de tensions et de guerres en divers points du globe, du sous-continent indien au Proche-Orient, du Caucase à l’Afrique. Parce qu’elle se traduit un peu partout par de nouveaux reculs de la démocratie, justifie les pires manipulations des opinions, entraîne atteintes aux droits sociaux et aux libertés syndicales, génère dérives racistes et sécuritaires.

Si l’avenir est menaçant pour les peuples, les profiteurs n’ont rien abandonné de leur rapacité. Finis les discours d’hier, au sommet du G 20, où les leaders des grandes puissances se posaient en moralisateurs de la finance : leur grande frousse de l’automne 2008 à peine surmontée, voilà que les banques provisionnent des bonus faramineux pour leurs traders !

Le scandale est énorme : les banques, pour être sauvées de la faillite, ont reçu en urgence des capitaux de la part des États, c’est-à-dire des fonds publics, sans nationalisations ni même prise de contrôle sur leurs directions. En dernier ressort, ce sont donc les salariés qui ont ainsi payé une première fois le prix de la crise. Ils la payent une seconde fois en subissant la multiplication des licenciements, le chômage et toutes les régressions sociales que génère la récession. Et ils la paieront une troisième fois, puisque, faute de réponse réelle à la crise, les pouvoirs en place ne sont capables que d’une fuite en avant : accroissement de l’endettement public, cadeaux aux plus puissants…

Mettre en échec Sarkozy et son gouvernement

En France, la politique de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement, inébranlablement appuyée par le Medef, illustre cette volonté des possédants de faire payer la crise au plus grand nombre. Cette droite, qui s’est installée aux affaires voici deux ans, peut bien de temps à autres, pour calmer les inquiétudes et la colère de l’opinion, prétendre mettre au pas les banquiers et les spéculateurs. En pratique, elle poursuit sans relâche ses entreprises de refonte réactionnaire de la société et du champ politique. C’est plus que jamais une révolution néoconservatrice à la française qu’elle entend faire triompher.

L’ensemble des acquis sociaux, hérités de décennies de luttes progressistes, sont systématiquement remis en cause, du droit à la retraite aux services public, de la durée du travail au travail le dimanche, en passant par le droit du travail lui-même. Les inégalités sociales flambent comme jamais. Même la « taxe carbone », loin de répondre à la question écologique, sera l’occasion d’imposer à la population laborieuse de nouveaux prélèvements, dans le même temps où l’on épargnera les firmes pollueuses comme Total, où l’on poursuivra l’amputation des budgets sociaux et où l’on multipliera les cadeaux aux plus riches contribuables. Les libertés fondamentales sont remises en question, les principes de la laïcité sont attaqués, les droits syndicaux se révèlent de plus en plus bafoués, les immigrés se voient toujours davantage transformés en boucs-émissaires des maux de la société, la justice est mise au pas. La concentration des pouvoirs au sommet de l’État atteint un niveau inégalé sous une V° République pourtant congénitalement antidémocratique. La prétendue réforme des territoires et collectivités locales vise à éloigner toujours davantage les citoyens des centres de décision. L’information et les médias se retrouvent sous la tutelle de puissants groupes financiers alliés de l’Élysée. L’armée française réintègre le commandement de l’Otan et participe activement aux aventures guerrières de l’administration américaine, à commencer par celle d’Afghanistan.

Pour livrer cette guerre de classe tous azimuts et préparer dans les meilleurs conditions les rendez-vous électoraux à venir, Sarkozy continue de réorganiser la droite autour de lui. En élargissant sa majorité à de Villiers et à ses alliés du « parti des chasseurs », il cherche à conforter sa conquête de l’électorat d’extrême droite. Dans le même temps, occupant tout l’espace politique et profitant de la tétanie dans laquelle son opposition parlementaire se trouve plongée, il entreprend de casser une gauche écartelée entre son aile anticapitaliste, elle-même handicapée par ses divisions, et ses secteurs sociaux-libéraux qui cherchent leur salut au centre.

Tout doit être mis en œuvre pour faire reculer cette droite de combat et la battre. C’est parfaitement possible ! Si le pouvoir a su garder l’initiative et unifier son camp autour d’un projet cohérent de régression sociale et démocratique, il n’est pas aussi fort qu’il en donne l’image. Les gigantesques mobilisations des derniers mois ont amplement attesté d’une volonté bien plus puissante, potentiellement, que la sienne : le salariat, soutenu par une très large majorité de l’opinion, n’accepte pas la politique dont il est la victime désignée. Il sait qu’il lui faut se battre et il a démontré qu’il y était prêt. Malheureusement, en dépit des millions d’hommes et de femmes rassemblés dans la grève et dans la rue, le mouvement social a fini par butter sur deux obstacles qu’il est urgent de chercher à lever.

La constitution de l’intersyndicale, inédite depuis longtemps, a permis d’appeler aux confrontations massives et exemplaires du premier semestre. Elle n’a pourtant pu se traduire en une plate-forme de revendications unifiantes pour toutes les catégories de la classe travailleuse, ou en une stratégie de convergence vers le « tous ensemble » qui, seule, pourrait permettre de gagner. Les journées d’action à répétition ont fini par perdre leur force d’entraînement. À l’heure où le patronat en appelle à la destruction,« en urgence » dit même Parisot, de la retraite par répartition, et où un gouvernement à son service annonce une nouvelle attaque sur ce terrain pour l’année prochaine, le risque est grand que le monde du travail reste paralysé, sans perspective à la hauteur de cette provocation. Il serait dramatique que les travailleurs d’entreprises en butte aux plans de licenciements demeurent isolés, contraints à se battre le dos au mur, comme ils l’ont fait le plus souvent durant l’été. Ou que les échéances qui s’annoncent, par exemple le 4 octobre sur la question des services publics et de La Poste, ne s’intègrent pas à un plan de mobilisation global. Il appartient aux syndiqués et aux salariés de s’emparer maintenant du débat sur les revendications à mettre en avant, sur les modalités d’une action unifiante et prolongée, sur la construction d’une unité dynamique à même d’assumer l’affrontement avec le patronat et les gouvernants.

La levée en masse du salariat a pâti de l’absence d’alternative à gauche. La perspective politique qu’attendent les salariés et le peuple ne saurait consister à préparer 2012 en ne se préoccupant que de la désignation de celle ou de celui qui affrontera Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle. Elle doit partir des problèmes que rencontre le plus grand nombre, des choix de société qu’ils révèlent au quotidien, des exigences qui montent de la société pour proposer une politique à même de donner confiance aux luttes, de favoriser l’essor d’un puissant mouvement social, d’affirmer une force apte à la faire triompher, dans la rue, par la grève et aux élections.

La gauche menacée de désagrégation

Tel n’est pas, chacun le constate, le choix vers lequel s’oriente la majorité du Parti socialiste.

Alors que la crise rend plus indispensable que jamais une réponse anticapitaliste cohérente, que les périls s’accumulent sur la scène internationale, que le sarkozysme ne tire sa capacité de nuisance que de la faiblesse de ses opposants et des difficultés du mouvement social, la voilà qui s’oriente vers une alliance avec le Modem, perspective également portée par Europe écologie et Daniel Cohn-Bendit. Dans le même temps, ses barons ne trouvent à s’entredéchirer qu’à propos de l’organisation de « primaires » pour 2012.

Cette évolution menace la gauche tout entière d’une authentique catastrophe.

L’alliance avec cette fraction de la droite qu’incarne Bayrou ne peut en effet se réaliser que dans la soumission aux exigences capitalistes. Elle générera de la confusion, divisera et désarmera cette majorité de la population qui a soutenu les journées des 29 janvier, 19 mars et 1° Mai. Elle ne peut répondre à aucune des attentes qui s’expriment au sein de la société. Elle conduira donc inévitablement à une défaite similaire à celle qui a vu la disparition de la gauche italienne face à Berlusconi.

Quant aux « primaires », loin de traduire un souci démocratique de nature à favoriser la prise en charge de la réflexion sur les perspectives politiques par le peuple de gauche, elles accroîtront la personnalisation du débat public, accélèreront les phénomènes de polarisation au centre et soumettront un peu plus la principale composante de la gauche aux travers présidentialistes, exacerbés sous Sarkozy, de la V° République. Autrement dit, elles induiront un nouveau glissement à droite majeur du PS et de la vie politique française.

C’est une spirale suicidaire dans laquelle se sont irréversiblement engagés les dirigeants du PS. Ils en viennent même à oublier que la crise qu’ils affrontent résulte d’abord de leur ralliement à ce néolibéralisme qu’ils ont appliqué avec constance à chaque fois qu’ils ont accédé aux affaires depuis 1981. Martine Aubry a pu, à l’université d’été de La Rochelle, infléchir à gauche son discours, la réalité l’aura vite rattrapée, le PS étant toujours aussi incapable de s’opposer sur le fond à la politique de Nicolas Sarkozy.

En procédant comme elle le fait, la direction socialiste pousse en réalité les feux de la mutation de son parti en une force démocrate qui, à l’exemple de l’Italie, de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, tourne définitivement le dos à l’héritage du mouvement ouvrier et à la tradition du socialisme historique elle-même. Ce renoncement pur et simple au combat du changement social et à la défense des intérêts populaires mène le PS à n’être plus perçu, comme l’avouait durant l’été l’une de ses figures, que comme un « élément du système ».

Pour battre une droite sûre d’elle-même et arrogante, il faut au contraire une gauche déterminée, refusant les prétendues « ouvertures » au centre, défendant sans atermoiements une proposition de rupture avec le système. Une gauche qui tire sa force de son indépendance revendiquée envers un Parti socialiste qui ne peut nous mener qu’à des défaites en série. Une gauche qui s’emploie à faire renaître l’espoir.

Poursuivre, enraciner, élargir le Front de gauche…

La campagne menée par le Front de gauche à l’occasion des européennes est un point d’appui en ce sens.

Malgré les difficultés de la situation, en dépit de l’abstention populaire et de la division de la gauche de gauche, le Front de gauche a suscité un intérêt important, en particulier chez de nombreux animateurs du mouvement syndical ou associatif, ce qui lui a permis de mener une campagne dynamique et d’obtenir un résultat électoral non négligeable.

La démarche alors suivie par le Parti communiste, le Parti de gauche et la Gauche unitaire est à présent la seule à même de bouleverser les rapports de force au sein de la gauche, d’y contester la domination du PS, de réunir les conditions d’une majorité politique ouvrant la voie à une transformation radicale de la société.

Voilà pourquoi le Front de gauche doit devenir une réalité durable. Une force qui compte parce qu’elle rassemble des partis, des organisations, des courants, des secteurs du mouvement social, des citoyens et citoyennes en quête d’alternative, dans le respect des identités des uns et des autres.

Voilà pourquoi il lui appartient de se tourner vers l’ensemble du peuple de gauche et du mouvement social, de soumettre ses propositions pour les luttes et les élections à la plus large discussion publique, de faire ce faisant la démonstration qu’il existe à gauche deux approches opposées, donc que la réédition en pire des calamiteuses alternances du passé n’a rien d’inévitable.

Voilà pourquoi il doit lui-même s’enraciner et s’élargir : aux socialistes ou écologistes qui n’entendent pas renoncer à leurs valeurs ; au NPA et aux militants de l’extrême gauche qui constatent que la division de la gauche de gauche mène au désastre ; aux Alternatifs et aux composantes de la Fédération qui le souhaitent ; aux acteurs sociaux qui aspirent à disposer d’une perspective d’ensemble ainsi qu’aux citoyens ou citoyennes en quête d’alternative…

… dans les luttes et dans les élections

Voilà pourquoi il doit, d’un même mouvement, s’affirmer dans les mobilisations des prochains mois et faire des futurs rendez-vous électoraux, à commencer par celui des régionales de mars 2010, autant d’occasions de démontrer qu’il existe une nouvelle perspective à gauche, libérée des impasses du social-libéralisme.

Moins que jamais, pour cette échéance électorale, il ne sera possible de dissocier enjeux nationaux et locaux. Sarkozy cherchera à y obtenir un succès qui confortera sa légitimité, lui octroiera des marges de manœuvre supplémentaires pour mener ses entreprises réactionnaires, lui permettra d’accélérer la mise en œuvre de sa contre-réforme des collectivités territoriales et de l’État, lui dégagera la voie de sa réélection. Dans le même temps, à la tête de nombreuses régions conquises à gauche en 2004, se négocient d’ores et déjà de futures alliances de gestion entre le PS, Europe écologie et le Modem. Les choix politiques qui se confrontent à l’échelon national se répercuteront donc directement à celui des conseils régionaux.

Pour battre réellement la droite en mars 2010, il faut battre sa politique, donc offrir aux résistances sociales un point d’appui essentiel, se mettre résolument au service du bien commun et de la population, refuser de s’inscrire dans les logiques de la marchandisation et de la soumission aux intérêts dominants. Une vraie politique de gauche dans les régions devra, par conséquent, marquer sa rupture avec les gestions sociales-libérales de la mandature passée, lesquelles aboutissent à présent aux alliances contre-nature avec le centre. C’est au suffrage universel de trancher entre les deux orientations qui traversent la gauche.

Il est, pour cette raison, indispensable d’aboutir à la présentation, au premier tour de ces régionales, de listes autonomes du Front de gauche, constituées avec toutes les organisations qui, ne se retrouvant pas nécessairement au sein de celui-ci, convergeraient sur le même programme de rupture avec le libéralisme à la tête des régions.

Au second tour, dans l’objectif de battre la droite et de conserver à gauche la majorité des régions, celles-ci devront rechercher la fusion avec les autres listes de gauche, dans le respect de l’indépendance politique des unes et des autres, sur la base des résultats respectifs de chacune au premier tour, et sans accord avec le Modem.

Un débat est en outre ouvert, au sein de la gauche de gauche, à propos de la participation aux exécutifs des régions qui, à l’issue du scrutin, resteraient dominées par le Parti socialiste. Cette question ne saurait cependant constituer un préalable conditionnant la formation de listes unitaires au premier tour.

Affirmer une gauche de gauche, il n’y a pas de plus grande urgence !


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