Causes de la défaite du 21 avril 2002, socialisme et Union européenne, avenir du PS (par Aquilino MORELLE ancien conseiller politique de Lionel Jospin à Matignon)

dimanche 20 septembre 2009.
 

Sept années après la sortie de Lionel Jospin de la scène politique... le seul résultat officiellement obtenu en sept ans aura été de qualifier le socialisme de « réformisme de gauche », c’est-à-dire énoncer une tautologie…

Cet échec est collectif. L’essentiel, pour tous les socialistes, est donc de s’interroger honnêtement sur les raisons de leur affaiblissement. Et pour cela, de revenir - lucidement, mais sans masochisme - sur la signification réelle du séisme politique de 2002. Un séisme dont l’onde de choc continue de se faire sentir. Un séisme dont les répliques auront été la fracture du PS après la consultation interne de 2004, le décalage avec son électorat lors du referendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen, l’échec à la présidentielle de 2007, celui aux récentes élections européennes enfin.

Le 21 avril 2002 conservera toujours une part de mystère. Et comme tout événement historique, il a sa part de contingence. Toutefois, sa violence même et surtout la gravité et la pérennité de ses conséquences sont les indices de ce qu’il tire sa puissance de causes profondes, à l’instar d’un geyser dont la hauteur dépend mécaniquement de la profondeur de sa source. L’ampleur de l’événement révèle son enracinement dans l’histoire du PS. En l’occurrence, trois fins de cycle se sont superposées pour aboutir à la déflagration que l’on sait.

En premier lieu, la fin de la parenthèse électorale qu’a représentée la victoire surprise, et acquise de justesse, de la gauche plurielle en 1997. Un succès fragile, obtenu au terme d’une campagne qui vit les socialistes rassemblés sous l’autorité de Lionel Jospin, un premier secrétaire menant la bataille politique avec une maîtrise qui lui ouvrit les portes de Matignon. Cinq années de gouvernement dont on mesure aujourd’hui qu’elles constituèrent un temps de résistance dans la longue séquence libérale que fut la fin du XXe siècle.

Puis, la fin du cycle d’Epinay, ouvert en 1971 par la création du PS. Construit et maintenu par la volonté et la supériorité politiques de François Mitterrand, ce parti, une fois son fondateur disparu, et une fois l’héritier politique de celui-ci retiré de la vie politique en 2002, n’a plus connu de véritable animateur. Il est alors devenu un corps sans tête, aussi gros de ses succès électoraux locaux que vide de pensée et de projet.

Enfin, et surtout, troisième mouvement de fond, décisif : la fin du mitterrandisme. Ce terme étant entendu ici comme la révision du socialisme à l’épreuve de la réalité - en l’occurrence la réalité de l’Europe. Pour sortir de la nasse de la « contrainte extérieure » (c’était là le nom que l’on donnait alors à la mondialisation de l’économie), François Mitterrand a fait, en 1983, le choix de l’Europe. Un choix dicté par les circonstances, mais répondant à ses convictions intimes. Un choix qui fut présenté comme une solution à la crise que traversait le socialisme de gouvernement en France. Un choix qui permit effectivement, dans un premier temps, de nous donner un second souffle. Un choix qui conduisit progressivement de nombreux socialistes à adopter un credo de substitution au socialisme : la construction européenne. Et cela alors même que ce choix plaçait le socialisme au cœur d’une redoutable contradiction. Une contradiction fondamentale, aussi simple à énoncer que difficile à dénouer.

D’un côté, le niveau européen est aujourd’hui le seul où les enjeux dont le socialisme doit se saisir peuvent être réglés. Qu’il s’agisse de la question écologique, de la régulation économique et financière du capitalisme ou de la mondialisation des mouvements migratoires, seule l’Europe offre la masse critique nécessaire pour agir efficacement.

De l’autre, l’Europe telle qu’elle existe n’est pas un cadre politique et juridique « neutre », qui permettrait à une vision socialiste de se déployer. A cela, une raison simple : le code génétique de l’Europe est libéral. Un code génétique contenu dans le traité de Rome de 1957. Un code génétique dont les étapes ultérieures de la construction libérale de l’Europe n’auront été que l’expression. Acte unique européen (1986), traité de Maastricht (1992), traité d’Amsterdam (1997), projet de traité constitutionnel européen (2005), traité de Lisbonne enfin : tous ces moments politiques de la construction libérale de l’Europe étaient contenus en puissance dans le traité de Rome.

A la fois cause et conséquence de ce libéralisme constitutif, l’élargissement de l’Europe a aggravé ce donné. Un élargissement qui a conduit à la constitution d’un vaste espace de libre-échange, une zone de basse pression économique, un marché seulement régi par le droit.

La mission historique du socialisme est de maîtriser le capitalisme et, dans le même temps, de promouvoir un modèle de société plus juste et plus rationnel. A la fois agir dans le réel et, pour paraphraser Jaurès, viser l’idéal. Articuler l’action politique réformiste et l’utopie. Pour répondre à cette vocation historique, le socialisme doit se projeter au niveau du seul espace politique désormais pertinent : l’Europe. Pour le dire abruptement, le socialisme du XXIe siècle sera européen ou ne sera plus. Or l’Europe réelle, telle qu’elle a été conçue, voulue et construite depuis cinquante ans, lui interdit dans les faits de se déployer. C’est cette aporie politique que doit affronter le socialisme. Et c’est cette aporie qui explique les affres que connaît la social-démocratie partout en Europe. Ainsi la crise du socialisme européen est-elle d’abord une crise européenne du socialisme.

Face à cette crise, deux attitudes sont possibles pour le PS.

S’en tenir au seul cadre national. Dans le meilleur des cas - s’il accomplit le nécessaire travail de retour sur soi et de redéfinition de ses objectifs comme de ses moyens - le PS ne pourra alors redevenir qu’une force politique d’alternance démocratique. Une force de gauche, certes, mais qui ne sera plus à proprement parler socialiste. C’est, consciemment ou inconsciemment, explicitement ou implicitement, l’option déjà prise par nombre de mes camarades.

S’engager dans le combat pour l’édification d’un cadre européen nouveau, susceptible d’accueillir une politique socialiste. Travail titanesque, nécessitant de construire un nouveau Parti socialiste européen, affranchi de tout « accord technique » avec les forces de droite. Travail dont le PS doit prendre l’initiative. A lui de mettre en mouvement les autres partis sociaux-démocrates en Europe : c’est, compte tenu de son histoire et de sa centralité au sein de la famille social-démocrate, sa responsabilité. Il s’agira d’une « longue marche ». Mais elle pourra s’appuyer sur les peuples d’Europe. Car, contrairement à une idée répandue par la propagande libérale, ce n’est pas parce qu’elle serait « trop à gauche » que les citoyens européens se détournent de la social-démocratie, mais parce qu’à l’inverse, ils ont le sentiment qu’elle ne l’est plus assez. Qu’elle a, en particulier, renoncé à se battre contre l’indécente explosion des inégalités sociales et contre l’insolence de ceux qui tentent de la justifier.

Le socialisme français doit choisir de mener ces deux combats à la fois. C’est indispensable sur le plan moral : à quoi servirait un PS ayant renoncé à son identité et à défendre ceux qui légitiment son existence, parce qu’ayant fui ses responsabilités européennes ? C’est nécessaire sur le plan politique : d’abord, parce que la victoire nationale ne sera possible que si les citoyens perçoivent un réel changement de ligne européenne du PS ; aussi parce qu’en retour, le combat européen peut se nourrir de la force acquise par la conquête du pouvoir.

Transformer profondément le PS, pour lui permettre de redevenir un parti crédible, attractif, cohérent et donnant confiance aux Français. Un parti capable de reconquérir le pouvoir en France et d’y conduire alors une politique de justice. Dans le même temps, s’engager dans la grande bataille européenne afin de faire naître un nouveau cadre politique et juridique. Telle est la mission de la nouvelle génération qui doit maintenant préparer l’avenir du PS.


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