Les juges des mineurs contre Nicolas Sarkozy

jeudi 9 août 2018.
Source : Le Figaro
 

1) Communiqué de l’Association française des magistrats de la jeunesse

Le ministre de l’Intérieur Niocolas Sarkozy a souhaité mardi sur Europe 1 la réforme "de toute urgence" de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs, estimant "pas assez sévères" les peines prononcées contre les auteurs de violences à l’occasion des manifestations anti-CPE.

"Un garçon de 17 ans qui mesure 1,90 m qui frappe à terre avec une violence inouïe un photographe ou une petite jeune fille, l’amener devant le tribunal pour enfant, il n’a plus rien d’un enfant, c’est parfaitement ridicule", a estimé M. Sarkozy.

Aussi, a-t-il affirmé, "il faut réformer de toute urgence l’ordonnance de 1945 pour que les peines soient adaptées pour ce type de comportement".

"Nous avons arrêté plus de 3.400 personnes (ndlr : en marge des manifestations anti-CPE), je trouve de mon point de vue qu’il n’y a pas assez eu de peines assez sévères, que les peines de prison ferme, notamment, n’ont pas été assez sévères", a jugé M. Sarkozy, pour qui "reste posée de façon brûlante la question des mineurs".

"En tant que ministre de l’Intérieur, j’ai été, je ne le cache pas, inquiet de la tension, de la radicalisation, des risques d’affrontements, avec notamment ce phénomène si préoccupant des casseurs", a ajouté M. Sarkozy.

Pour lui, il y a eu "deux types de radicalisation" dans le mouvement contre le CPE : "il y a d’abord ces casseurs qui viennent d’un certain nombre de quartiers pour piller, pour voler, pour brutaliser, deuxièmement, il y a eu une radicalisation d’un mouvement qui finissait, parce que, en France, on ne se parlait plus".

Il a enfin renouvelé ses remerciements aux forces de l’ordre : "Je veux (leur) dire combien on peut être fier du travail qu’elles ont accompli et de la maîtrise, car il n’y a pas eu de brutalité dans des événements sociaux qui ont été assez spectaculaires"

2) Article du Figaro sur la présidente de l’AFMJF

Directement visés par les propos de Nicolas Sarkozy sur la justice des mineurs, qualifiés de « laxistes » et taxés de « faiblesse » face aux jeunes délinquants : depuis la semaine dernière, les juges des enfants sont sur la sellette. Pour répondre au ministre de l’Intérieur, les plus hauts magistrats de France sont sortis de leur réserve. Comment travaillent ces 450 magistrats spécialistes de l’enfance ? À quelles contraintes sontils soumis ? Quelle place, enfin, occupent- ils vraiment dans la machine Justice ? Des éléments de réponse au coeur de la polémique.

À BORDEAUX, cette fonctionnaire de l’École nationale de la magistrature (ENM) en serait presque attendrie. « Régulièrement, de jeunes lycéennes nous téléphonent pour savoir comment devenir juge des enfants. La plupart du temps, elles en ont vu un à la télévision. Après l’affaire d’Outreau, pareil : les garçons voulaient tous faire juge d’instruction ! »

Un coup d’oeil à la liste des postes brigués par la dernière promotion confirme la popularité de cette fonction : sur les douze mieux classés, trois - dont la major - ont choisi un poste de juge des enfants. Un métier qui fait envie, donc, « mais qui demande beaucoup », précise d’emblée Catherine Sultan, juge des enfants et viceprésidente du tribunal pour enfants de Créteil (Val-de-Marne). « C’est un exercice qui décourage de nombreux magistrats », souligne-telle.

« Ce n’est pas chez les juges des enfants que l’on se prépare un avenir à la Cour de cassation », note encore la magistrate. Le premier président de la cour d’appel de Paris, Renaud Chazal de Mauriac, est pourtant passé par cette case. Qu’ils fassent du droit des enfants une étape dans leur parcours professionnel, ou qu’ils s’y consacrent durablement, les juges demeurent attachés à l’ordonnance de 1945 qui les oblige à faire prévaloir l’éducatif sur le répressif.

Dans le Val-de-Marne, comme d’une manière générale, « on poursuit plus les mineurs que les majeurs ; un jeune qui vole dans un magasin sera systématiquement puni, pas forcément un adulte », assure Catherine Sultan. Longtemps a circulé l’adage : « Juge des mineurs, juge mineur ». Considérée comme « à part », et « loin d’être un enjeu politique majeur », se souviennent des magistrats, cette justice n’intéressait personne. « Notre image s’est beaucoup améliorée », note Françoise Andro-Cohen, juge des enfants en Charente-Maritime puis à La Réunion.

« Cette fonction nous renvoie beaucoup à nous-mêmes »

Juge civil et juge pénal, chargé à la fois de régler des dossiers d’enfance en danger comme de délinquance, ces spécialistes portent une triple casquette : juge d’instruction, d’audience, et d’application des peines. Laurent Bedouet, à Caen pendant trois ans, se rappelle avoir jugé « le coeur battant tant la décision à prononcer était violente ».

« Cette fonction nous renvoie beaucoup à nous-mêmes », concède son collègue Cyril Vidalie, détaché à l’ENM et ancien juge des enfants à Angoulême. Écoute, autorité et pédagogie sont par ailleurs les principales qualités requises, selon ces professionnels ; Catherine Sultan parle même volontiers d’une nécessaire « autorité humanisée » dans un métier qui compte une large majorité de femmes.

Il y a encore sept ou huit ans, la fonction de juge des enfants affichait le taux de rotation le plus élevé de toute la magistrature. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les juges préférant favoriser la continuité ; depuis 2001, une loi les autorise d’ailleurs à occuper le même poste jusqu’à dix années d’affilée. « Rien de pire pour un jeune que de changer de juge trois fois en quatre ans, affirme un juge palois. Pour bien faire, il faut savoir pactiser avec le temps ». Les magistrats « qui font ça toute leur vie » représentent malgré tout une minorité, assure Laurent Bedouet, qui fut également juge au TGI.

À eux de savoir absorber la masse de travail qui s’impose à eux (deux juges pour gérer 900 dossiers à Pau, par exemple), les audiences de cabinet (entre 60 et 75 % des cas présentés), l’accueil des familles et des mineurs (jusqu’à un rendez-vous tous les 8 jours), et une implication sur le terrain institutionnel particulièrement « chronophage ». Pour Robert Bidart, juge à Pau, l’optimisme doit prévaloir :« Les gamins nous surprennent par leur formidable capacité de changement. Et nous avons toujours l’espoir de voir des situations dramatiques évoluer vers quelque chose de stable ».


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