Grâce aux députés UMP, l’Eglise de scientologie échappe à la dissolution décidée par la justice. Jean-Pierre Brard, député communiste, veut savoir qui a voulu protéger la Scientologie. Complaisance du président UMP de la commission des lois d’après Jean-Marc Ayrault, député socialiste

mercredi 16 septembre 2009.
 

LA FACE CACHÉE DE L’ÉGLISE DE SCIENTOLOGIE

Le député Jean-Pierre Brard (PCF) a souhaité mardi l’ouverture d’une enquête pour déterminer qui est vraiment à l’origine de la modification législative interdisant la dissolution d’une secte pour escroquerie estimant que cette disposition visait à favoriser la Scientologie.

La modification contestée est intervenue dans le cadre d’une loi dite "de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures", un texte fourre-tout voté le 12 mai 2009 à l’initiative du député UMP Jean-Luc Warsmann.

"On a été victimes des textes fourre-tout qui passent à l’esbrouffe à l’Assemblée nationale mais cela ne suffit pas à expliquer ce texte", a expliqué à l’AFP le député communiste, qui a été membre des trois commissions parlementaires sur les sectes.

"Cette affaire n’est pas crédible. Pourquoi refuser dans un texte que des gens coupables d’escroquerie soient dissous dans leur structure. On ne comprend pas la logique de cette affaire. Warsman a décidé de couvrir tout cela. Moi, je veux une enquête pour savoir qui tenait le porte-plume", a expliqué M. Brard, également membre du conseil d’orientation de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Pour le député, cette disposition légistative avait clairement pour but de protéger l’église de Scientologie. "Je vois pas d’autre explication que celle-là. Pourquoi exonérer les structures coupables d’escroquerie de la dissolution. Dissoudre, cela veut dire que la structure n’existe plus, qu’elle n’a plus d’existence légale. Vous vous appropriez tout ce qu’elle possède y compris ses fichiers, y compris ses avoirs, c’est l’arme lourde. Ce n’est pas une simple interdiction d’activité qui permet à la structure de continuer d’exister", a-t-il expliqué.

Jean-Pierre Brard explique "déduire de ce qui s’est passé" la preuve que l’église de Scientologie bénéficie "de sympathie dans l’appareil de l’Etat".

"Je ne parlerais pas d’infiltration, je ne défends pas la théorie du complot, mais de présence. La Scientologie peut arriver à gagner les esprits, les consciences de personnes qui sont déjà dans l’appareil de l’Etat", a-t-il estimé.

Arnaque, crime et scientologie

On croyait l’Eglise de scientologie passible de dissolution pour escroquerie : que nenni ! La Miviludes a déniché lundi une réforme votée par la majorité UMP au mois de mai, qui supprime le délit d’escroquerie pour une personne morale. En clair : la Scientologie passe entre les mailles du filet.

Alors que la branche française de l’Église de scientologie risquait la dissolution le 27 octobre prochain devant le tribunal de Paris, à l’issue des poursuites engagées par le parquet de Paris en juin pour escroquerie en bande, elle n’encourt plus désormais que l’interdiction d’exercer. Une sanction relativement semblable dans les termes mais dont la portée est moindre dans les faits.

Un texte de loi adopté le 12 mai dernier annule le pouvoir de dissolution d’une personne morale en cas d’escroquerie. C’est ce qu’a révélé la Miviludes lundi, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, dont le Président, Georges Fenech, est furieux. Il a demandé dans un communiqué le rétablissement de la possibilité de dissolution. "Face à des organisations à caractère sectaire présentant un réel danger pour l’ordre public et la santé publique, la justice doit toujours pouvoir disposer d’une telle mesure", écrit-il. Une loi passée dans l’indifférence générale

Le fait que personne ne se soit aperçu de ce changement aux graves conséquences est symptomatique d’une justice grippée. Le texte d’origine parlementaire, n’est pas passé par le filtre du ministère concerné et encore moins du Conseil d’Etat comme c’est le cas lorsqu’il s’agit d’un projet de loi.

Cette façon dont a été menée l’affaire, presque ni vu ni connu, s’explique entre autre par la technicité du texte de loi dans lequel la disposition s’insère. Il a juste suffi de modifier un petit alinéa parmi tant d’autres sans que personne n’y prête attention. Au vu de la complexité de l’article de loi 124 qui comprend une ribambelles de chapitres renvoyant eux mêmes à d’autres articles et alinéas, on peut tout à fait imaginer le législateur survoler le texte.

Comble de l’ironie : l’article en question, n°124 s’inscrit dans une loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures. Maître Eolas, avocat au bureau de Paris, explique sur son blog par quel procédé tout simple on a pu en arriver là et déclare qu’aujourd’hui “On en arrive à faire voter n’importe quoi au législateur sans que celui-ci ait la moindre idée de ce qu’il vote ».

François Sauvadet, président du groupe du Nouveau Centre, a quant à lui déploré que la "course à la législation" ait conduit à cette situation. Le député socialiste Bruno Le Roux a également imputé le problème à la "précipitation". « Le Parlement », a-t-il dit, n’a plus "la possibilité de se pencher sur les dossiers voire les étudier dans toutes leurs conséquences". Des suspicions de complaisance

Le fait que cette loi soit passée deux semaines avant le procès de la scientologie soulève aussi bien des interrogation. Simple coïncidence ou volonté délibérée de protéger la secte ?

Jean-Marc Ayrault, député socialiste de Loire-Atlantique s’est interrogé ce matin sur BFM : « Qu’est-ce que c’est que ce travail ? Est-ce qu’il n’y a pas eu une forme de complaisance de la part de ceux qui ont rédigé ce texte, peut-être aussi du président de la commission des lois" (ndlr : Jean-Luc Warsmann, UMP), à l’origine de cette disposition ? ».

Le porte-parole des députés PCF, Roland Muzeau, quant à lui, a déclaré mardi 15 septembre soupçonner une "infiltration" de l’Eglise de Scientologie au ministère de la Justice.

L’avocat des victimes présumées de la Scientologie, Me Olivier Morice, et les deux principaux syndicats de magistrats ont demandé une enquête sur le vote du 12 mai à l’Assemblée. Eux aussi soupçonnent la Scientologie, groupement d’origine américaine très puissant financièrement et influent au plan international, d’avoir obtenu ce vote par des intrigues ou des appuis à l’Assemblée ou au gouvernement.

“Une erreur matérielle”

Ce pataquès juridique a fait l’effet d’une bombe et suscité de vives réactions. Parlant de décision "scandaleuse", le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, a mis en cause le ministère de la Justice, qui selon lui n’a pas pu ignorer l’épisode. L’Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire) a également réclamé l’ouverture d’une enquête. "Il serait souhaitable de savoir si ce vote est ou non une coïncidence", a dit son président, Christophe Régnard.

Du côté de l’UMP, on s’emmêlait un peu les pinceaux ce matin. Tandis que Michèle Alliot-Marie parlait d’ « erreur matérielle » pour qualifier la modification de la loi, Bernard Accoyer, président de l’assemblée nationale déclarait de son côté « qu’il n’y avait pas eu d’erreur législative ».

Les deux étaient tout de même d’accord sur un point : il y aura bien une enquête. Sur Europe 1, la Garde des Sceaux a annoncé que l’erreur serait corrigée « dès que possible. » « Je vais effectivement déposer, à l’occasion du prochain texte pénal une mesure qui permettra de dissoudre notamment des associations, des groupes et des sectes », a-t-elle ajouté. Des dispositions pourraient être incluses dans le projet de loi pénitentiaire dont l’examen débute ce mardi après-midi.

Pour le moment, l’erreur profite à l’Église de Scientologie qui passe entre les mailles du filet. Même en cas d’appel, après un éventuel rétablissement de la disposition, la nouvelle loi ne pourra pas lui être appliquée, n’étant pas rétroactive. Le tribunal de Paris pourra seulement prononcer une interdiction d’activité définitive ou une fermeture d’établissement le 27 octobre prochain.

Eléonore Tournier L’Huma (avec AFP et Reuters)


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