La science, une croyance comme une autre ?

vendredi 18 septembre 2009.
 

Paul Boghossian décrypte les ambiguïtés du relativisme postmoderne qui assimile les théories scientifiques à de simples récits culturels.

La Peur du savoir. Sur le relativisme et le constructivisme de la connaissance, de Paul Boghossian, traduit de l’anglais par Ophelia Deroy, préface et annexes de Jean-Jacques Rosat. Éditions Agone, 2009. 20 euros.

Toute connaissance est une construction sociale. Toute connaissance est socialement et historiquement située, donc relative et contingente. Il existe plusieurs façons de connaître le monde, et la science, loin d’être un moyen privilégié d’accéder à la vérité des choses, n’est que l’une, parmi d’autres, de ces façons. En ce qui concerne par exemple les êtres vivants, le créationnisme et la théorie de l’évolution constituent deux réponses, tout aussi légitimes à la question de leur origine. Il s’agit seulement de deux croyances dont on ne peut prétendre que l’une serait rationnelle et l’autre irrationnelle.

Telles sont, en les résumant beaucoup, les principales thèses du constructivisme et du relativisme postmoderne, des thèses qui, depuis qu’elles ont commencé d’être énoncées - en gros depuis les années 1980, n’ont cessé de faire l’objet de diverses tentatives de réfutation : aux analyses développées d’un côté par Bloor et Barnes, par Kuhn, par Latour, par Shapin et Schaeffer, par Rorty, ont riposté Sokal et Bricmont, Hacking, Bourdieu, Bouveresse, Berthelot, etc.

L’ouvrage de Paul Boghossian, constitue une nouvelle intervention dans ce que l’on a appelé la « guerre des sciences », ce conflit qui oppose les tenants du constructivisme et leurs adversaires, qui ne se résolvent pas à tenir les théories scientifiques pour de simples « narrations », de simples récits, qui n’auraient que peu de choses à voir avec la vérité, la réalité, l’objectivité. Boghossian s’emploie à démonter, en les prenant au sérieux les différentes modalités du constructivisme. Si on les entend sous leur forme la plus radicale, celle qui consiste à faire du contenu même de la connaissance une construction sociale, ces thèses, s’efforce-t-il de démontrer, sont incohérentes et indéfendables. Et si on les entend sous une forme plus atténuée, quand elles se contentent d’affirmer le caractère social de l’activité scientifique, elles se ramènent à des truismes sans grand intérêt. In fine, l’auteur s’interroge : pourquoi cette « peur du savoir », pourquoi cette volonté passionnée de relativiser ce savoir ?

Il esquisse une analyse des enjeux politiques du relativisme, enjeux dont il souligne l’ambivalence. Historiquement, le relativisme - que l’on songe notamment aux analyses de Claude Lévi-Strauss sur le « relativisme culturel » - a pu jouer un rôle progressiste et libérateur. Le relativisme de Paul Feyerabend, qui concerne quant à lui exclusivement la connaissance scientifique, était également inspiré par la conviction que la science occidentale ne devait prétendre à aucune sorte de supériorité sur, par exemple, le vaudou ou sur la médecine traditionnelle chinoise et des formes de connaissance que la science occidentale avait choisi d’invalider. Mais, remarque l’auteur, le relativisme peut aussi servir des intentions contre-révolutionnaires et, si tous les points de vue se valent, se transformer en instrument du conservatisme. On peut regretter que Paul Boghossian ait laissé ouverte la question de savoir quel rôle, sur le plan historique, politique, idéologique, joue le relativisme - question complexe, à laquelle il n’existe sans doute pas de réponse unique.

À l’évidence, une enquête approfondie s’impose, que Ian Hacking a déjà conduite partiellement, qui aurait pour tâche de procéder au décryptage idéologique du relativisme, ou, plus exactement, « des » relativismes, en les resituant dans le contexte de leur formulation et de leur énonciation, afin de clarifier leur ambivalence, et peut-être de définir des conditions de « bon usage », dans la mesure où certaines formes de relativisme ont eu partie liée avec une approche d’inspiration matérialiste. Une enquête dont on ne peut qu’espérer qu’elle sera entreprise.

Simone Mazauric Épistémologue et historienne des sciences


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