Le suicide… maladie contagieuse ? (Par Claude Tedguy, philosophe et psychanalyste)

lundi 21 septembre 2009.
 

Les temps se suivent et parfois se ressemblent, parce que l’indifférence au malheur et au désespoir est un ingrédient qu’on ne peut et qu’on ne veut pas éradiquer. On n’aime pas parler de suicide, de mort et encore moins de la manière et des moyens d’y arriver… Sentiment de gêne, sensation d’être dérangé par des mots qui frappent, peut-être… Mais cela va plus loin que les mots. Car derrière les mots se cachent des histoires vraies. Laissons les notions philosophiques du suicide comme « seul problème philosophique sérieux », d’après Camus. Ou encore « Amour de vivre… qui n’existe pas sans désespoir de vivre. » Ou le fait, d’après Landsberg, que « l’homme est l’être qui peut se tuer, mais qui ne doit pas le faire ». Et tenons-nous en à ce qui de toujours a été une des causes irréfutables du suicide : le sentiment d’inutilité et l’incapacité à surmonter des difficultés qui sont cliniquement et scientifiquement parlant un prélude à la dépression : baisse du tonus physicopsychique qui se manifeste par la lassitude, un sentiment d’impuissance et de mélancolie… menant à l’ultime moment : « Je ne suis pas capable, j’abandonne, je baisse les bras »… et le passage à l’acte.

Ce n’est pas un hasard si la société dite de consommation a multiplié par deux cents les suicides, chez les jeunes en particulier. Ce n’est pas un hasard si, à force de vouloir être performant, on en devient malade… à force de repousser les limites du possible. L’ouvrier stakhanoviste de la défunte Union soviétique n’existe pas et n’a peut-être jamais existé. Ce n’est pas un hasard si on laisse planer une épée de Damoclès sur la tête des travailleurs en disant sans le dire que seuls « les meilleurs » seront sauvés… En fait il n’y a ni pires ni meilleurs, mais une exploitation de la peur de se retrouver « au placard », qui donne les résultats que l’on connaît. Ce n’est pas un hasard que de vouloir générer compétition, envie, jalousie… pour obtenir plus de rentabilité, jusqu’à ce que mort s’ensuive !

Et ce n’est pas un hasard non plus si, une fois déclenchée, la contagion suicidaire se répand comme une tache d’huile… Souvenons-nous de Jan Palach le 18 janvier 1969, et de la vague de suicides que sa mort entraîna chez les jeunes à travers le monde : Jan Palach se suicide par le feu à Prague, et un étudiant du lycée Faidherbe se suicide à Lille… « en protestation contre la violence », dira-t-il. Un autre étudiant écrira qu’il se suicide « en raison des guerres et de la folie des hommes »… Une petite lycéenne se suicide rue Agar à Paris (16e), un ouvrier à Sochaux… et le Monde rapporte ainsi à cette époque, par des communiqués laconiques et discrets, des morts qui n’en finissent pas de nous interpeller aujourd’hui comme hier… comme nous interpellent les suicides de France Télécom.

Mais nous n’aimons pas être interpellés. Les pouvoirs politiques n’aiment pas qu’on leur rappelle qu’un homme n’est pas une machine, ni à produire, ni à consommer, ni à concourir. Les structures même de notre société sont mises en cause dans tous les domaines. Et des hommes, des femmes et des enfants meurent, que nous avons poussés à la mort par notre indifférence et notre silence complice. Tristes individus que nous sommes, préoccupés de sauver notre tête. Tristes et pauvres individus que nous sommes, de ne pas comprendre que ce sont nos enfants d’aujourd’hui et de demain que nous envoyons à la mort. Sommes-nous tous des assassins ?… Il ne faut pas croire que le suicide est simplement une protestation désespérée. C’est parfois, comme aujourd’hui, un crime perpétré indirectement par ceux qui ont décidé de manipuler l’être humain à outrance en l’isolant dans son travail afin que sa solitude soit plus grande, et plus faible sa force de résistance, grâce à la dissolution des structures collectives.

Car c’est un fait qui ne date pas d’aujourd’hui : on abat mieux ceux qu’on a isolés que ceux qui sont en groupe ou en meute. Il faut le dire et réveiller les consciences. Car la mort ne purifie rien. C’est l’échec de la vie. Et la victoire hypocrite de ceux qui, comme l’autre, s’en lavent les mains. Mais tout cela a une odeur de sang.

Claude Tedguy

Animateur de l’Université libre et populaire des lettres, des sciences et des arts.


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