A Villemur sur Tarn, ... la France n’est plus un Etat de droit, la loi ne s’applique pas. Le patron américain de Molex est roi.

jeudi 8 octobre 2009.
 

MISE SOUS SEQUESTRE

Vendredi dernier j’étais à Villemur sur Tarn, dans la Haute Garonne, avec les salariés de Molex. Je suis arrivé dans l’après midi. On avait rendez vous avec les camarades de la CGT sur la place a côté de la mairie. Une de ces rencontres dont on ne sort pas indemne. Un adjoint socialiste de la municipalité s’est joint à nous. Moi j’étais accompagné par Guilhem Serieys, conseiller régional PG et Jean-Christophe Sellin autre élu PG à la ville de Toulouse. Eux deux sont les dirigeants départementaux du Parti dans l’Aveyron et la Haute Garonne. C’était un moment simple et très fort.

Ceux de Molex m’ont raconté la fin de cette phase aigüe de la lutte. Même si la lutte n’est pas finie, puisque, eux, continuent à revendiquer et à se battre. Les Molex je les avais rencontrés pendant la manifestation à Toulouse, le 29 janvier. Le jour de la première très grande mobilisation interpro. Vous vous souvenez ? Ils étaient déguisés en gaulois mais ce n’était déjà pas la joie. Cette fois ci, le soir, après notre rencontre, il y avait une « fête musicale » de solidarité ; ça se passait à côté de l’usine occupée par quatre vingt miliciens payés par le patron américain pour protéger le site contre les ouvriers qui l’ont pourtant fait vivre toute leur vie.

J’ai fini la journée cassé en deux de rage contre les patrons voyous et de honte pour mon pays qui est gouverné par des gens qui encouragent ces méthodes. J’ai proposé lors de ma rencontre avec les représentants de la CGT Molex que l’Etat mette sous séquestre l’usine de Villemur. Cette mesure serait justifiée par le trouble à l’ordre public créé par les violations successives de la loi et du code du travail par la firme américaine Molex, comme l’ont constaté les tribunaux à plusieurs reprises. Entrave au comité d’entreprise, défaut d’information des salariés, non respect des procédures de licenciements, non paiement d’une partie des salaires, tentative de lock-out, tout a été fait aux ouvriers de Molex. Face à de tels agissements, la mise sous séquestre constitue un instrument d’intérêt général.

Pourquoi l’Etat s’en priverait-il s’il est bien au service des citoyens et de l’état de droit ? A la Libération, l’Etat n’a-t-il pas mis sous séquestre l’entreprise Renault avant qu’elle soit nationalisée ? Le motif en était alors l’enrichissement avec l’ennemi et le détournement du travail et des produits du pays au profit d’une puissance étrangère. Le pillage des brevets, des machines et des carnets de clientèle de l’usine Molex, les violations répétées de la loi sanctionnées en vain par nos tribunaux, constituent un cas qui peut être assimilé à cette situation. Cette mise sous séquestre permettrait d’empêcher la vente pour un euro l’usine à un fonds américain, qui reçoit en plus 6 millions d’euros de l’Etat pour achever la liquidation de l’entreprise. Surtout, elle permettrait d’obliger la tenue d’une table ronde entre le gouvernement, les syndicats et les entreprises automobiles qui utilisent les produits de Molex. A ceux qui me trouvent un peu trop virulent, je veux raconter, ce cas d’école qu’est la situation de Molex.

UNE TRES BONNE AFFAIRE

L’usine de connectique de Villemur sur Tarn dans la Haute Garonne, existe depuis 1932. Elle a d’abord été rachetée en 2000 par la SNECMA. Celle-ci n’était vraiment intéressée que par la partie connectique aéronautique. Dès 2004, la SNECMA, qui s’appelle aujourd’hui groupe SAFRAN, décide donc de se débarrasser du secteur connectique automobile qu’elle vend au groupe Molex. Le groupe Molex est un géant américain de la connectique et de l’électronique. Il emploie plus de 30 000 personnes dans le monde. Il dégage près de 3 milliards de dollars de chiffres d’affaires annuel. A l’époque, l’usine de Villemur réalise 65 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour Molex, le rachat de l’usine de Villemur était le moyen d’entrer sur le marché européen et notamment d’accéder aux gros clients automobiles français, PSA et Renault, gros consommateurs d’électronique connectique. 48 % de la production faite à Villemur sur Tarn était vendue à PSA et 20 % à Renault.

Le rachat de l’usine de Villemur a été une réussite pour Molex qui est devenu le deuxième plus gros fournisseur de PSA. La réussite est également financière puisque l’usine de Villemur est très largement rentable. Elle a dégagé 1,2 millions d’euros de bénéfices en 2008. Et près d’un demi million encore au premier trimestre 2009 pour un chiffre d’affaires d’environ 40 millions d’euros. Il faut savoir que depuis fin 2006 et jusqu’en février 2009, l’usine de Villemur a généré le plus fort taux de résultats parmi l’ensemble des sites de la division auto de Molex. Molex a donc réalisé une excellente affaire en achetant l’usine de Villemur. Une excellente affaire même. Les syndicalistes considèrent que la SNECMA aurait vendu l’entreprise pour la moitié de sa valeur. Première question : pourquoi le prix de vente a-t-il été aussi favorable à l’acheteur ?

VIEILLES ACCOINTANCES ?

Et voici la deuxième question. Pour réaliser cette vente à Molex, la SNECMA était assistée à l’époque par un cabinet d’avocats d’affaires. Il s’agit du cabinet Baker et McKenzie. Où est le rapport avec la situation aujourd’hui ? Je ne sais pas s’il y en a un. Je note seulement que ce cabinet était alors présidé au niveau mondial par Christine Lagarde. Madame Lagarde est aujourd’hui ministre des finances, en charge du dossier. Je note aussi que le ministre chargé de l’industrie à l’époque était monsieur François Fillon. Aujourd’hui il est le Premier Ministre. De ces deux coïncidences je retiens que ces deux personnages, clef aujourd’hui dans le dénouement de l’affaire, sont les même que ceux qui l’ont mise en place il y a cinq ans. Je note qu’ils étaient alors situés des deux côtés de la barrière. Je signale ces faits pour que chacun les aient à l’esprit quand je vais évoquer l’incroyable mansuétude des pouvoirs publics face aux violations et combines de Molex. De vieilles accointances ?

UNE ASPHYXIE PLANIFIEE

En octobre 2008, le groupe Molex annonce par surprise sa décision de fermer l’usine pour juin 2009 et de licencier les 283 employés. Il est ouvertement dit qu’il s’agit de délocaliser la production aux USA et en Chine. Argument invoqué : la crise de l’automobile. Facile. Dans les faits, la délocalisation est aussi aberrante sur le plan économique qu’écologique. Car Molex continuera de fournir PSA et Renault ! Les pièces devront donc faire des dizaines de milliers de kilomètres pour être livrées ! La crise est de toute façon un pur prétexte. L’usine ne manquait pas de commandes. D’ailleurs, les salariés ont aussi découvert, grâce à une fuite chez PSA, que Molex avait prévu depuis plusieurs mois de délocaliser aux USA indépendamment de toute considération de conjoncture. La preuve est faite aussi que, dans le dos des salariés, Molex avait commencé à détourner une partie des commandes vers les usines américaines. L’asphyxie progressive de l’usine de Villemur était donc planifiée. En toute hypothèse le groupe Molex ne se porte pas si mal. N’a-t-il pas décidé d’augmenter de 33 % en 2009 les dividendes versés aux actionnaires. Ce sont donc 100 millions de dollars qui ont été distribué, en pleine crise, contre 75 millions l’an dernier.

ILS SE CROIENT DANS UNE REPUBLIQUE BANANIERE. ONT-ILS TORT ?

Jusque là, c’est la chronique ordinaire de la lutte de classe qui, comme chacun le sait, n’existe pas. Des patrons américains achètent une entreprise française pour prendre sa clientèle, ses brevets et ses parts de marché. Elle prend l’argent public et les bénéfices. Puis elle pille le site et délocalise. Banal. Mais Molex a fait plus violent. Le groupe a multiplié les violations du droit du travail pour liquider l’usine à tout prix et au plus vite. Entre novembre et juin 2009, deux plans sociaux successifs ont ainsi été annulés par la justice pour entrave au comité d’entreprise et défaut d’information. Molex refusait en effet de fournir la moindre donnée économique pour justifier la fermeture. Les yankees prétendent que la loi française ne s’applique pas à eux. Ils arguaient donc de la législation américaine. Bref du Bolkestein comme s’il en pleuvait. En août dernier, Molex a aussi tenté de fermer par la force l’usine, suite à la grève engagée en juillet par les salariés. Le lock out est interdit en France. Ce qui lui a valu sa troisième condamnation par la justice. L’américain s’en fiche. Son projet c’est de partir vite, les poches pleines. Et surtout sans discussion pour éviter de parler de repreneur. Pas question d’installer un concurrent. Pourquoi se gênerait-il ? Depuis le début le pouvoir politique en France est d’une docilité de caniche. En dépit des condamnations en justice. En dépit du rôle qu’auraient pu jouer PSA et Renault en tant qu’entreprises bénéficiaires du plan de soutien à l’automobile. Le gouvernement a laissé faire l’ami américain comme s’il était chez lui.

LE GOUVERNEMENT TOMBE ENCORE PLUS BAS

En fin de parcours, après des mois de lutte ouvrière, la honte va à son terme. Le gouvernement fait des mouvements de menton. Et il autorise un scandale encore plus grand si c’est possible. Il décide de livrer l’usine de Villemur à un fonds d’investissement américain, HIG, spécialisé dans le capital risque. On se demande où est le risque. Car pour ce fond c’est plutôt le jackpot. Voyez cela : pour un euro symbolique, il récupère une entreprise bénéficiaire. Un euro ! Et il empoche aussi cinq millions d’euros de Molex qui reçoit l’autorisation de reconvertir de cette façon toutes les amendes qu’il doit ainsi que les sommes qu’il devrait débourser au nom de la ré-industrialisation du site. Et là-dessus l’Etat ajoute encore six millions et demi d’euros d’avances. Total onze millions et demi d’euros comme prime de risque !

Et quoi en contrepartie ? A peine 20 salariés sur 283 repris ! Et une vague promesse d’en reprendre 75 d’ici un an. Et pas le moindre engagement de maintien durable de l’activité. Le seul engagement économique de Molex est d’acheter pour 2,5 millions d’euros de produits à l’usine pendant 2 ans. C’est-à-dire 20 fois moins que sa capacité de production actuelle. Car Molex a obtenu que ne soit conservé sur le site que les chaînes de fabrication des produits nommé « en fin de vie » c’est-à-dire qui ne seront plus commercialisables dans un délai de deux ans. Tout le reste est parti ! Cinquante deux semi-remorques sont venues, deux par deux, encadrées de motards et des miliciens de Molex pour vider le stock et les outillages des machines. Le gouvernement a couvert le chantage organisé par Molex pour que ce plan de reprise soit approuvé par les salariés, en les menaçant de non paiement des salaires d’août et septembre.

Les travailleurs sont donc tombés à genoux sous les coups. La nuit du vote, la sirène d’alarme a sonné interminablement signalant la fin du conflit et l’amère défaite. Dès lors l’humiliation n’a plus eu de fin. Les vingt recrutés sont des jaunes. Et pour couronner le tout, le négociateur de Molex s’est à nouveau rendu coupable de délit d’entrave le 15 septembre. Il a déployé ses vigiles dans la préfecture pour empêcher les avocats des élus du personnel d’accéder à la salle de la préfecture où se négociait l’ultime plan social. Alors que Molex était assisté de son côté par ses propres avocats. Le tout sous l’œil bienveillant du préfet qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de prévoir une salle où le syndicat pourrait consulter ses conseils. Bref, un complice de plus au délit d’entrave.

A Villemur sur Tarn, l’Etat n’est plus dans l’Etat, la France n’est plus un Etat de droit, la loi ne s’applique pas. Molex est roi. Son patron commande, entouré de ses gardes du corps qui déploient comme des crétins qu’ils sont, pour un oui pour un non, leur bouclier en kevlar. Sa milice occupe l’usine. Il va et vient dans une voiture aux vitres tintées entouré de deux véhicules de protection ! Un cinéma ridicule destiné à impressionner comme le fait toujours une puissance occupante.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message