Université d’été d’ATTAC. Des débats qui décoiffent

samedi 3 octobre 2009.
 

Les réflexions sur le dépassement du capitalisme et le mouvement d’émancipation marquent les débats de l’université d’ATTAC, à Arles.

Ce qui se passe à Arles depuis vendredi le montre une fois de plus : « l’université citoyenne » organisée par ATTAC, chaque fin d’été, depuis dix ans, rencontre un succès qui ne se dément pas. Et ce, quels que soient les aléas que traverse l’association altermondialiste qui semble péniblement se relever de la crise interne qu’elle a connue il y a quatre ans. Preuve s’il en est de l’engouement de militants divers pour le débat, la réflexion, le travail d’appropriation des connaissances, la recherche. L’actualité de la crise a fait bondir les questionnements des adhérents et des sympathisants d’ATTAC France. La critique du néolibéralisme, du capitalisme financier, suffit-elle à comprendre cette crise globale, « systémique », que nous sommes en train de vivre ? Ne faut-il pas plutôt interroger le système capitaliste lui-même ? Le thème de l’université citoyenne, « Que faut-il faire du capitalisme ? », répond sans ambiguïté à cette question (voir l’entretien avec Aurélie Trouvé, coprésidente d’ATTAC, dans l’Humanité du 21 août). Et quand des chercheurs et des militants se réunissent pour se confronter sur de tels enjeux, ça décoiffe.

Faut-il dépasser le capitalisme ? À Arles aussi, Marx est de retour et le marxisme interrogé. « Je ne veux pas clouer au pilori cette notion de dépassement, explique Pierre Dardot, mais montrer ce qu’elle peut avoir d’équivoque. N’est-il pas périlleux d’imaginer dépasser un système, le capitalisme, dont la première caractéristique fondamentale est de se dépasser lui-même constamment ? » Le philosophe explique qu’il ne s’agit pas d’aller plus loin que le capitalisme dans la même direction qui est « de produire toujours plus de plus-value ». Ni de réaliser « la promesse du capitalisme de produire toujours plus de biens matériels ». « La bourgeoisie, en détruisant les sociétés traditionnelles, n’a pas eu une mission civilisatrice comme le prétendait Marx, renchérit l’économiste Geneviève Azam, parce que le mouvement d’expansion du capital a engendré des phénomènes de société et écologiques irréversibles qui sapent les fondements même des sociétés. » Il faut, selon elle, « penser l’émancipation comme une conservation critique » et non comme un « arrachement » ou « une table rase ».

Mais il ne faut pas non plus penser sans interroger les expériences passées, ont souligné plusieurs intervenants. « La crise appelle une bifurcation fondamentale dans le mode de développement de la planète, propose Thomas Coutrot. Et ça ne se fera pas sans un projet collectif, une idéologie. » Le statisticien milite pour un projet d’émancipation porté par « un sujet qui ne peut plus être la classe ouvrière », et suggère de travailler sur l’idée de la construction d’une « société civile démocratique ». « Tous les projets émancipateurs ont échoué parce qu’ils étaient hégémoniques », rétorque Francis Parny, lui reprochant de rechercher un projet unique porté par un acteur unique. Le dirigeant du PCF propose de penser « des modèles de développements différents qui prennent en compte la diversité du monde ». Dans le même sens, le sociologue Philippe Corcuff estime qu’on « ne peut pas penser une radicalité anticapitaliste et une pensée émancipatrice sans une vigilance antitotalitaire ». Il appelle à « rompre avec l’aplatissement du pluriel dans les gauches au nom de l’unité, de la centralisation ». Il faut, selon lui, « se débarrasser de ce vocabulaire », « rompre avec la conception de la politique comme harmonie, comme synthèse, et accepter les antinomies ».

« On m’a demandé : face à la crise, que faut-il faire des riches ? Je réponds : suivre leur exemple ! » lance malicieusement Monique Pinçon-Charlot. La sociologue explique que « l’aristocratie de l’argent » a su se constituer « en véritable classe sociale, une classe mobilisée pour défendre ses intérêts au détriment des intérêts du reste de la société ». Elle montre que la « richesse » de cette caste est économique « mais aussi culturelle, sociale et symbolique ».

D’ailleurs, lance Jean-Louis Sagot-Duvauroux, « le libéralisme, c’est très convaincant ! ». « La doctrine libéraliste, c’est que la société humaine ne peut aller plus loin, qu’on a atteint toute la liberté possible avec la démocratie représentative à l’occidentale, avec le progrès tel que l’a développé l’Occident, avec la consommation comme clé du bien-être, avec le libre marché et la direction capitaliste de l’économie », explique le philosophe. Il montre que « l’émancipation, c’est au contraire continuer l’histoire ». « On sait faire de l’émancipation sans totalitarisme », avance-t-il, ébauchant un inventaire allant de la Sécurité sociale aux logiciels libres. Mais « l’émancipation n’est pas le destin de l’humanité, c’est un possible, ce n’est pas la vérité de l’histoire ». Il appelle à « apprendre à être libre ».

Glanés ici ou là à travers les ateliers de l’université citoyenne d’ATTAC, ces propos montrent combien le champ de la réflexion est ouvert pour ceux qui veulent transformer le monde. Et beaucoup à gauche attendent que se multiplient de tels espaces de rencontres, de recherches et de travail.

Olivier Mayer


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