L’hypocrisie du prétendu rempart anti-libéral

mercredi 25 mai 2005.
 

Dans Le Monde du 16 avril, Eric Le Boucher, chroniqueur régulier du Monde apporte sa part de vérité : "L’Europe" rempart contre la mondialisation ultralibérale" : quand cessera cette hypocrisie ?". Libéral vraiment bon teint, Eric Le Boucher confirme, à son corps défendant, les arguments du Non.

L’Europe : un rempart percé de toutes parts

Sous ce titre, Eric Le Boucher s’en prend vertement à Jacques Chirac qui, lors de sa prestation du 14 avril, présentait la Constitution comme le moyen de lutter contre " la mondialisation portée par un courant ultralibéral ".

Pour lui, l’utilisation de cet argument est " une grave erreur ". En effet, les partisans du Non " n’ont aucun mal à montrer que ladite protection ne fonctionne pas et que, pis, l’Europe est devenue le fourrier du libéralisme. Bolkestein ! Bolkestein ! " Puisque qu’il l’affirme ... Le chroniqueur du Monde précise, avec une pertinence toujours aussi constante, que François Mitterrand avait déjà utilisé cet argument en affirmant que l’euro servirait de rempart aux économies européennes.

Il en tire les conclusions que pourrai en tirer tout partisan du Non : " On sait ce qu’il est advenu : non seulement l’Union est restée complètement soumise à la conjoncture américaine [...] mais l’eurozone s’est ensablée dans la semi-stagnation ". Il ajoute, pour faire bonne mesure : " L’euro devait aussi servir à accélérer l’évènement d’une Europe politique. Il n’en a rien été non plus ". Merci pour cet utile rappel historique.

Le gouvernement français a cédé "sa politique d’ajustement structurel " à Bruxelles Monsieur Le Boucher estime que cette idée de rempart n’est qu’ " une lâche hypocrisie ". Pour lui, en effet, loin de l’idée que l’Europe puisse nous " protéger ", les gouvernements français " espèrent en secret qu’elle va nous bousculer, nous forcer à faire ces " réformes " qu’ils savent nécessaires mais que l’opinion refuse". En une phrase bien sentie : " la France a cédé à Bruxelles sa politique d’ajustement structurel ".

C’est ce que la grande majorité des Français qui s’apprêtent à voter non a compris depuis quelque temps déjà. Merci, cependant, à un libéral aussi incontesté que Monsieur Le Boucher de le confirmer ouvertement. Cela pourra aider à convaincre les indécis.

Paris fait de Bruxelles " un père fouettard " Ce que reproche, en fait, Eric Le Boucher au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin c’est de ne pas oser assumer les réformes structurelles, selon lui, indispensables. C’est ce refus d’assumer les réformes qui fait de Bruxelles le " père fouettard qui impose la rigueur, la concurrence, la libéralisation, la privatisation " et qui explique la montée du Non.

Le chroniqueur nous livre ce qui paraît bien être le fond de sa pensée en affirmant que Raffarin n’a pas fait de réformes : " celle (très partielle) des retraites a été la seule sans doute, la dernière de M. Chirac avant 2007 ". La loi Fillon plongera la majorité des salariés dans la pauvreté en 2030 mais ce n’est pas suffisant pour M. Le Boucher ! La mise en place d’une machine infernale de privatisation de l’assurance maladie par la loi Douste-Blazy n’a pas d’existence à ses yeux. C’est tout juste s’il concède qu’il aura fallu " deux ans et demi pour autoriser l’augmentation des heures supplémentaires bloquées par les 35 heures ! " Oubliés la suppression de la loi de modernisation sociale, la loi Dutreil qui permet la multiplication de faux " travailleurs indépendants ", la loi Fillon qui adapte l’Ecole aux besoins des entreprises, les recalculés de l’Unedic, le recul des droits des intermittents du spectacle, la limitation de la durée de l’allocation spécifique de solidarité, l’instauration du RMA, la progression de l’Etat pénal aux dépens de l’Etat social, la baisse du pouvoir d’achat, l’explosion des profits des grandes sociétés, la facilitation des délocalisations... Tout cela n’est que broutilles aux yeux de Monsieur Le Boucher.

Nous voilà prévenu de ce que veulent vraiment les libéraux quand ils parlent sans précaution oratoire. Si le Oui l’emporte, ils se sentiront pousser des ailes...

La mondialisation heureuse Pourquoi nous protéger de la mondialisation puisque celle-ci "n’est pas le mal " ? Eric Le Boucher n’hésite pas à affirmer : " Elle a des travers mais engendre une forte croissance mondiale qui sort de la misère des milliards d’être humains, notamment les affamés chinois et indiens ".

Ces affirmations sont en complète contradiction avec les chiffres de l’ONU qui indiquent, au contraire, l’extension et l’approfondissement continus de la pauvreté dans le monde depuis plus de 20 ans. Il est significatif, d’ailleurs, que le chroniqueur du Monde prenne pour exemple la Chine et l’Inde, deux pays dont les Etats protégent fermement le marché intérieur et qui ne s’ouvrent à la mondialisation libérale qu’avec parcimonie, en fonction de leurs intérêts bien compris. Pourquoi, diable, Monsieur Le Boucher n’a-t-il pas pris pour exemple l’Afrique, ou l’Argentine si longtemps considérée comme la meilleure élève du Fonds Monétaire International, ce temple de la mondialisation libérale ?

Encore un effort pour être fédéraliste ! Curieusement, Monsieur le Boucher termine son brûlot en souhaitant une Europe qui se dote " de plus de moyens fédéraux ".

Si c’est vraiment ce qui lui tient à cœur, il devrait en tirer toutes les conclusions et voter Non car la Constitution, impossible à réviser, bloquerait toute avancée vers une Europe fédérale. Mais sans doute est-ce trop lui demander ? Avec cette chronique, Monsieur Le Boucher vient déjà de faire pour le Non beaucoup plus que ce nous pouvions attendre raisonnablement de lui.

Jean-Jacques Chavigné


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