4 au 12 octobre 1988 en Algérie : Un grand mouvement social et une grande illusion

samedi 15 octobre 2022.
 

1) Chronologie des évènements

4 octobre en soirée Première émeute dans le quartier de Bab El-Oued à Alger

05 octobre L’émeute se généralise dans tout Alger, initiée essentiellement dans la jeunesse. Elle déclenche une grève de facto, beaucoup plus générale que celle voulue par le syndicat UGTA.

06 octobre A midi, l’état de siège est décrété. Pourtant, l’émeute reprend à Alger et touchent d’autres villes. Les mairies d’El Biar et de Bachdjarah et la sous-préfecture de Hussein Dey flambent. Plusieurs commissariats sont mis à sac, et les insurgés y prennent les armes. Le « centre commercialo-culturel », fière vitrine du régime par extension, est détruit. De nombreux affrontements ont lieu avec l’armée. L’émeute gagne Blida, Bordj Bou Arreridj.

07 octobre Emeutes et affrontements se poursuivent. L’armée panique et tire sur les rassemblements dans les rues d’Alger. Les intégristes » tentent, à la faveur de ce vendredi jour de prière d’entrer dans le mouvement et d’en prendre la direction ; mais alors que certains imams appellent à manifester pacifiquement, d’autres exhortent les émeutiers à rentrer chez eux. Outre Blida, où elle continue, l’émeute gagne Staoueli, Zeralda, Tiaret, Mostaganem, Annaba, Sétif, Fort national, Boufarik et Oran, où l’on saccage le bâtiment du FLN, les principales entreprises et les hôtels de luxe.

8 octobre Violents harcèlements des forces de l’ordre dans les quartiers populaires d’Alger, à la nuit tombée. L’émeute gagne les villes du désert, Ouargla, Djelfa. L’armée tire sur les mosquées où ont lieu des cérémonies funèbres de victimes. Toutes les estimations dépassent les 200 morts.

10 octobre Les tirs d’armes automatiques continuent d’être bravés par de jeunes harceleurs. Le marché d’Alger est miraculeusement réapprovisionné, même de produits qu’on ne trouvait plus au marché noir. Dans la journée, l’armée mitraille une manifestation pacifique à Bab El-Oued (25 à 30 morts). Dans la soirée, discours du président Chadli Bendjedid à la télévision.

12 octobre Derniers affrontements, à Tizi Ouzou, lors d’une manifestation pro-Chadli attaquée par des contre-manifestants. Levée de l’état de siège.

* Chadli Bendjedid annonce un référendum constitutionnel : c’est la fin de l’Etat-FLN.

* Le bilan officiel est de 176 morts et 900 arrestations ; les estimations officieuses vont jusqu’à 500 morts et 4 000 arrestations. Les condamnations d’émeutiers vont jusqu’à huit ans de prison.

2) Le soulèvement d’Octobre 1988 : un moment fondateur

Communiqué de l’ACDA (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie), en commémoration du soulèvement d’octobre 1988.

Le 5 octobre 1988, des milliers de jeunes occupent les rues d’Alger pour réclamer, avec fracas, plus de droits et de justice. En quelques jours, la révolte gagne la plupart des grandes villes du pays. L’état de siège est déclaré : les responsables politiques et militaires répondent par le mépris, et ne tardent pas à ordonner une répression sanglante, d’une ampleur et d’une intensité inégalées depuis l’indépendance. Officiellement de 161 morts, le bilan dépasse, en réalité, les 500 morts ; il y a des centaines de blessés et de manifestants arrêtés, et parfois torturés.

Le bouleversement est général, en particulier chez celles et ceux qui avaient résisté contre le colonialisme, lutté pour la libération du pays, comme le fit remarquer Mohammed Harbi : « Les militants de ma génération, qui ont connu la colonisation, ne peuvent pas ne pas être bouleversés par l’image de nos enfants assassinés, les enfants de notre peuple pauvre, les enfants sans espoir ni avenir, les enfants dont les martyrs de nos montagnes et de nos villes pensaient qu’ils seraient les bénéficiaires de la libération de notre pays. »* D’aucuns considèrent même que la rupture ainsi intervenue entre le peuple et le pouvoir est consommée, et que rien ne viendra la combler.

Le soulèvement d’octobre 1988 a ouvert une brèche de liberté dans un pays dominé par la dictature et le régime du parti unique. Une effervescence politique sans précédent a traversé la société. Des dizaines de partis politiques, d’associations et de journaux ont été fondés par des Algériennes et des Algériens assoiffés de liberté.

L’arrêt du processus électoral par la junte militaire, le 11 janvier 1992, et le basculement des islamistes dans la lutte armée ont laminé les espoirs de démocratie et de justice sociale surgis durant cette période. En plus des centaines de milliers de victimes, la violence de la guerre civile a provoqué des peurs et des régressions terribles tant au plan social que politique.

Aujourd’hui, le régime craint que l’essor des luttes démocratiques et sociales des peuples du monde arabe ne s’étende à l’Algérie, et que les mobilisations sociales que connaît le pays depuis plusieurs mois ne se prolongent par une révolte générale des Algériennes et Algériens pour leurs droits sociaux et leurs libertés confisquées. Pour toute réforme, il se contente d’un remodelage superficiel, ne remettant nullement en cause le contrôle exercé par les services de sécurité sur le paysage politique, associatif et médiatique.

Ainsi, dans le cadre des récentes « réformes » annoncées par le pouvoir, les partis et les associations devront encore quémander leur agrément au ministère de l’Intérieur, et l’exécutif interviendra dans la composition des autorités de régulation de la presse, qui, malheureusement, ne seront pas constitués des seuls professionnels. Quant aux modifications relatives au code électoral aux fins de garantir, dit-on, « l’honnêteté des élections », elles ne feront pas oublier aux Algériennes et Algériens que la principale fraude exercée par le régime est ce pouvoir discrétionnaire dont il dispose pour modeler la scène politique, associative et médiatique comme bon lui semble, au nom des "impératifs de sécurité nationale".

Malgré le nouveau souffle permis par les soulèvements démocratiques en cours dans le monde arabe, nous avons du mal à sortir de la glaciation politique dans laquelle nous avons été enfermés. Nous avons encore du mal à nous organiser et à nous rassembler pour faire émerger une alternative politique démocratique crédible et audible. C’est en ce sens que le soulèvement d’octobre 1988 restera un moment fondateur, un tournant dans l’histoire de notre pays. Aussi avons-nous le devoir de le revisiter, d’en faire le bilan critique, pour envisager le reste du chemin à parcourir, en finir avec ce régime autocratique, violent, qui divise pour régner et fonder la république citoyenne, sociale et démocratique.

Dans cette situation, nous, Algériennes et Algériens résidant en dehors du pays, avons une responsabilité particulière : avec le recul qui est le nôtre, nous avons la responsabilité de faire connaitre la myriade de mouvements de contestation en Algérie même qui sont l’expression riche, polymorphe, de la société civile, d’organiser les débats et confrontations intellectuelles et politiques nécessaires, dans des cadres collectifs pluriels et indépendants, pour situer les blocages et contribuer à faire émerger un solide mouvement d’opinion en faveur du changement démocratique dans notre pays.

* « Lettre aux citoyennes et citoyens algériens. 24 mars 1989 », revue Sou’al, n° 9-10.

3) Quand les Algériens voulaient combattre l’islamisme par la démocratie...

Par Ahmed Henni, économiste, membre du gouvernement "réformateur" de 1989 à 1992

En octobre 1988, éclatèrent en Algérie ce qu’on appela à l’époque des « émeutes » populaires, et qu’après les changements dans le monde arabe actuel on n’hésiterait pas à qualifier de « révolution populaire ». Elles durèrent quelques jours, sans que des islamistes en soient les organisateurs, et furent enterrées par une intervention militaire – bilan  : 500 morts. Ce cri pour la démocratie et la fin du parti unique au pouvoir depuis près de trente ans ne fut pas entendu en Occident. Aucun gouvernement ne décréta de gel des avoirs des dirigeants, ni ne présenta de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU, ni ne rappela son ambassadeur.

Le pouvoir algérien, quant à lui, ne resta pas indifférent. Reconquérir la paix sociale requérait un aggiornamento politique, social et économique. Une équipe réunie par Mouloud Hamrouche, bras droit du président de la République, y travailla. En septembre 1989, un programme de réformes radicales fut présenté à l’Assemblée nationale. Ce programme devait d’abord répondre aux urgences et ouvrir le chemin au pluralisme politique.

L’urgence politique conduisit à faire adopter quelques principes démocratiques fondamentaux  : pluralisme politique, droit de réunion et de manifestation, liberté de la presse écrite, ratification des conventions internationales contre la torture, indépendance de la justice. Le gouvernement « réformateur » s’évertua à trouver des locaux pour les nouveaux partis politiques et journaux. Il mit en place des procédures de financement des nouveaux journaux indépendants. Il fit adopter un nouveau statut des magistrats – inamovibilité, gestion des carrières par un conseil supérieur élu… – et de nouvelles grilles de rémunération (on estimait que des fonctionnaires mal payés pouvaient être sensibles à toutes les sollicitations gratifiantes).

Au plan économique, une transition fut mise en œuvre vers une économie de marché préservant les conquêtes de la nation (secteurs publics, ou « dits stratégiques » comme le pétrole) et les acquis sociaux. La liberté d’entreprendre et le droit de commercer furent introduits dans les secteurs non réservés. Le but était de « démonopoliser » l’économie et d’ôter aux titulaires de monopoles leur pouvoir exorbitant. Des réformes monétaire et fiscale furent adoptées, qui concrétisaient le principe de l’égalité des citoyens dans l’activité.

L’Algérie souffrait cependant, depuis 1986, d’une grave crise des paiements et n’avait plus de devises pour financer ses importations (le prix du baril de pétrole avait brutalement chuté de 40 dollars à 10 dollars). Or, ce programme de transition vers la démocratie ne pouvait se réaliser en appauvrissant les populations. Toute aggravation de la situation économique ne pouvait profiter qu’aux islamistes, qui, saisissant l’opportunité des nouvelles libertés, s’organisèrent. Ou bien le gouvernement trouvait des crédits extérieurs, ou bien les islamistes auraient beau jeu de dire que la démocratie ne faisait pas manger de pain. Aucun gouvernement occidental ne fut sensible aux alarmes que transmettaient les autorités algériennes. Pas un sou ne fut prêté pendant un an malgré le fait que le pays disposait de réserves pétrolières conséquentes et qui garantissaient ses dettes.

Comme prévu, les islamistes gagnèrent six mois plus tard les élections municipales (1990). Personne en Occident n’aida le gouvernement réformateur à gagner les élections suivantes contre les islamistes. L’expérience démocratique ne dura que deux ans et demi. Agitant l’épouvantail islamiste, des généraux mirent fin à cette transition vers la démocratie et renvoyèrent le gouvernement en juin 1992.

S’il est une leçon, elle se résume à l’équation suivante  : si la Tunisie et l’Égypte sont laissées à leur sort, elles connaîtront bientôt un manque de devises (pas de tourisme, pas d’investissements étrangers, chute de la production intérieure et conflits sociaux). Une crise économique risque de s’y produire et d’appauvrir les populations. Les islamistes auront alors le beau rôle en affirmant  : « On vous l’avait bien dit  : la démocratie n’est pas une solution, l’islam est la solution. »

Les démocraties occidentales doivent créer des groupes de contact pour trouver les procédures adéquates de crédit et de financement adaptées à ces deux situations. Il ne s’agit pas de faire la charité. Il s’agit d’accompagner des processus démocratiques qui, autrement, risquent d’avorter.

4) Octobre 88 en Algérie : La grande illusion

par le Professeur Chems Eddine Chitour

D’une façon quasi rituelle, nous nous remémorons le 5 octobre 1988, non pas dans sa dimension tragique, qui a vu la fine fleur du pays être fauchée, mais par le souvenir, la nostalgie d’une époque qui, certes, n’a pas duré, mais qui donnait l’illusion que tout était permis, que l’Algérien, ce frondeur, avait le droit au chapitre, il pouvait critiquer. Il était, en un mot, acteur de son destin.

Sofiane Djilali écrit à juste titre : “(…) Mais juste au lendemain des troubles et avec les promesses présidentielles, la démocratie semblait à portée de main. L’espoir s’insinuait dans le cœur des citoyens. La vie politique s’alluma, les langues se délièrent et une formidable ouverture se dessina. Parler, agir dans l’opposition, défendre ses opinions, écrire dans une presse libre, crier à gorge déployée dans les manifestations de rue, lancer ses diatribes à la télévision, tout était devenu possible. Mais le fol espoir allait vite retomber. La mal-vie, les frustrations, la misère morale et les univers mentaux inconciliables, traduisant la fragilité du processus de formation de la nation, allaient servir de détonateur entre les mains d’un pouvoir rusé et faire échec à la première tentative démocratique dans le monde arabe. Les Algériens perdirent pied et s’accrochèrent par réflexe atavique ou eschatologique aux discours les plus radicaux, les plus sectaires, les plus dangereux. Les valeurs, identitaires ou religieuses, étaient le refuge, la voie du “salut”. La descente aux enfers pouvait commencer.”(1)

Souvenons-nous, à l’échelle mondiale, l’empire soviétique miné par sa guerre en Afghanistan, et les révoltes réprimées orchestrées en Pologne à la fois par un Occident au fait de sa puissance et un pape polonais qui a fait de Solidarnosc son fer de lance pour combattre l’empire soviétique. On découvre la Pérestroïka, la Glasnost et autres concepts mis en place pour dynamiter l’empire soviétique. Pour le bonheur des Russes, l’empire a disparu, la Russie perdait ses provinces, au grand bonheur du monde unipolaire sous la gouverne américaine. Après la deuxième guerre du Golfe de 1991, les États-Unis prenaient le leadership d’un nouvel ordre mondial basé sur la puissance des armes et la puissance du libéralisme sauvage. La Russie traversa des moments difficiles, mais avec des dirigeants de la trempe de Vladimir Poutine, elle refit surface.(2)

Pendant ce temps et malgré toutes les manœuvres, un pays a réussi le tour de force de marier l’efficacité du capitalisme avec la dimension sociale. La Chine, qui a traversé ces deux décades à la vitesse d’une fusée en étant pratiquement première partout, notamment dans les réserves de changes où ses 1 800 milliards de dollars sont d’un grand secours pour l’économie américaine.

1988 arrive : En Algérie, nous sommes à la fin d’un règne sans partage avec un parti unique et sa poigne de fer qu’a verrouillée le paysage politique. Pendant plus de douze ans, le pays détricotait minutieusement ce que le défunt président Boumediene avait construit laborieusement. Nous sommes bien contents que par sa fameuse phrase à la face du monde : “Kararna ta’emime el mahroukate”, il ait pu sauver la souveraineté de l’Algérie. Avec seulement 22 milliards de dollars, Boumediene avait assis les fondations de l’État.

Que se passe-t-il après ? Il faut dire que le début des années 1980 a correspondu avec l’euphorie d’un baril à 40 dollars et un dollar à 10 francs. L’Algérien découvrait le PAP (Programme antipénurie) ; ce fut le début de la “bazarisation” du pays. à coup de dollars, l’Algérien découvrait, sans effort, sans sueur, le fromage Emmental, la machine à laver, le hors-bord, même pour ceux du sud, au nom de l’équilibre régional… C’était aussi l’époque de la suppression de l’autorisation de sortie avec possibilité de changer 5 000 francs à moins de 10 dollars en juillet 1986 ! Ce qu’on appela le contrechoc pétrolier. Du même coup, des petits pays furent ruinés. Les recettes de l’Algérie ne dépassèrent pas les 4, 5 milliards de dollars. L’Algérie s’endetta lourdement pour nourrir la population. Les Algériens se réveillèrent brutalement.

À la veille de 1988, dans un de ses discours, le chef de l’État avait rassuré la nation en disant que nous n’étions pas concernés par les convulsions du monde. Mal lui en a pris. Ce fut octobre 88 qui attend toujours son autopsie sur les tenants et les aboutissants de ce début de tragédie qui a fait entrer l’Algérie dans la spirale de la violence. On cite 500 morts. Pourquoi sont-ils morts ? Bien que son intérêt est beaucoup plus historique, la question reste toujours posée. Certes, nous avons traversé plusieurs décennies : “la décennie noire”, “la décennie rouge”, voire aussi “les décennies blanches”, en ce sens que nous n’avons rien créé de pérenne.

La population de 1988 n’est pas celle de 2009 qui, à bien des égards, est toujours aussi fragmentée et en errance. À quand “la décennie verte” de l’espoir ? Certes, il ne faut pas nier en bloc des réalisations qui, malheureusement, n’ont pas associé des Algériens et des Algériennes auxquels on distribue une rente sans qu’il y ait une contrepartie tangible. Il est vrai que l’on ne peut pas mettre sur le même pied l’ouvrier d’El-Hadjar, qui sue sang et eau, et le député gros et gras car, bien nourri. Il est vrai aussi que l’on ne peut pas mettre sur le même plan l’enseignant qui fait son djihad au quotidien pour des clopinettes et le trabendiste du conteneur qui gagne en une fois le salaire d’un enseignant, qui doit se réincarner plusieurs fois comme Highlander pour y arriver. Par ailleurs, le pays est plus fragmenté que jamais.

Quand on montre à la télévision, plus indigente que jamais, des harragas, c’est que nous sommes en train de traverser le no man’s land qui nous amène inexorablement au chaos. Et pourtant, le pas n’a jamais été aussi riche. Qu’avons-nous fait depuis plus de vingt, à part manger la rente ?2 “La situation politique, sociale et économique, s’est-elle améliorée ? écrit Abed Charef. Les Algériens vivent-ils mieux ? Que reste-t-il finalement d’Octobre 88 ? Non seulement le pays ne s’est pas redressé mais, en plus, la température politique ambiante suscite bien des soucis. Seul le désenchantement est en hausse. Au désespoir suicidaire des jeunes, à l’érosion constante du pouvoir d’achat, à la crise du logement, à l’enracinement de la pauvreté, sont venus s’ajouter un terrorisme endémique, un chômage ravageur, une corruption diabolique qui a pris racine dans tous les secteurs et à tous les niveaux, et, enfin, un saccage méthodique de l’environnement.

Et pourtant, vus de loin, tous les attributs, tous les insignes dignes d’un État de droit semblent réunis : une Constitution, un Sénat, un Parlement, une Assemblée populaire, des juges et des magistrats pour dire le droit, des avocats pour plaider en faveur des citoyens lésés, des tribunaux administratifs chargés de trancher les litiges et de réparer les injustices, un pluralisme politique, mais, à y voir de plus près, le tableau n’est guère enthousiaste. Un léger zoom laisse entrevoir les failles et les tares d’un système à bout de souffle. Octobre n’a pas tenu ses promesses. Malgré la facture très élevée, payée par l’Algérie en vies humaines et en traumatismes, l’après-Octobre 88 n’a pas seulement déçu, mais il a donné lieu à un immense gâchis, d’autant plus dur à admettre que les premiers moments qui ont suivi ces événements avaient laissé entrevoir un formidable espoir de libération de la société”.(3)

Et pourtant, les jeunes, objets de toutes les manipulations, ne demandent qu’à vivre, étudier et faire preuve d’imagination. Une petite anecdote : des harragas en mer écoutent la radio et apprennent que l’Équipe nationale a battu la Zambie. Demi-tour vers la mère patrie pour fêter l’évènement dignement. Tôt, le lendemain, les harragas repartent à l’aventure et risquent leur vie, l’Algérie n’ayant pas su les retenir. Une autre encore plus forte. Des sites web algériens furent “visités” par des hackers égyptiens pour cause d’échec de leur équipe nationale. Réponse fulgurante d’un hacker algérien. Il réussit à bloquer le site de la présidence égyptienne et d’y faire flotter le drapeau algérien sur le symbole de la pyramide avec ce message charitable : “Ceci est un avertissement !” C’est dire si les jeunes sont capables de toutes les promesses si on arrive à les faire éclore.

Mohamed Si Baghdadi décrit admirablement ces jeunes qui en veulent (…). : « Pour qui connaît nos jeunes de près, pour qui leur parle et les écoute, la vérité est simple : ils sont loin de se chosifier sous l’effet de l’ennui. Non, l’ennui ne les chosifie pas. Bien au contraire, ils enragent, fulminent et veulent tout culbuter. Tout les stimule : l’ennui et l’injustice, la malvie et le mépris. Alors, en attendant, ils vivent, écrivent, composent et chantent du rap, comme Dadou Finomen, ou les jeunes du Club des poètes de Souk-Ahras, font de la musique comme les enfants de Timimoun, Béchar ou Kenadsa, dessinent et peignent comme les élèves de Karim Sergoua, photographient et exposent comme les jeunes de Flash Art, font du théâtre comme les comédiens de Fethi, inventent des contes qui parlent de leurs droits bafoués, de leurs droits à défendre et créent de nouveaux systèmes informatiques, technologiques et scientifiques".

"Posture matador. En relisant la lettre de Yasmina Khadra, j’ai trouvé que Mohamed Mousselhoul avait adopté la posture du matador qui se met en scène pour se donner à voir. C’est normal pour un auteur traduit en plus de trente langues. Nous en sommes sincèrement très fiers. Mais en voulant trop en faire, cela finit pas sonner creux quelque part, et l’auteur a donné l’impression, à tort ou à raison, pour beaucoup d’internautes, de s’être trompé de cible. Car il ne suffit pas d’écrire, aussi juste que cela puisse paraître, que “tout Algérien qui meurt de malvie est un crime”(.4)

« (…) Au cours d’un séminaire, tenu du 21 au 23 octobre 2007, sous la présidence du chef de l’État, walis, cadres de la nation et représentants de la société civile ont proposé 107 actions urgentes et d’autres à plus ou moins long terme. Belkadem qui présidait, le 23 octobre 2007, en présence du chef de l’État, la dernière séance de ce séminaire de dupes, ne peut plus dire : “Faites-nous des propositions.” C’est à lui de nous dire ce qui a été fait des 107 propositions, et non pas nous retourner la balle lorsqu’elle est trop chaude pour lui et le ministre de la Justice, content de remplir un vide juridique, alors qu’il fallait remplir un vide de projet de société, où les jeunes de notre pays auraient la place qui leur revient. (…) L’attente est tout aussi corrosive que l’espoir dévoyé, les promesses frelatées et non tenues par les commandeurs en place. Tous les espoirs déçus et les promesses non tenues vont faire naître, comme en Octobre 88 et avril 2001, révoltes et insurrections qui feront mal demain, à faire les comptes de la réconciliation, les comptes de la nation. (…) Est-ce si difficile de vivre en toute démocratie et citoyenneté dans un si beau et si noble pays ? Est-ce si difficile d’offrir aux jeunes filles et jeunes gens de mon pays, de ton pays, l’envie de vivre et de travailler ensemble, créer et innover, sur le sol de leurs ancêtres, de nouvelles manières de vivre ensemble ? Et de participer à l’aventure du nouveau monde qui se dessine devant eux (…) (4)

Comment plus de vingt ans après avoir conjuré ces signes indiens, l’on continue à errer avec un système éducatif où là encore, on fait dans la diversion, comme le feuilleton du tablier, “l’année du tablier”, dirait Amin Maalouf. Seuls le consensus, le dialogue, la parole désarmée, l’intérêt supérieur du pays permettront de réconcilier les Algériens et mettre fin à la guerre sourde de positions entre deux visions pour l’Algérie, celle d’une Algérie satellite d’une nation arabe qui n’existe pas et celle nostalgique de fafa, d’un art de vivre type quartier latin. Ces deux visions tentatrices n’ont évidemment aucune idée de ce que pourrait être la vie selon la mentalité algérienne. Qu’allons-nous laisser aux générations suivantes ? À nous de nous organiser pour donner de l’espoir à cette jeunesse qui a perdu ses illusions. Pour cela, seul le parler vrai, le patriotisme, la fidélité aux valeurs nous permettront enfin de bâtir une Algérie qui sortira de la malédiction de la rente pour se mettre au travail.

1.Sofiane Djilali : Évocation : I. Octobre 88, la fin des illusions. Agoravox 3.10.2009

2. Chems Eddine Chitour 88-98 : Vingt ans après, les problèmes de l’Algérie attendent d’être résolus. Alterninfo 5 Octobre 1988

3. Abed Charef : Vingt ans après... la grande désillusion. Octobre 88 le Quotidien d’Oran 9.10.2008

4. Si Mohammed Baghdadi 2 A Yasmina Khadra : Qui sont les vrais assassins ? 25.01. 2009

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz


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