L’Afrique du Sud pendant les années de prison de Mandela, de 1960 à 1990

mercredi 17 février 2010.
 

Il y a vingt ans, le 11 février 1990, Nelson Mandela était libéré après 27 années de prison. Au delà de l’émotion, cet épisode peut-être considéré d’un certain point de vue comme l’ultime décolonisation africaine. Plongeons nous sans plus attendre dans l’histoire sud-africaine.

En 1960, le gouvernement prépare un référendum sur la transformation du pays en République et sur la sortie du Commonwealth. L’ANC et le PAC organisent d’importantes manifestations pour obtenir des augmentations de salaires et la suppression des Pass Laws. Le 21 mars, alors que 300 000 Africains se dirigent vers le Parlement du Cap, la police ouvre le feu et abat 69 habitants de Sharpeville. Le mouvement de contestation prend une ampleur colossale. Les autorités décident alors d’interdire l’ANC et le PAC. Pour la première fois, la communauté internationale sort de son apathie et condamne le massacre de Sharpeville.

Les leaders de l’ANC, contraints à opérer dans la clandestinité, tirent les enseignements du drame et abandonnent la résistance passive pour la lutte armée. En 1962, la police arrête une partie de la direction clandestine de l’ANC, notamment Nelson Mandela, qui fait désormais figure de dirigeant de l’organisation. Le procès de Rivonia, en 1964, condamne Mandela et 7 autres co-accusés à perpétuité dans la prison de Robben Island, au large du Cap. Les partisans de l’ANC et du PAC qui sont parvenus à passer entre les mailles du filet s’exilent dans les pays limitrophes, notamment en Zambie, en Tanzanie. L’éloignement limite leur influence sur le plan local. En éliminant la direction de ces organisations, les autorités s’assurent une relative tranquillité pour une dizaine d’années, même si, tout au long de cette période des militants sont constamment arrêtés puis incarcérés sans procès.

En 1966, le premier ministre Hendrik Verwoerd se fait poignarder par un huissier au Parlement. B. J. Vorster lui succède et continue de bâillonner toute forme d’opposition. A partir des années 1970, le gouvernement décide d’accélérer le processus d’"indépendance" des bantoustans. L’objectif est de priver tous leurs habitants de leur citoyenneté sud-africaine.

L’annonce que l’afrikaans devient obligatoire dans les écoles suscite une immense colère dans les townships. Soweto s’embrase le 16 juin 1976. En réalité, les causes de ces révoltes sont bien plus profondes. Le Mouvement de la conscience noire animé par Steve Biko semble l’instigateur de cette explosion de colère. Pendant 18 mois, , les lieux publics sont incendiés, les voitures brûlées, les commerces pillés. De proche en proche, la fièvre gagne bientôt les quartiers résidentiels métis et indiens. Une terrible répression s’abat de nouveau sur le pays. Les services de sûreté arrête Steve Biko le 18 août 1977. Il mourra 26 jours plus tard des suites des blessures qui lui sont faites lors de son interrogatoire (piste 2, 3).

Cette répression policière dans les townships révoltés aura néanmoins de fortes répercussions :

- elle frappe le monde entier avec des clichés qui font le tour du monde. On relève entre 600 et 1000 morts. L’opinion internationale prend enfin véritablement conscience de la nature du régime.

- De jeunes militants fuient le pays et rejoignent les rangs de l’ANC en exil, ce qui contribue à galvaniser le mouvement après l’atonie de la décennie précédente. L’organisation, désormais dirigé par Oliver Tambo, multiplie les attaques sur le front militaire. Il sabote des installations statégiques. Surtout, elle parvient enfin à obtenir des relais au sein de la communauté internationale qui prend des mesures fortes (sanctions économiques, embargo sur les armes, boycotts des rencontres culturelles et sportives).

* A l’intérieur du pays, l’opposition noire réapparaît progressivement.

- Bien qu’interdits, les syndicats deviennent très puissants à l’instar du Congress of South African Trade Unions (COSATU).

- les leaders religieux tels que Allan Boesak ou l’archevêque anglican Desmond Tutu prennent la parole au nom des Noirs et se font l’écho de leurs aspirations.

- en 1985, une fédération de mouvements anti-apartheid, proches de l’ANC, forment l’United Democratic Front.

Incontestablement à partir des années 1980, si la situation s’est décantée dans le reste de l’Afrique australe, le régime de l’apartheid, bien que fragilisé, semble encore solide. Pourtant, c’est aussi au cours de cette décennie que la mobilisation anti-apartheid prend une dimension internationale. Les projecteurs se braquent désormais sur l’Afrique du sud. En 1984, l’archevêque anglican Desmond Tutu reçoit le Prix Nobel de la Paix, pour son action contre le régime. L’isolement des autorités sud-africaines grandit. Depuis 1975, les Etats voisins du Mozambique et de l’Angola se sont libérés du joug colonial portugais. Le Zimbabwe accède à l’indépendance en 1980. En exil, les leaders de l’ANC poursuivent la lutte depuis les "pays de la ligne de front" (pistes 2 et 7). L’ANC renforce ses camps d’entraînements en Angola, au Mozambique, en Zambie et en Tanzanie et développe des missions diplomatiques en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis. Il faut dire que depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, le gouvernement sud-africain ne peut plus se targuer de constituer le dernier rempart contre le communisme en Afrique australe. Ses soutiens occidentaux l’abandonnent.

L’embargo économique décrété par l’ONU se durcit fortement et contribue à l’asphyxie du pays qui avait pu jusque là vivre en relative autarcie. La situation économique est aggravée aussi par de grandes grèves menées par la COSATU, le syndicat des travailleurs noirs. La révolte intérieure se généralise au milieu de la décennie, animée notamment par l’United Democratic Front (sorte de vitrine légale de l’ANC toujours interdit) et sa branche armée, "la lance de la nation" qui opère depuis les pays de la "ligne de front". Tous ces éléments expliquent aussi que la campagne internationale en faveur de la libération de Mandela prenne une ampleur sans précédent (piste 5).

A la fin des années 1980, la minorité blanche au pouvoir doit lâcher du lest sous la pression de plusieurs pays occidentaux, notamment les Etats-Unis. Des négociations secrètes s’ouvrent donc à l’initiative de Nelson Mandela (auquel s’associe Oliver Tambo, président de l’ANC en exil en Zambie). L’arrivée au pouvoir de Frederik De Klerk en 1989 accélère le processus de sortie de l’apartheid. Membre du parti national, cet Afrikaner se persuade de mener des réformes indispensables. Il est alors mis sous pression par la poussée électorale de l’extrême droite qui recueille 30% des voix. Par la déclaration de Harare, l’ANC se dit prêt à négocier sous condition : levée de l’état d’urgence, libération des prisonniers politiques, légalisation des organisations dissoutes, suspension de la peine de mort.

Après 26 ans d’incarcération, Mandela est libéré le 11 février 1990. L’année 1991 voit l’abrogation de la plupart des lois de l’apartheid. Pour autant, le plus dur reste à faire. La minorité blanche n’entend pas se dessaisir du pouvoir à n’importe quel prix. La transition démocratique s’opère dans un climat de grandes violences politiques attisées par les ultanationalistes blancs qui multiplient les attentats, mais aussi par l’Inkhata, une organisation zulu militant pour une restauration monarchique dans le bantoustan du Kwazulu. Elle enclenche un cycle de violences avec les partisans de l’ANC. Mandela redoute toute forme de séparatisme et reste attaché à une vision unitaire de la future nation. Le pays est au bord de l’explosion, l’état d’urgence est réinstauré. Malgré tout, ces violences n’enrayent pas le processus de négociation en cours. Un compromis est enfin trouvé et permet l’adoption d’une constitution intérimaire en décembre 1993. Ainsi, les membres du gouvernement sortant restent associés à la gestion des affaires pendant 2 ans à partir des élections. Il convient en effet de ménager les Blancs qui détiennent toujours le pouvoir économique.


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