La faim sans fin des pays pauvres

mardi 20 octobre 2009.
 

Alors que les mécanismes de libre-échange continuent de réguler le marché agricole mondial, les pays en développement s’enfoncent dans la famine. 1,02 milliard de personnes en sont les victimes. Soit près de 1 Terrien sur 6 qui souffre aujourd’hui de sous-nutrition chronique

Le chiffre a gonflé à vue d’oeil. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), 1,02 milliard de personnes souffrent aujourd’hui de la faim. Elles étaient 923 millions en septembre 2008, et 963 millions en janvier 2009. Le milliard de victimes était atteint au printemps, pour être finalement dépassé cet automne.

Ainsi en est-il : depuis les émeutes de la faim qui ont marqué la planète en mars 2008, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique a augmenté de plus de 90 millions. Provoquées par une flambée des prix des denrées de bases, ces révoltes illustraient l’instabilité d’un marché agricole soumis d’un même mouvement aux aléas du climat et du libre-échange. Cette année-là, la production mondiale chutait suite aux sécheresses australiennes et néo-zélandaises. Deux grands exportateurs, dont dépend aujourd’hui l’alimentation d’une majorité de pays. Sur les marchés, l’offre dégringolait, attisant la spéculation. Laquelle affectait en priorité les populations les plus pauvres mises dans l’impuissance de se payer à manger, à commencer par celle des pays africains, asiatiques et sud-américains.

Qu’est-ce qui a été fait, depuis, pour réguler ce marché ? Rien, ou quasi. En août dernier, le G8 élargi, organisé à Aquila en Italie, décidait de renforcer la capacité de production agricole des pays en développement. Un fait notable, selon plusieurs experts, quand c’est la première fois que les pays riches admettent la nécessité de produire là où les gens ont faim. Mais un revirement limité, exprime-ton également, quand il ne bouleverse pas sur le fond un mécanisme opposé à la souveraineté alimentaire des pays les plus pauvres.

Montré du doigt singulièrement : le cycle de Doha. Lancé aux alentours de 2001, il vise la libéralisation absolue des échanges agricoles, poussant les pays en développement à ouvrir leurs frontières aux marchés financiers et commerciaux. « Il reste une référence intouchable dans les négociations, note ainsi un expert de l’Agence française de développement. Or, il faut le dire : organisé de façon à tirer les prix vers le bas, ce libre-échange nuit au développement économique et social des pays. Il faut d’urgence renverser les perspectives. » Car c’est là le paradoxe : si la flambée des prix agricoles a mis la planète en alerte, c’est leur écroulement qui l’affame de façon chronique.

« Près des deux tiers des victimes de la faim sont des paysans », rappelle ainsi Marc Dufumier, professeur à AgroParisTech. Le cercle est aussi simple que vicieux : plus ils sont pauvres, moins ils peuvent investir. Moins ils peuvent investir, moins ils sont productifs et plus ils sont pauvres. L’ouverture des frontières des pays du Sud opérée sous la pression de la Banque mondiale n’a fait qu’accroître leur fragilité. « Quand nous produisons trop, les prix chutent. Et quand nous produisons moins, les prix chutent aussi parce que nos frontières s’ouvrent aux excédents des pays riches », notait un expert africain lors d’un sommet qui se tenait à Rome cette semaine. Illustration récente : la crise du lait qui a frappé l’Europe. Alors que le surplus de production conduisait à l’écroulement des prix, l’Union décidait d’y remédier en subventionnant les exportations de beurre et de poudre. Lesquels ont inondé les marchés africains.

MARIE-NOËLLE BERTRAND


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