LA PRIVATISATION DE L’ETAT (tribune de Patrick MIGNARD, Toulouse)

lundi 2 novembre 2009.
 

Un oxymore, une contradiction dans les termes ? Et pourtant c’est bien à ce phénomène politique que nous assistons aujourd’hui.

La dérive libérale du système marchand, caractérisée par le désengagement économique et social de l’Etat, la liquidation des services publics et son accaparement par un clan, … aboutit à une véritable mutation de la nature de l’Etat en parfaite contradiction avec les principes républicains.

Ce n’est pas nouveau d’affirmer que dans une société divisée en classes sociales, aux intérêts antagonistes et contradictoires, l’Etat représente la force coercitive qui garanti les intérêts de la classe des possédants.

Ce n’est pas nouveau, mais il est urgent et indispensable de le rappeler aujourd’hui.

Ce n’est certes pas l’apanage du système marchand. En effet, tous les systèmes d’organisation sociale de l’Histoire ont fonctionné sur cette logique… sauf peut-être les sociétés dites « primitives ».

L’Etat garanti les intérêts des possédants en tenant compte des rapports de forces, des évènements historiques, des évolutions de la société qu’il domine. Il peut apparaître à certains moments conciliant, voire donner l’apparence de la médiation, comme il peut apparaître parfaitement autoritaire, voire dictatorial – le 20e siècle est une parfaite illustration de ces facultés d’adaptation de l’institution « Etat ».

LE MYTHE REPUBLICAIN

L’effondrement de l’Ancien Régime, en Europe au 18e et 19e siècle a laissé la place au système marchand, capitalisme, salariat, qui s’est fondé sur une ambiguïté dont nous payons encore aujourd’hui les conséquences politiques.

Les discours philosophico-humanistes des penseurs des Lumières, et de certains des philosophes de la Révolution Française ont vite laissé la place au discours « réaliste » des affairistes et des marchands.

Les intérêts des nouveaux possédants se sont bien vite heurtés aux valeurs que ceux-ci avaient précipitamment mais imprudemment gravées dans la pierre des frontons des édifices publics. L’écrasement des révoltes ouvrières dès le début du 19e siècle, la Commune de Paris, n’ont été que le prélude des grandes répressions du 20e siècle.

Le mythe de la République pour tous, pour le peuple, d’une République garante et défenseuse des opprimés s’est très vite avéré être une remarquable et efficace escroquerie.

Le système électoral, c’est-à-dire le moyen de tenir compte des désirs et de la volonté du peuple, en nommant des représentant a été depuis longtemps parfaitement détourné ce qui a permis l’émergence d’une nouvelle « aristocratie » qui a pris possession du Pouvoir et l’a gardé,… quels que soient les modifications apportées aux modes de scrutins.

Il suffisait, pour entretenir l’illusion d’asséner régulièrement et systématiquement le « bon peuple » de slogans bien conçus pour lui faire croire que « les promesses seront bien tenues », « les élus sont responsables devant leurs électeurs » et,… cerise sur le gâteau « le vote est non seulement un droit mais aussi un devoir ». Ainsi l’Etat, « bien commun » du Peuple (ce qu’il n’a jamais été), s’est donné le beau rôle :

- donner l’illusion de la démocratie,

demeurer le garant d’un système fondamentalement inégalitaire et exploiteur.

La force, mais aussi les faiblesses et les ambiguïtés politiques du mouvement ouvrier vont, au 19e siècle, et surtout au 20e, entretenir le mythe de l‘ « Etat démocratique » avant un début de renversement de la tendance au début du 21e siècle.

L’ETAT ET LE MOUVEMENT OUVRIER

Très tôt, les ouvriers, les salariés ont eu à pâtir de la politique de l’Etat dans le système marchand,… mais ils ont su aussi l’utiliser.

Les multiples et sanglantes révoltes ouvrières montrent, s’il en était besoin, que tous les discours « démocratiques » s’arrêtent où commencent les intérêts du système marchand. Pourtant, n’en déplaisent aux « révolutionnaires professionnels », jamais, dans aucun pays développé, la classe ouvrière n’a voulu et n’a pris le pouvoir. Au contraire elle a lutté, et efficacement, pour améliorer ses conditions de travail et de vie, rencontrant en cela un Etat, prêt à faire des concessions pour s’acheter la « paix sociale ».

Ainsi l’illusion d’un Etat défendant l’ « intérêt public » s’est peu à peu fait jour, au point que les organisations politiques ouvrières sont allées elles mêmes gérer le capitalisme dans « l’intérêt des travailleurs ». Le mythe du « système démocratique », de l’ « Etat défenseur de l’intérêt général » était né, y compris et surtout parmi ses plus déterminés détracteurs, les salariés.

Les rapports de forces, les évènements historiques (les guerres), les cultures nationales ont permis aux salariés d’acquérir des avantages conséquents qui existent encore – pas pour longtemps - aujourd’hui, les acquis sociaux. Cette situation a renforcé la vision « démocratique » de l’Etat, la soumission des salariés à un système qui savait leur accorder des miettes substantielles, bref, la croyance aujourd’hui encore profondément ancrée en un Etat neutre, médiateur et défenseur de l’intérêt public.

Cette croyance a produit et continue de produire, le réformisme des organisations « révolutionnaires » et « contestataires » - qui ne jurent que par les élections, même si elles ont un discours opportunément radical, de même que des syndicats partenaires de l’Etat dans la gestion du capitalisme.

VERS LA PRIVATISATION DE L’ETAT

Tout ce bel agencement économico-politique a été bouleversé par la mondialisation marchande. Les petites affaires, les négociations, les compromis, entre classes antagonistes dans le cadre d’un « Etat-nation »,… c’est terminé. Le Capital, désormais intégralement mondialisé, aussi bien dans sa valorisation, que dans sa gestion, n’est plus à même d’accorder des miettes aux classes salariées des « anciens pays industriels », il peut même s’en passer ayant de multiples ressources, et moins chères, ailleurs.

L’Etat, sans changer de nature – toujours garant des intérêts du système -, a évidemment changé de tactique et de politique.

La notion de « bien public », d’ « intérêt public », bref de « service public », perd de son sens. On garde ces termes pour les discours électoraux afin de tromper l’électeur naïf. Dans les faits on livre toutes ces activités juteuses aux appétits du Capital. Opération d’autant plus facile que le « bon peuple », consciencieusement endormi par les médias et la classe politique ne sait absolument pas comment réagir sinon par des manifestations, pétitions et autres « votations » ridicules et inefficaces.

L’Etat se réduit de plus en plus à ses fonctions régaliennes qui n’ont qu’un seul et unique but : maintenir contre « vents et marées » le système en place. La classe politique devient une « aristocratie » au renouvellement limité, via les partis qu’elle contrôle, à partir d’élections complètement sous contrôle. Quand le « bon peuple » « vote mal », on recommence ou on contourne le scrutin (voit le référendum sur l’Europe). Cette « aristocratie », divisée en clans se partage le Pouvoir où règne la voyoucratie

(des noms ?), l’incompétence (des noms ?), le népotisme (des noms ?), l’impunité (des noms ?),… Le tout protégé par une milice armée de plus en plus efficace, bénéficiant d’une quasi impunité, abusivement baptisée « police républicaine »( ?).

L’Etat n’a plus ainsi à « défendre l’intérêt général » désormais soumis aux lois du marché, mais à défendre les privilèges de la classe politique qui sait intégrer et corrompre tout ce qui peut apparaître comme une opposition dangereuse… Ainsi, les uns après les autres, les « contestataires » accèdent à des postes grassement rémunérés donnant accès à privilèges exorbitants.

L’Etat n’est plus qu’une affaire de clans et un instrument coercitif destiné à faire respecter l’ordre marchand.

Toutes les « grandes démocraties » glissent sur cette pente qui ne peut conduire qu’au déclin et à la décadence. Les cas les plus significatifs, parmi celles –ci, et caricaturaux sont aujourd’hui la France et l’Italie.

Le citoyen, si tant est que ce terme ait encore un sens, n’a plus rien à attendre des institutions étatiques qui ne sont là que pour l’asservir à des contraintes qui correspondent non pas à ses intérêts mais à ceux de la classe politique défenseuse des intérêt du Capital – le sens et la teneur des mesures prises lors de la crise que nous traversons en est la plus parfaite illustration.

En l’absence d’une alternative crédible, ce qui est actuellement le cas, la situation ne peut qu’empirer ouvrant la voie à toutes les aventures…

Octobre 2009Patrick MIGNARD


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