La directive services, clone de Bolkestein. L’Europe devait être la solution, c’est le problème.

mercredi 25 novembre 2009.
 

Le clone de Bolkestein

Vous vous souvenez de la fameuse directive Bolkestein ? Elle a une héritière. Elle s’appelle « directive services ». On l’avait sur les bras au parlement à Bruxelles, jeudi matin. Mais il s’agissait seulement de faire le point sur son application. Pas de voter ou de changer quoique ce soit à son contenu libéral. Car après l’épisode Bolkestein, une nouvelle mouture a été rédigée et adoptée par le parlement européen. C’était le 16 février 2006. Cette deuxième version a franchi une à une, toutes les étapes que doit parcourir un texte européen. D’abord le Parlement a adopté par 394 voix pour, 215 voix contre et 33 abstentions le rapport sur le sujet de Mme Evelyne GEBHARDT, du Parti Socialiste Européen (PSE). Pour mémoire soulignons que la droite n’avait alors que 268 députés, les libéraux d’ALDE 88, le PSE 200, les Verts 42 et la GUE/NGL 41… Une fois de plus donc, le PSE a donc massivement contribué à l’adoption de cette directive libérale. 137 eurodéputés PSE ont voté pour, dont le président du PSE Poul Nyrup Rasmussen et le président du groupe socialiste, Martin Schulz. Seuls les députés socialistes français ont voté contre, à l’exception de Michel Rocard qui a voté pour. Les députés Verts ont voté contre mais les libéraux ont voté pour y compris Marielle de Sarnez … On peut dire qu’il y a de quoi avoir peur.

Un champ vraiment très large

Car le champ de la libéralisation prévue est potentiellement très large. D’après son article deux, la directive s’applique en effet à tous les services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre. L’article quatre définit la notion de « service » comme toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération. Quant au « prestataire », il s’agit de toute personne physique ou morale ressortissante d’un État membre qui offre ou fournit un service. On se demande ce qui peut échapper à de telles « définitions » ! Certes il y a des dérogations partielles pour les services publics. Partielles seulement, il ne faut pas rêver ! Parce que certains sont directement et explicitement inclus tels que les services postaux, la distribution d’électricité, de gaz, d’eau, le traitement des déchets. Mais aussi l’éducation et la culture pour les compartiments de ces secteurs que les Etats décident ou non d’ouvrir à la concurrence.

Echaudée par l’émeute anti Bolkestein, la Commission, très habile, le 4 Avril 2006, rend une proposition de directive bien réécrite dans laquelle elle inclut les modifications votées par le Parlement européen. Genre : ce n’est pas moi qui ai décidé ce sont les parlementaires eux-mêmes. Pas contents ? Allez les voir ! Le 24 Juillet 2006. Le Conseil des ministres, c’est-à-dire les Etats nations qui constituent l’union européenne, approuvait la proposition modifiée de la Commission sans y apporter de modifications notables. Et, enfin, le 15 Novembre 2006, c’est le triomphe du texte. Le Parlement européen adopte sans l’amender en deuxième lecture la proposition de la Commission avalisée par le Conseil. Qui vous a parlé de tout ça dans la campagne des européennes à part le Front de Gauche ? Et en plus je suis sûr que beaucoup ne se souvenaient pas de tout ça ! Ne dites pas non ! Moi aussi j’ai dû tout réapprendre à l’occasion de cette session du Parlement à Bruxelles. Quelle vie !

La vie en catimini

Très peu d’informations sont disponibles sur la transposition en France de cette horreur anti-sociale. Le gouvernement est particulièrement discret sur la question. Pourtant il y a une date limite pour transposer. C’est le 28 décembre 2009. C’est donc maintenant tout proche. Juste après Noël, pendant la trêve des confiseurs. A prendre très au sérieux. Car cette transposition impacte un très grand nombre de textes de lois et de décrets en vigueur. Elle va modifier les règles d’installation et d’exercice de très nombreuses professions. D’ailleurs, faute de débat public à ce sujet les professionnels eux-mêmes, notamment les PME, seront le plus souvent démunis. Et ils sont en tous cas très mal préparés à l’arrivée prochaine dans leur secteur de firmes concurrentes, souvent beaucoup mieux armées qu’eux aux subtilités de cette directive. Cependant, parmi les rares documents disponibles sur cette transposition on trouve deux rapports parlementaires du Sénat. Mes anciens collègues les ont publiés en février 2008 et en juin 2009. Ces rapports, rédigés par le sénateur UMP Jean Bizet, contiennent une révélation. Ils expliquent la stratégie de communication et la méthode de transposition choisie par le gouvernement. Faire passer le tout en catimini. Mot d’ordre : pas vu, pas pris !Et comme Jean Bizet n’a pas peur des mots, il confirme le contenu très libéral de cette « directive pas comme les autres ». Si c’est lui qui le dit !

Secret et saucisson

Voici des morceaux choisis des rapports sénatoriaux qui donnent l’ambiance et m’évitent de longs développements moins bien écrits. « Le gouvernement français a abandonné l’objectif, qu’il avait initialement envisagé, de déposer un projet de loi-cadre pour transposer la « directive services ».Certains États membres, ayant fait le choix inverse, transposeront la directive au moyen d’une loi-cadre […] (Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, République tchèque) […]

Le gouvernement français justifie son choix en grande partie par des considérations politiques tenant à la forte sensibilité des implications de la « directive services » […]. Une loi-cadre de transposition pourrait en effet servir d’ « épouvantail » à tous ceux qui seraient tentés d’instrumentaliser un exercice essentiellement technique à des fins électorales. Elle ne doit pas constituer un prétexte à la « cristallisation » des mécontentements de tous ordres, d’autant plus nombreux en période de crise. » (rapport Bizet du Sénat, juin 2009) Vous avez bien lu : il s’agit délibérément de sortir le sujet du débat public et d’empêcher que le mouvement social s’en empare.

La bonne méthode pour ne pas se faire repérer c’est de saucissonner la transposition. C’est ce que confirme le rapport sénatorial : « L’abandon par le gouvernement français d’une loi-cadre de transposition conduit à instiller plusieurs dispositions de nature technique à l’occasion de l’examen de différents projets ou propositions de loi afin de mettre la législation française en conformité avec les prescriptions de la directive. Cette méthode est sans doute moins lisible, tant pour les parlementaires que pour l’opinion publique, mais elle permet, en « technicisant » la transposition, d’éviter l’apparition de polémiques stériles. » (rapport Bizet du Sénat, juin 2009)Les polémiques stériles, c’est ce qu’on appelle le débat démocratique dans d’autres pays

Lois sous perfusion libérale

Le rapport sénatorial énumère quelques exemples de transpositions noyées dans des lois ou des décrets plus larges. On en apprend de belles. Mais il n’existe cependant aucun inventaire global et complet des modifications effectuées ou projetées pour transposer la directive.

Voici, pèle mêle, quelques exemples de ces premières mesures de transposition qui sont passées sans crier gare. Ainsi la loi de modernisation de l’économie de 2008 comporte des mesures de transposition pour déréglementer l’urbanisme commercial. En effet certaines obligations comme le recours préalable à des tests économiques pour autoriser les implantations de grandes surfaces étaient en effet considérées par la Commission comme des entraves à la concurrence au sens de la directive services.

On trouve aussi des mesures de transposition dans la loi de développement et de modernisation des services touristiques de 2009. Elle prévoit notamment que l’activité d’agence de voyage ne devra plus nécessairement être exercée de manière exclusive. … Ce n’est pas malin ! Car cette clause de spécialisation est plutôt une des garanties contre la prolifération d’agences de voyages bidons sans véritable assise professionnelle ou financière. Plus inattendu, la transposition de la « directive services » est aussi allée se nicher dans la loi de réforme de l’hôpital. Pour alléger les modalités d’autorisation et de contrôle des établissements et services médico-sociaux, là encore jugées attentatoires à la libre concurrence … Avec le risque de dérapage que l’on peut facilement imaginer au détriment d’un public souvent démuni. Dans de nombreux secteurs cette déréglementation crée aussi un risque de discrimination à l’envers : certaines exigences continueraient à s’appliquer aux professionnels français alors que leurs concurrents communautaires exerçant en France en seraient dispensés au nom de la libre concurrence. Par exemple, la directive n’a pas prévu de garanties pour que les règles nationales de responsabilité et d’assurance sur les constructions soient systématiquement imposées à un prestataire étranger.

Le Royaume-Uni comme modèle

Pour mettre en œuvre la directive les Etats sont invités à effectuer un vaste réexamen de leurs législations, qui est appelé « screening » dans le jargon communautaire. Voila ce qu’en dit le même rapport du sénateur UMP Jean Bizet, révélant la logique d’alignement par le bas sur les législations les plus libérales : « L’état d’avancement du screening dépend du caractère plus ou moins libéral de la législation initiale. Dans certains États membres, le secteur des services était déjà largement libéralisé avant même l’intervention de la directive, alors que, dans d’autres, les modifications à apporter pour effectuer la transposition sont bien plus substantielles, ce qui peut donner l’impression d’une lenteur des progrès. C’est aussi pour cette raison que les évolutions en termes d’allégements de charges consécutives au screening sont plus ou moins importantes. Ainsi, elles paraissent limitées au Royaume-Uni, sans doute parce que les formalités administratives dans ce pays sont déjà bien plus légères que dans d’autres. » (rapport Bizet du Sénat, juin 2009)

Thérapie de choc libérale

Le gouvernement a parfaitement conscience de ce parti pris libéral. C’est au point, que, dans une circulaire du 22 novembre 2007, adressée aux directeurs de cabinet des ministres, le directeur de cabinet de François Fillon écrivait que la transposition « n’est pas exclusivement de nature juridique : aux côtés d’autres chantiers ouverts par le gouvernement, [elle] constitue une opportunité supplémentaire pour simplifier les procédures, diminuer les charges qui pèsent sur les entreprises, moderniser l’économie et développer la croissance et l’emploi ».

Dans sa version de février 2008, le rapport Bizet du Sénat expliquait ainsi le lien entre la directive Services et les autres réformes libérales du gouvernement : « La dynamique « antibureaucratique » de la « directive services » devrait être accentuée par un contexte favorable à la réforme de l’État et de l’Administration dans notre pays. »

Et de citer la politique de « réduction des charges administratives sur les entreprises » impulsée par la directive services et reprise de manière zélée par le gouvernement : « l’objectif fixé par le gouvernement est ambitieux, puisque la réduction de 25 % de la charge administrative doit être atteinte d’ici 2011, soit avec un an d’avance par rapport à l’échéance fixée par les institutions communautaires. »

Sans oublier la Révision générale des politiques publiques et le très libéral rapport de la commission Attali. Et devinez qui l’on trouvait justement parmi les illustres membres de cette commission nommée par Sarkozy ? Evelyne Gebhardt, la députée PSE rapporteur de la directive services au Parlement européen … Une illustration de plus du naufrage libéral de la social-démocratie en général et du SPD allemand en particulier.

Malgré la crise

Dans sa version de juin 2009, le rapport du sénateur Bizet craignait qu’avec la crise, le contexte ne soit plus porteur pour la transposition de la directive services. Vraiment ? « Il est à craindre, soupire le sénateur, que la crise financière et économique, et ses conséquences notamment sociales, qui affecte l’ensemble de l’Union européenne, ne relègue la transposition de la directive au second rang des priorités de bien des États membres. » En effet ! C’est ce que devraient faire des gens censés, après le désastre produit par les déréglementations en matière financière ! Le bon sens le plus élémentaire commanderait en effet de mettre la directive services à la poubelle. Elle va être transposée en droit français. La crise va donc s’aggraver. L’Europe ca devait être la solution, c’est le problème.


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