La tombe d’Albert Camus, le libertaire, menacée par les profanateurs (article de Paco, libertaire)

jeudi 26 novembre 2009.
 

Selon Nicolas Sarkozy, « Faire entrer Albert Camus au Panthéon, ce serait un symbole extraordinaire. » Mais qu’irait donc faire Camus le libertaire dans l’obscure crypte d’une ancienne église ? Camus reviens, ils sont devenus fous !

Il y a des manipulations politiciennes, des tripatouillages macabres, des détournements de valeurs qui font particulièrement gerber. L’attaque du président de la République contre les restes d’Albert Camus atteint des sommets dans l’obscénité. Les mots nous manqueraient presque devant l’abîme insondable creusé par la vulgarité de ceux qui nous gouvernent. Face à cette monstruosité décomplexée, à cette médiocrité rampante, rappelons quelques vérités qui devraient stopper net toutes les manœuvres en cours.

En 2008, avec le concours notamment de la librairie du Monde libertaire et du Centre international de recherche sur l’anarchisme, la bibliothèque municipale de Lourmarin, village où est enterré Albert Camus, présentait une exposition intitulée Le don de la liberté : Albert Camus et les libertaires. Une initiative qui fut suivie par un colloque sur le même thème. Dans le même temps, les éditions Egrégores ont publié Albert Camus et les libertaires (1948-1960), livre où sont rassemblés et commentés de nombreux textes de et sur Camus qui ne laissent planer aucun doute sur l’engagement du Prix Nobel de littérature 1957 aux côtés des anarchistes.

C’est en rencontrant Rirette Maîtrejean (1887-1968), co-éditrice du journal L’Anarchie avec Victor Kibaltchich (alias Victor Serge), qu’Albert Camus fut initié à la pensée libertaire. Rirette était correctrice à Paris Soir. Albert y était rédacteur et secrétaire de rédaction. Au marbre comme pendant les mois d’exode, en 1940, avec Rirette et les typos, correcteurs et imprimeurs (souvent anarcho-syndicalistes), Camus eut le temps de découvrir les traditions libertaires en France. Peu à peu, Camus, le « camarade absolument parfait », fit la connaissance des anarchistes responsables de diverses publications françaises (Le Monde libertaire, Défense de l’Homme, Liberté, Le Libertaire, Témoins…) ou étrangères (Volonta, Solidaridad Obrera, Arbetaren, Die freie Gesellschaft, Reconstruir, Babel…). Camus collabora régulièrement à certains de ces journaux et rencontra ses animateurs. Il profita même de son séjour à Stockholm, lors de la remise de son prix Nobel en 1957, pour se faire interviewer par Arbetaren et visiter les locaux de la Sveriges Arbetaren Centralorganisation (SAC), l’organisation anarcho-syndicaliste suédoise.

Dans les années 1930, le « Pied-noir » Albert Camus semblait avoir déjà des prédispositions pour les analyses libertaires. Il s’était fait viré du parti communiste, en 1937, parce qu’il soutenait Messali Hadj, leader du Mouvement nord-africain (MNA), parti rival du FLN qui entretenait des contacts avec le mouvement libertaire et les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne (où Camus allait écrire). Le drame espagnol touchait aussi particulièrement Camus. Appels, articles et meetings se succédèrent pour venir en aide aux militants antifranquistes. En février 1952, salle Wagram à Paris, il participa à un meeting pour soutenir cinq militants anarcho-syndicalistes de la CNT condamnés à mort. Dans Le Libertaire du 26 juin 1952, il publia un texte pour exposer les raisons de son refus de collaborer avec l’UNESCO où siégeait un représentant de l’Espagne franquiste.

Albert Camus s’exprima régulièrement dans Témoins, revue antimilitariste et libertaire qui était ouverte à tous les courants anars. Une activité qui l’engagea naturellement aux côtés de l’anarchiste Louis Lecoin, dans les colonnes de la publication Défense de l’Homme, mais aussi dans la lutte pour l’obtention d’un statut en faveur des objecteurs de conscience. Écrit par Camus, le projet de statut fut approuvé par les membres du comité de secours aux objecteurs de conscience et diffusé par les militants pacifistes et libertaires, notamment dans un numéro spécial de la revue Contre-courant.

De très nombreux textes politiques et philosophiques aident à bien cerner le Camus qui affirmait : « Bakounine est vivant en moi ». En mai 1952, dans une lettre adressée à Gaston Leval, Albert Camus affirmait que la société de demain ne pourra pas se passer de la pensée libertaire. En 2009, cette évidence devient de plus en plus criante. Que les libertaires retroussent leurs manches si nous ne voulons pas que tous les rêves de Sarkozy deviennent très vite nos pires cauchemars.

L’idée qu’on pourrait profaner la tombe d’Albert Camus pour x ou y desseins glauques suffit à nous remplir d’effroi et de dégoût. Nous étouffons littéralement dans ce pays où règnent sans partage les détrousseurs de cadavres et autres charognards. « Le monde où je vis me répugne, mais je me sens solidaire des hommes qui y souffrent », disait l’auteur de L’Homme révolté qui aurait de quoi être dégoûté et révolté dans la France d’aujourd’hui.

À lire : Albert Camus et les libertaires (1948-1960), éditions Egrégores, 268 pages. 15€.

PACO sur Le Post.fr


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