Casale Monferrato Empoisonnée par l’amiante, une ville à l’heure du procès

samedi 12 décembre 2009.
 

Aboutissement de trente années de lutte à Casale Monferrato dans le Piémont, le maxiprocès pénal contre Eternit s’ouvre aujourd’hui à Turin. Sur place, les victimes du plus grand crime industriel du XXe siècle se comptent par milliers.

« Eternit, Giustizia  ! »  : c’est le cri d’une colère aussi immense que l’espoir d’obtenir enfin justice face à Eternit, la multinationale du fibrociment, qui éclate en grandes lettres noires sur un drapeau aux couleurs de l’Italie. On le lit partout à Casale Monferrato. Il est accroché aux balcons de coquettes villas au pied des collines striées de vignes, il flotte aussi sur le stade communal. Il est apposé sur le portail du lycée scientifique, dans la vitrine du pharmacien, au siège du ski-club et à la bourse du travail, bref sur tous les bâtiments qui cernent la place centrale du château. C’est de là, à l’ombre d’un campanile baroque et à quelques centaines de mètres de « l’usine de la mort » qui n’est plus que ruine au bord du Pô, que partent ce jeudi matin de bonne heure, en direction du palais de justice de Turin, dix bus de cinquante places, un pour les représentants politiques de cette commune de 35 000 habitants, les neuf autres pour des manifestants, la plupart victimes d’Eternit. À leur tête, Romana Blasotti Pavesi, la mère courage d’une tragédie vécue dans ce coin de la campagne piémontaise où, entre rizières et forêts, il devrait faire bon vivre. Fille d’un immigré slovène, elle a vu son mari, salarié d’Eternit, mourir à petit feu d’asbestose six ans seulement après avoir pris sa retraite en 1977. Elle a perdu ensuite une fille et plusieurs membres de sa famille qui n’avaient pourtant jamais mis les pieds à l’usine. D’ailleurs depuis 1986, date de fermeture de l’établissement, qui n’employait plus alors que trois cent cinquante salariés, ce sont deux mille citadins au moins qui sont morts de maladies dues à l’amiante.

Pendant quatre-vingts ans, Casale Monferrato, centre de gravité du triangle Milan (BTP), Turin (automobile) et Gênes (port industriel) situé à quelques encablures de la plus grande mine d’Europe, a vécu amiante, bâti amiante, respiré amiante et pas seulement dans les ateliers d’Eternit. « Des camions non bâchés passaient dans ma rue tous les jours lorsque j’étais enfant », se souvient Rosana, une quadragénaire qui a perdu sa mère l’an dernier et qui craint maintenant pour sa santé. Car, comme des milliers de Piémontais, notamment lorsqu’il y avait du vent, elle a sans doute inhalé de la « soie de salamandre ». Mortel  ? Les médecins locaux estiment à neuf cents le nombre de « morts blanches » durant la prochaine décennie. Chaque semaine, on enterre à Casale Monferrato une victime d’Eternit, ancien employé ou simple citadin soumis à une « exposition environnementale » à l’amiante qui fait la particularité du drame qui frappe la province d’Alessandria.

En 1993, la déception d’un premier procès

Pourtant, c’est par une action revendicative en 1976 ciblant l’assurance maladie (l’Inail) et l’usine de Casale Monferrato que Bruno Pesce et ses camarades du syndicat local CGIL ont démarré leur lutte, en affrétant un bus de nuit, direction Rome, pour faire reconnaître les cancers dus à l’amiante comme maladies professionnelles. À l’époque, Eternit ne voulait rien savoir et matraquait que fumer était, pour le travailleur, plus dangereux que tout. C’était le temps des procès individuels en indemnisation où des salariés venaient témoigner en ambulance avant de mourir quelques semaines après, pas plus riches qu’à leur naissance. Puis on s’est battu après 1986, explique Bruno Pesce, aujourd’hui président du comité Vertenza amianto (Litige amiante), contre Eternit France qui voulait faire redémarrer la fabrique abandonnée aux quatre vents. À contre-courant car cette usine de fibrociment, tout comme les autres cimenteries ordinaires de la région, était synonyme d’emploi et de prospérité. Jusqu’à cette fin 1987 où le maire, Riccardo Coppo, prend un arrêté interdisant toute exploitation et utilisation de l’amiante sur le territoire de la commune. Enfin il a fallu digérer, en 1993, la déception causée par un premier procès au pénal, condamnant des lampistes d’Eternit en première instance mais perdu en cassation pour cause de prescription, avant de reprendre espoir grâce à l’implication personnelle du procureur de Turin. Mille premiers noms de malades et de morts lui avaient été fournis. Des victimes innocentes d’un crime industriel de masse, le plus important en Europe durant le XXe siècle et qui se perpétue en différents coins de la planète.

Philippe Jéröme


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