Surendettement une descente aux enfers

lundi 21 décembre 2009.
 

Si le surendettement touche les plus modestes, leur situation est aggravée par les crédits permanents, dit revolving, dont il semble si difficile de s’extraire. Rencontre avec Louise et Annie qui ont accepté de témoigner des étapes de cet engrenage, dont seules les banques tirent profit.

Dans le petit bureau mis à disposition par la Maison de la justice et du droit de Villemoisson-sur-Orge (91), Annie [1] est venue pour constituer un dossier de surendettement avec l’aide de Marlène Vorbe, permanente de l’association Nouvelles Voies [2]. Cette femme âgée de cinquante ans ne sait plus très bien à combien s’élève sa dette. La permanente de l’association commence par un classement des papiers. Son objectif  : déterminer le nombre de crédits et faire correspondre les contrats aux relevés. La liste est longue  : cinq crédits à Cetelem, quatre à la banque Accord, un crédit Pass à Carrefour, un à Sofinco, un à la banque Casino, un à Finaref, un à Financo, un à Cofidis, un au Crédit agricole, un à Decathlon… Au total, dix-sept crédits qui correspondent à environ 60 000 euros.

Comment en arrive-t-on à de telles sommes  ? Annie travaille comme aide-soignante pour 1 200 euros par mois. Son mari, lui, travaille à La Poste et touche 2 000 euros. Elle a quatre enfants à charge. En janvier dernier, son fils aîné, sa belle-fille et leur enfant se retrouvent à la rue et s’installent dans sa maison. Annie peine à faire face à l’augmentation des dépenses  : «  Il y a le loyer, les charges, l’essence de la voiture, les abonnements téléphoniques, les assurances, l’alimentaire, les vêtements… Et puis, cet été, ma conseillère bancaire m’a proposé de prendre une assurance-vie et m’a rajouté un prélèvement de plus. Moi, j’ai pensé qu’elle voulait m’aider puisque c’est ma conseillère…  » Sauf que la conseillère porte mal son nom. «  Elle n’est pas là pour vous aider à mieux gérer votre compte, lui explique Marlène Vorbe de Nouvelles Voies. Elle a des directives pour tenter de vous vendre le maximum de services et faire en sorte que la banque gagne de l’argent.  »

Annie expose une situation qui illustre celle de 1,5 million de ménages français dont le niveau d’endettement est excessif par rapport à leur possibilité de remboursement. «  Le découvert, explique Philippe Guilbaud, président de Nouvelles Voies, c’est justement la première étape du surendettement.  » La deuxième, ce sont les crédits permanents, dits revolving, qui mettent à la disposition de l’emprunteur une somme d’argent à des taux d’intérêt prohibitifs. Une formule qui va de pair avec une carte de crédit et nécessite une parfaite gestion du compte. Chose relativement simple pour ceux qui ont un travail fixe, bien rémunéré et qui possèdent par exemple un bien immobilier. Mais nettement plus difficile pour les personnes à faibles revenus, qui se retrouvent très rapidement surendettées. «  Dans 70 % des dossiers, note la Banque de France, la part des personnes en situation de surendettement dont les revenus sont inférieurs ou égaux au smic est en augmentation.  »

Parmi les cartes de crédit, on trouve celle de Carrefour, Pass MasterCard, distribuée à 2,8 millions d’exemplaires. «  Une offre très large de crédits à laquelle s’ajoute désormais le rachat de crédits  » et «  des produits d’épargne pour répondre aux demandes de nos 400 000 clients  », annonce le groupe sur son site Internet. En d’autres termes, une carte qui débouche sur un crédit permanent très peu amortissable et aux mensualités très faibles mais dont on ne rembourse que les intérêts et le montant de l’assurance. Sans compter les nombreuses sollicitations pour aller puiser dans ces réserves d’argent disponibles à tout moment. Autant dire un cercle vicieux duquel le consommateur aura de la peine à s’extraire. Nous avons sollicité un entretien avec un responsable de l’enseigne. Refusé  : «  Carrefour ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet.  »

Dans le monde magique de la publicité, les cartes de fidélité couplées aux cartes de crédit sont la liberté incarnée. Celle de choisir le montant de sa mensualité. En fait, dans la vie, la vraie, le crédit revolving s’apparente plutôt à une bombe à retardement emballée dans du papier cadeau. «  Comment expliquer que l’on puisse prêter à quelqu’un de fragile économiquement pour un taux d’intérêt de 20 % alors qu’on lui a refusé auparavant un crédit classique à 3 ou 4 %  ? interroge Philippe Guilbaud. Les établissements de prêt, qui appartiennent en général aux banques, ont pour but de faire marcher les crédits revolving, qui rapportent beaucoup d’argent. Et c’est avec les intérêts de ces crédits que les banques se rétribuent. En face, les gens sont soumis à un matraquage publicitaire insensé. Si vous êtes pris à la gorge et qu’on vous propose un étalement des dépenses, vous acceptez sans forcément lire l’ensemble du contrat. Dans notre association, 95 % des dossiers de surendettement que nous soumettent les gens sont la conséquence de crédits revolving. Nous demandons leur interdiction pure et simple.  »

Moins tranchée, l’association UFC-Que Choisir ne préconise pas l’interdiction  : «  Nous ne sommes pas contre un crédit revolving pour des personnes qui le demandent et le gèrent sur très peu de temps, analyse Nicole Perez, administratrice nationale. Malheureusement, ce crédit est mal distribué par le biais de cartes de fidélité. Lorsque vous allez dans un grand magasin pour acheter de l’électroménager, vous en sortez malgré vous équipé d’un crédit permanent qui vous donne accès aux offres promotionnelles. C’est pour cela que nous demandons une déliaison entre cartes de fidélité et crédit permanent.  »

Cibles régulières des associations de consommateurs, les organismes de crédit ont un discours bien rodé. Pascal Roussarie, responsable de l’Observatoire Cetelem (BNP-Paribas), assure que «  les causes du surendettement ne sont pas liées aux excès de crédit mais aux accidents de la vie  ». Et se défend d’octroyer des crédits aux ménages fragiles  : «  Si vous êtes au chômage et que vous n’avez pas un emploi fixe, vous n’aurez pas de crédit chez Cetelem. On regarde la cohérence du projet, on refuse d’ailleurs plus de 30 % des dossiers. Et 98 % sont soldés intégralement.  » Pour lui, les dettes mal gérées avec des cartes de crédit vendues par les grandes enseignes concernent une minorité. Ce qui ne l’empêche pas de justifier l’utilité de ces dernières  : «  Les cartes de crédit peuvent rendre service aux personnes en période de difficulté. Si vous interdisez le crédit revolving, vous pouvez priver de nombreux ménages de consommer. La carte de crédit est un produit compliqué, dont il faut très bien connaître les mécanismes d’utilisation. Il faudrait informer davantage le client sur la manière de gérer un crédit renouvelable. C’est ce que propose en partie le projet de loi Lagarde avec lequel nous sommes en phase » [3]

Dans son dernier livre, D’autres vies que la mienne [4] , le romancier Emmanuel Carrère aborde lui aussi ce sujet. Et raconte l’histoire vraie du combat de deux juges pour épingler les établissements de crédit et faire respecter les lois. À l’instar de la loi Scrivener, votée en 1978, qui protège l’emprunteur en déterminant les modalités du contrat. Les juges Philippe Florès et Étienne Rigal ont épinglé des établissements hors la loi  : «  Florès, lui, regardait à peine ce que devait Mme Machin, il allait tout droit au contrat. Il y relevait souvent des clauses abusives et presque toujours des irrégularités formelles. La loi exige, par exemple, qu’il soit composé en corps huit, et il ne l’était pas. Elle exige que sa reconduction soit proposée par lettre, et il n’en était pas question. Florès s’était fait un petit tableau des irrégularités les plus fréquentes, il cochait les cases et, à l’audience, concluait  : le contrat ne vaut rien.  »

Être mieux informé, c’est exactement ce que Louise aurait souhaité. Mais voilà, son conseiller bancaire à la BNP lui a proposé, sans vérifier sa capacité de surendettement, la mise à disposition immédiate de 6 500 euros. «  Je lui ai fait confiance. J’ai cru qu’il était là pour m’aider. Alors j’ai signé le papier sans savoir. Il m’est même arrivé d’avoir mon compte provisionné sans que je demande quoi que ce soit. C’est une tentation terrible. Je me disais que je rembourserais plus tard…  » Louise fait partie de ces cas de surendettement dits «  passifs  », provoqués par un «  accident de la vie  », qui constituent 75 % des dossiers déposés à la Banque de France. Mais l’expression est trompeuse, et les banques ont beau jeu de s’en saisir pour esquiver toute responsabilité dans le surendettement des plus pauvres.

Il y a un an, Louise a dû faire face à un double coup dur. Son père débarque du Congo, atteint d’un cancer. Dans le même temps, son mari tombe malade, un cancer aussi. «  Mon père est arrivé presque mourant. Les hôpitaux ne pouvaient pas le garder indéfiniment. Je n’avais pas les moyens de le placer dans une institution. Mon mari malade à la maison, je ne pouvais pas accueillir mon père. Il a fallu que je paie une chambre d’hôtel à 40 euros la nuit pendant plusieurs semaines. Sans compter quelque 500 euros mensuels de médicaments non remboursés.  » Mère de trois enfants, Louise travaille dans une maison de retraite privée. Avec son salaire de 1 200 euros, impossible de couvrir l’ensemble des charges. Les découverts se multiplient. Résultat  : elle est dans l’obligation de monter un plan de surendettement auprès de la Banque de France. Si ce plan est accepté, il devrait lui permettre de rompre cette spirale du surendettement. Mais, contrairement aux idées reçues, un dossier ne signifie pas l’effacement définitif des dettes. Elle devra continuer à payer, sans faux pas, sans possibilité d’épargner ou de s’autoriser le moindre écart.

Ixchel Delaporte

Notes :

[1] Les prénoms ont été changés par souci d’anonymat.

[2] Nouvelles Voies  : association d’accompagnement administratifet juridique, contact  : 01 46 01 02 47

[3] Le projet de loi Lagarde devrait être examiné à l’Assemblée nationale, fin décembre. Il vise à limiter les abus du crédit à la consommation et prévoit un léger encadrement des pratiques bancaires. Mais la plupart des associations de consommateurs regrettent qu’il ne s’attaque pas à la première cause de surendettement  : la distribution du crédit revolving..

[4] Éditions POL, 2009.


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