"Les Etats se sont ruinés pour le capitalisme en 2009, peut-on échapper à la facture sociale en 2010 ?" (par Jean-Marie Harribey, coprésident d’ATTAC)

mercredi 13 janvier 2010.
 

L’année 2009 s’est terminée sur fond d’impuissance politique mondiale face au réchauffement climatique et de rodomontades face à la crise financière. Les gouvernements britannique et français ont annoncé à grand renfort de trompettes leur intention de taxer les bonus distribués par les banques pour mieux dissimuler les véritables enjeux : le crédit utilisé pour alimenter les marchés financiers sur lesquels spéculateurs et restructurateurs industriels s’activent fébrilement, des dividendes ahurissants distribués aux actionnaires et des revenus aux managers tels qu’ils ne peuvent avoir qu’un seul objectif, une rentabilité financière astronomique.

Que sera 2010 ? Beaucoup d’incertitudes mais une chose est sûre : les contradictions du capitalisme mondial ne disparaîtront pas. La frénésie financière, dont le principal symptôme est la formation de bulles sur tout ce qui peut apparaître comme susceptible de gonfler réellement ou artificiellement, n’a pas faibli : la spéculation sur les matières premières, notamment celles qui se raréfient, et sur les crédits carbone nés avec le Protocole de Kyoto et pérennisés par la conférence de l’ONU à Copenhague, ne demande qu’à s’épanouir.

Même si la machine économique, à coup de centaines de milliards injectés par les pouvoirs publics, se relance, les désastres n’en continueront pas moins.

D’une part, le chômage va grimper encore car les entreprises auront été durant toute la récession en sousutilisation de leurs capacités de production, au point que la productivité par tête a diminué. Le premier réflexe des entreprises sera donc de restaurer ces marges de productivité bien avant l’emploi. L’Union européenne a perdu un million d’emplois au cours du seul troisième trimestre 2009, dont 700 000 dans la zone euro, en dépit de la reprise économique.

D’autre part, et ceci serait d’autant plus inquiétant que la relance serait vigoureuse, l’hypothèse d’un « capitalisme vert » est maintenant envisagée par les classes dirigeantes. Hypothèse dangereuse car elle suppose une fuite en avant technique laissée à la discrétion des multinationales, elle parie sur les agrocarburants pour remplacer le pétrole, ce qui implique l’accaparement des terres dans les pays du Sud, et elle confie au marché le soin de répartir les ressources au gré de la rentabilité maximale. Manière de fixer « la » norme, tant sur le terrain social qu’écologique.

Comme le capitalisme est devenu planétaire, la concurrence ne s’exprime plus seulement entre vieux pays développés, mais de nouveaux acteurs sont entrés en jeu. La Chine, l’Inde et le Brésil, après avoir ouvert leurs portes aux capitaux des multinationales, bousculent les rapports de force et entendent jouer désormais les premiers rôles. Cependant, la conférence de Copenhague l’a bien montré, s’ils veulent peser dans les négociations internationales, ils sont obligés d’exprimer partiellement les intérêts des pays du Sud pris globalement, sans toutefois oublier ceux qui leur sont propres.

Ainsi, le Brésil veut devenir la première puissance agro-industrielle et se fait pour cela le champion du libre-échange. Et la Chine fait la sourde oreille par rapport aux conditions de production chez elle.

Le capitalisme est entré en crise par le biais d’un surendettement privé et a tenté une sortie de crise en transformant celui-ci en endettement public massif et général. On montre du doigt un pays comme la Grèce (12,7% de déficit et 113,4% de dette par rapport au PIB), qui subit la double peine : un retard de productivité et le poids de l’euro. Un euro conçu pour pays riche, industriel de pointe, avec déjà dans le passé une monnaie nationale forte ou une monnaie accrochée à la monnaie dominante. On parle moins des États-Unis dont le déficit 2009 est de 1420 Mds de dollars (10 % du PIB) et la dette de 12 000 Mds (80 % du PIB).

Globalement, les États sont assis sur une poudrière : leur endettement croissant fait courir le risque d’un krach obligataire. Celui-ci est d’autant plus possible que les institutions financières privées bénéficient des taux d’intérêt très bas pratiqués par les banques centrales pour emprunter les sommes dont elles ont besoin pour acheter les bons des Trésors publics et empocher ainsi le différentiel de taux d’intérêt. Autrement dit, tout le système financier mondial se réjouit de la croissance des déficits publics (nés de la socialisation des pertes du privé) jusqu’au jour où l’insoutenabilité des politiques publiques néolibérales éclatera : la croissance des déficits et de la dette sera insupportable si la diminution des impôts et les cadeaux fiscaux aux plus riches se poursuivent, sauf si, dans le même temps, on réduit plus que proportionnellement les dépenses publiques. On aura alors soit une contradiction financière exacerbée, soit une contradiction sociale explosive. En attendant ce moment dont tout le monde sait qu’il se produira, les couches sociales en capacité d’épargner ferment les yeux et se frottent les mains à l’idée qu’elles encaisseront les dividendes de leurs placements, via des institutions financières se repaissant de la dette publique.

L’exemple français est particulièrement éclairant. Les intérêts du fameux « grand emprunt » de 22 milliards d’euros seront payés grâce à une diminution des dépenses courantes dites de fonctionnement. C’est anti-social et, en plus, idiot : on affectera 11 milliards à l’enseignement supérieur et 8 milliards à la recherche pendant qu’on supprimera des postes d’enseignants et de chercheurs susceptibles de mettre en oeuvre les sommes allouées.

En fait, l’idiotie relève plutôt du calcul le plus sordide : ouvrir une avenue aux capitaux privés. C’est la même philosophie qui sous-tend les projets de nouvelles réformes de la protection sociale. Les hôpitaux publics sont promis à la loi d’airain de la rentabilité. Les retraites sont de nouveau dans le collimateur : le Conseil d’orientation des retraites prépare un projet de passage à un système de retraites par points ou par comptes notionnels. Dans les deux cas, il s’agit d’éviter d’avoir à affronter le mécontentement des salariés – à qui on a déjà infligé plusieurs allongements de la durée de cotisation – en diminuant le montant des pensions soit en baissant la valeur du point, soit en obligeant le salarié à reculer de lui-même son départ à la retraite.

On le voit, pour commencer la nouvelle année, le capital s’offre de belles étrennes et promet le coup de bambou à tous ceux qui lui paieront ses cadeaux.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message