Chili : pourquoi la droite a gagné l’élection présidentielle ?

mercredi 27 janvier 2010.
 

Dimanche soir, j’étais à l’Ambassade du Chili pour attendre les résultats de l’élection présidentielle avec quelques amis, dont une petite délégation informelle du PG, Raquel Garrido (qui m’a aidé à écrire ces lignes), Martine Billard, Pierre Augier et Marianne Métois si isolés dans ses salles quasi vides, que nous semblions être les seuls (comme Parti politique) à nous intéresser encore à ce qui se déroule en Amérique Latine. Faut il le préciser ? La soirée fut bien triste.

La catastrophe politique que nous étions nombreux à craindre s’est hélas produite : la droite ultra-libérale, héritière du pinochétisme, l’a emporté. Le milliardaire Sébastian Piñera devient le nouveau Président, avec près de 52 % des voix. Ainsi donc, au pays de Salvador Allende, à peine 20 ans après le retour des libertés publiques, ce sont directement les épigones des forces qui avaient voulu, soutenu ou applaudi le coup d’état militaire du 11 septembre 1973, qui vont exercer le pouvoir.

Au-delà de la colère, cette victoire électorale doit être méditée par toutes les formations politiques de gauche. Si la droite a gagné, cela ne doit rien à hasard. D’une part, il n’y avait pas de candidat de gauche au second tour. Le Parti socialiste gouverne le pays avec les démocrates-chrétiens depuis 20 ans dans le cadre d’une alliance contre-nature nommée Concertacion. Cette-fois, le candidat de la Concertacion était le démocrate-chrétien Eduardo Frei. La grande erreur est l’existence même de cette alliance qui implique une certaine orientation politique, ce n’est pas seulement le choix du candidat tel que certains tentent aujourd’hui de le dirent en mettant la défaite sur le dos uniquement de Frei, son manque de charisme, son âge, etc… Ces explications ras la moquette sont stupides. Les raisons de la défaite sont politiques, pas cosmétiques.

Alors que le Chili souffre de tant d’inégalités sociales, qu’il est considéré par l’ONU comme l’un des pays les plus inégalitaires au monde, le peuple de gauche attendait un programme de rupture et de changement avec les deux décennies précédentes. Face à un droit social quasi inexistant, une école publique délabrée et abandonnée au profit du privé, un accès aux soins de qualité réservé aux riches, la position timorée « de centre-gauche » de la Concertacion a conduit au désastre : c’est en effet le candidat Piñera qui a incarné le changement.

En plus d’une autre politique économique et sociale, il aurait aussi fallu proposer pour le Chili une autre Constitution que celle, toujours en vigueur, rédigée sous la dictature par Pinochet. Cette Constitution étouffe la démocratie. Le système « binominal » favorise honteusement la droite et la Concertacion qui se partagent les sièges au Parlement (50% pour chacun). En conséquence, plus de 40 % de la population n’est pas inscrite sur les listes électorales, dont 85 % de la jeunesse de 18 à 34 ans. Plutôt que de condamner cette Constitution, les dirigeants de la Concertacion se sont fondus dans son fonctionnement et hier soir, à l’issue de la lourde défaite, les premiers mots de Mme. Bachelet, présidente socialiste sortante, ont été pour féliciter le vainqueur publiquement en affirmant que sa victoire était la preuve du bon fonctionnement de la démocratie chilienne. Le tout en direct à la télévision. Quel aveuglement !

Enfin la Concertacion, même sous une Présidence socialiste, n’a entrepris aucun travail de mémoire sérieux. Aucun manuel d’histoire ne raconte ni n’explique les raisons du coup d’état de 1973. Toutes les commémorations officielles, parfois organisées par la Présidence, ont systématiquement fait entendre la petite musique de la « responsabilité partagée » du 11 septembre, entre les militaires condamnables pour avoir piétinés les droits de l’homme et le gouvernement d’Allende, condamnable pour avoir exagéré en menant une politique trop à gauche. Ce refus de renouer les fils de la mémoire, source de tant de confusion, a aussi pesé lourd dimanche. En effet, il a fondé la stratégie centriste de la social-démocratie et a réhabilité les dirigeants de droite, comme Piñera, en les dédouanant d’avoir profité directement de la dictature.

Ainsi, quand la gauche s’allie avec le centre, quand elle abandonne la question sociale, quand elle ne défend pas la souveraineté populaire et refuse l’implication citoyenne, et quand elle ne mène pas de bataille culturelle sur ses valeurs, elle est battue par la droite. C’est aussi vrai à Santiago qu’à Paris… Quiconque s’est battu pour chasser les pinochétistes du pouvoir peut légitimement se dire : « tout ça pour ça ? ». C’était sans doute l’état d’esprit de M. Alain Touraine, le grand sociologue, présent hier soir à l’Ambassade. Tant de luttes pour que la Concertacion ramène les pinochétistes au pouvoir et ce par la grande porte.

C’est donc pour toutes ces raisons que la droite a gagné.

Un sentiment de dégoût nous envahit en rédigeant ces lignes, mais heureusement qu’une gauche nouvelle est déjà en construction, notamment autour des fondateurs du Partido Izquierda (PAIZ) chilien.


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