Des droits bafoués dans l’industrie du sport

jeudi 23 novembre 2006.
 

Entre effet de mode et valeurs éthiques

93% des Français consomment des articles de sport, mais seulement un tiers est utilisé pour la pratique effective d’un sport. Ils y consacraient en 2002 un budget moyen de 353 euros par ménage, soit le plus gros budget d’Europe. Ce phénomène de mode représente un marché de 8,2 milliards d’euros, avec une croissance de 3,4%, supérieure à l’évolution du commerce de détail (FPS, 2002). En France, la majorité des vêtements et chaussures de sport sont vendus dans des enseignes spécialistes du secteur, dont le leader est Décathlon, suivi de Go Sport puis Intersport. Mais ce secteur a une particularité dans l’esprit des consommateurs. Véritable phénomène de mode, entre confort et luxe, les marques et distributeurs de "sportswear" tiennent à leur image. Une telle consommation explique peut-être que les Français se montrent particulièrement exigeants dans ces articles. En effet, trois consommateurs sur quatre jugent essentiel ou très important l’engagement des marques et enseignes de la distribution en faveur d’articles de sport fabriqués dans le respect de la personne humaine (Cetelem 2002).

Que ce soit sur les chaînes d’usines flambant neuves ou dans des ateliers plus ou moins clandestins, la production de vêtements et chaussures de sport nécessite une forte densité de main d’œuvre, disponible et peu qualifiée. C’est pourquoi cette production est localisée dans les pays à bas salaires, un peu partout dans le monde.

Que les articles de sport soient fabriqués de manière artisanale dans de petits ateliers, ou sur les grandes chaînes d’assemblage d’usines flambant neuves, selon le type de produit, les conditions de travail de ceux qui les confectionnent sont très souvent alarmantes. Des témoignages rapportent des cas de violations de chacun de ces droits, violations qui constituent fondamentalement des atteintes à la dignité humaine. Quelques exemples.

Des filières commerciales complexes...

Les filières commerciales concernant les articles de sport sont très ramifiées et mondialisées. De plus en plus, les marques et enseignes de la distribution externalisent leurs productions... et parfois même la conception des modèles. Les conditions de travail abusives sont en grande partie dues à ce phénomène de sous-traitance. Les donneurs d’ordre exercent une pression sur leurs fournisseurs qui conduisent ces derniers à faire fi des droits de l’homme au travail.

En incluant des clauses de pénalités retard dans les contrats, en imposant des délais de livraison toujours plus courts, des prix toujours plus bas, accompagnés de standards de qualité sévères, ils obligent les ouvriers à faire un nombre d’heures de travail inacceptable pour un salaire indécent. De plus, les fluctuations des commandes étant souvent imprévisibles, la main d’œuvre est condamnée à s’adapter constamment à une très grande flexibilité de la masse de travail.

Les termes des contrats de travail (quand ils existent !) sont souvent injustes et respectent rarement la loi ! D’où des emplois précaires, ce qui accentue la vulnérabilité des ouvriers et entraîne des situations d’exploitation. Il manque généralement une protection minimum des travailleurs quant à l’application des lois sur les salaires, les heures de travail et les normes de sécurité : journées de 18 heures, heures supplémentaires obligatoires mais non rémunérées... sont monnaie courante. Selon un schéma classique, les périodes de production intenses alternent avec des situations de sur-effectif qui conduisent à des licenciements massifs. De plus, les ouvriers et leurs familles sont généralement exclus des systèmes de protection sociale.

Des rythmes de travail inhumains

"Je ne pouvais pas prendre de pause, aller aux toilettes étant interdit, et mon superviseur m’aurait passé un savon s’il m’avait trouvé assise pour quelques minutes, sur les 10 heures où je travaillais debout [...] Pour l’entreprise, il n’y avait que le quota de production qui comptait. Si un ouvrier n’atteignait pas son quota, la direction menaçait de le renvoyer ou de lui faire faire des heures supplémentaires non rémunérées. Cela m’arrivait régulièrement de travailler de 7 heures du matin jusqu’à 6 heures le matin suivant, surtout quand l’entreprise devait respecter des délais pour l’exportation. Peu importait que plusieurs travailleurs soient malades, l’entreprise ne voulait pas en entendre parler." Emelia Yanti, ouvrière indonésienne.

Répression anti-syndicale

En octobre 2003, le Collectif était alerté d’un cas de répression syndicale, identifié dans l’une des trois usines indonésiennes de la société Busana Prima Global, fournissant entre autres la marque Le Coq Sportif. La direction d’une de ces usines, après avoir permis la création d’un syndicat libre, a utilisé toutes les méthodes pour décourager les syndicalistes : isolement des responsables dans l’usine, multiplication des contrôles divers, pratique des baisses de salaire ciblées sur les militants les plus repérés, et mise à pied sans motif explicite de deux responsables du nouveau syndicat, en vue de leur licenciement. S’en suit la grève de 300 ouvriers, qui sont également isolés de leurs collègues par des cordons de policiers. Malgré une médiation du Ministère du travail et l’engagement de la direction de ne pas prendre de mesure de rétorsion, 166 ouvriers sont licenciés.

Responsable, mais pas coupable !?

Cet appel ne semble pourtant pas avoir été beaucoup entendu ! Les enseignes de la distribution ne reconnaissent que du bout des lèvres les situations d’exploitation des ouvriers, et s’empressent d’en reporter la responsabilité sur leurs fournisseurs ou sur les législations des pays producteurs !

Face à la pression, la plupart des entreprises du sport ont réagi (adoption d’un code de conduite, réalisation d’audits sociaux...) mais les démarches devant conduire à l’amélioration de conditions de travail sont encore trop rares, le plus souvent superficielles et unilatérales. Dans le domaine du sport, les trois grandes marques les plus connues sont aussi celles qui sont allées le plus loin dans le management de la qualité sociale... car ce sont celles qui subissent depuis longtemps une pression continue de la part des consommateurs.

Ainsi, Nike, Adidas et Reebok ont été poussés à développer un programme d’actions correctives chez certains fournisseurs communs. Par exemple, un projet s’est démarqué par l’implication directe des ONG et syndicats de Hong-Kong, ainsi que des sous-traitants chinois. Mais ce type d’action est loin de se généraliser, notamment en France où les donneurs d’ordre de la grande distribution ne souhaitent pas s’engager dans de tels programmes !


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