Humour : Saint Pierre et Satan confrontés au "cas Marx"

mardi 6 avril 2010.
 

Saint Pierre a reçu lundi dernier ce message urgent de Satan  :

«  Le cas Marx. – Situation insoutenable en enfer. Ce fils de pute a détruit en peu d’années notre paix et notre ordre social ancestral. D’abord, il organise la lutte des diablotins producteurs de soufre et de charbon, de ceux qui alimentent le feu, des travailleurs des fabriques de biens – ou plutôt de maux – d’équipement, et même des tortionnaires et des geôliers, lesquels par des moyens inédits et inacceptables, par des grèves, des assemblées, des pamphlets et des graffitis irrévérencieux, ont obtenu des journées de travail beaucoup plus courtes et des salaires si élevés qu’ils mettent sérieusement en danger la compétitivité et la productivité des usines infernales. Stimulés par l’exemple et régénérés sans doute par les suspensions continuelles de leurs châtiments mérités, les condamnés aux tourments éternels se sont aussi organisés  : d’abord dans la lutte pour les droits humains universels, passant ensuite tout de go à une critique dévastatrice et subversive de la dite «  économie politique de l’enfer  ». Une critique qui vise le fonctionnement même de notre civilisation infernale, mettant en question le sens de son économie productive ultramoderne – combustibles fossiles et nucléaires, engins de torture, moyens divers de désolation et de destruction, médicaments de pointe pour potentialiser la douleur et empêcher toute rémission, drogues sophistiquées pour inhiber la réflexion et la compassion, technologies diverses de dévastation chimique, bactériologique et radioactive, instruments financiers raffinés générant la servitude éternelle pour dette et moyens non moins raffinés de désinformation massive. Son objectif est clair  : mettre en question notre façon de produire tout cela – des marchés libres totalement dérégulés avec l’essor incontrôlé de, des sociétés toutes dominées par un Dominus ab legibus solutus [maître n’étant tenu par aucune loi, NDT], des marchés spéculatifs de produits à terme habilement conçus pour faire enfler la bulle des prix des aliments et tourmenter par la faim la foule infernale, etc.

Dans son incroyable audace, Marx en est venu à suggérer que l’atmosphère magnifiquement irrespirable de l’enfer, loin d’être un phénomène naturel décrété par le ciel, appartient aux conditions mêmes de notre monde inférieur, qu’elle est un simple sous-produit historique du réchauffement et du changement climatiques induits par des pratiques productives irrationnelles et inhumaines, spéculatives et publicitaires de nos entreprises infernales. Il ne se prive pas non plus de me discréditer de façon humiliante, affirmant sans cesse que moi-même, Satan, je ne suis qu’un «  pauvre diable  », un laquais politique, en somme, des intérêts de ces entreprises, coopté de façon non démocratique par elles. Presque personne ne croît plus ici que je suis le «  chef de l’enfer par la grâce de Dieu  ». Et voilà qu’une assemblée générale est convoquée qui devrait réunir des diables salariés et des condamnés aux tourments éternels, avec le mot d’ordre  : «  Il y a aussi de l’espoir en enfer  : un autre monde non infernal est parfaitement possible  ». Je n’ai pas les moyens de la réprimer. Mais je te dis, Pierre, que notre civilisation infernale courre un grave danger. J’attends des instructions célestes.  »

Olympien et célestement froid, mais conscient du danger, Pierre se contenta de transmettre à l’enfer un ordre d’admission de Marx au ciel  : «  Qu’il monte  !  ».

Le temps a passé et, chose insolite, Pierre est descendu personnellement en enfer pour s’entretenir en secret avec le même Satan  :

«  Je vois d’emblée qu’en enfer les choses sont revenues à la normale, Satan. Mais la situation là-haut est insoutenable. Ce fils de pute s’occupe maintenant du ciel. Il commence à agiter les âmes béates pour qu’elles se vouent aux plaisirs charnels et aux autres jouissances terrestres. Non content de cela, il a lancé une campagne – de «  désaliénation  », dit-il – parmi les anges pour qu’ils retrouvent un sexe, puissent choisir celui qu’ils désirent et le pratiquent même comme ils l’entendent. Dans sa démagogie perfide, il ne s’est pas même privé de comparer de façon méprisante notre paradis céleste et ses âmes bienheureuses avec les aspects férocement charnels et l’hédonisme du paradis musulman. Et il appelle maintenant à une assemblée générale céleste aux relents clairement populistes pour mettre un terme à des hiérarchies établies depuis des temps immémoriaux, et réorganiser démocratiquement tout cela du bas vers le haut. La démesure de ce bougre ne connaît pas de limites  : il donne à entendre que le ciel traite l’enfer comme une colonie, qu’il l’exploite, l’opprime et vit à ses dépens ; de surcroît, que vous êtes en enfer, précisément parce que c’est notre colonie, et non en raison de vos fautes. Satan, imagine ce qui pourrait se passer, par exemple, si cette assemblée distribuait de façon démagogique les gigantesques paquets d’actions que quelques âmes patronales béates et probes détiennent dans les entreprises infernales, pour leur plaisir céleste bien mérité. Ce qui m’horrifie, c’est de penser que de cette assemblée puisse sortir une «  Critique de l’Économie Politique du Ciel et de l’Enfer  ». Le fait est, collègue Satan, que nous n’avons pas là-haut de possibilités de la réprimer. J’ai essayé de dissuader Marx par tous les moyens, y compris en le menaçant de façon voilée d’un renvoi en enfer. Mais je te confesse que j’ai dû interrompre ces conversations au moment difficile où l’éloquence et – tu me pardonneras – le pouvoir de persuasion diabolique de ce juif de merde commençaient à me faire vaciller.  »

– Si ce que tu suggères, Pierre, c’est le renvoi de Marx en enfer, je m’y refuse carrément. Car la destruction de l’enfer serait encore plus dangereuse que la destruction du ciel. Il faut chercher une autre solution. Je te suggère d’organiser un sommet au plus haut niveau avec Dieu et moi. Si tu le juges nécessaire, tu peux même inviter Allah  ; je n’y verrais pas d’objections. Que décides-tu  ?

– Dieu  ? Allah  ? Pauvre diable  ! Ils n’existent pas.

DOMNECH Antoni

* Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°151 (09/07/2009), p. 18-19.

Traduction de l’espagnol par « solidaritéS » d’après le site www.antroposmoderno.com.


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