La Banque mondiale au cœur des « affaires » de la République du Congo

mardi 2 mars 2010.
 

Comment les institutions financières mondiales sanctionnent les législations sociales ?

Le budget 2010 de la République démocratique du Congo (RDC), promulgué le 25 janvier, est soixante-dix-sept fois inférieur à celui de la France (2), pour une population de taille équivalente. Malgré ce budget ridicule et la crise économique, le gouvernement congolais prévoit de ne consacrer pas moins de 430 millions de dollars au remboursement de la dette publique extérieure, qui est pourtant illégale. En effet, le peuple congolais continue de payer les arriérés impayés légués par le dictateur Mobutu avec la complicité des créanciers occidentaux. En droit international, on qualifie cette dette d’« odieuse ». Le gouvernement congolais pourrait donc légalement refuser de la rembourser et ainsi économiser des centaines de millions de dollars par an. Pourquoi ne le fait-il pas  ? L’explication repose essentiellement sur un calcul économique fait sur le court terme  : l’aide internationale ne représente pas moins de 46,3 % des recettes totales du budget 2010, et la RDC espère obtenir cette année un allègement de sa dette attendu depuis 2003  ! Face à une telle dépendance, le gouvernement congolais fait donc le choix de se plier aux injonctions de ses bailleurs de fonds, réunis au sein des institutions financières internationales (IFI) et du Club de Paris, un groupe informel réunissant dix-neuf riches pays créanciers dont la France.

Le prix de cette docilité est très élevé  : la RDC doit renoncer à sa souveraineté en s’engageant à suivre à la lettre les réformes structurelles dictées par les IFI, qui lui imposent d’améliorer « le climat des affaires ». Autrement dit, le gouvernement doit œuvrer pour le bien-être des transnationales en accélérant le bradage de ses ressources naturelles et en privatisant ses secteurs stratégiques. Cette politique de privatisation a non seulement des conséquences importantes sur le plan économique, puisqu’elle entraîne automatiquement moins de recettes pour l’État, mais également sur le plan humain avec des dizaines de milliers d’emplois supprimés.

Et ces futurs ex-travailleurs congolais ne pourront pas compter sur un quelconque système de protection sociale car cela risquerait de dégrader « le climat des affaires ». En effet, la Banque mondiale encourage les États à éliminer la protection sociale des travailleurs au Sud, mais également au Nord (3), notamment à travers la publication de son rapport annuel Doing Business (Faire des affaires), où la banque établit un classement de tous les pays en fonction de leur facilité à y « faire des affaires ». Plus la législation d’un pays facilite les licenciements et mieux il est coté  ! À titre d’exemple, le Rwanda enregistre en 2009 la plus importante progression car les employeurs ne sont plus tenus de procéder à des consultations préalables avec les représentants des salariés (concernant les restructurations), ni à en aviser l’inspection du travail. À l’inverse, le Portugal est déclassé pour avoir rallongé de deux semaines la période de préavis de licenciement. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la Banque mondiale aux avant-postes dans l’opération « Départs volontaires » en RDC. Entre 2003 et 2004, ce plan de licenciement illégal a frappé 10 655 travailleurs de la Gécamines (l’entreprise publique minière située dans la province du Katanga), qui n’étaient plus payés depuis plusieurs mois. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale est intervenue en finançant ces licenciements, sur demande du gouvernement congolais, mais en prenant le soin d’imposer au préalable ses conditions illégales  : la banque a plafonné le montant des indemnités selon une forme « pour solde de tout compte » et un mode de calcul qui violent le droit du travail congolais et les normes de l’Organisation internationale du travail (OIT). Alors que l’enveloppe sollicitée par les travailleurs était de 240 millions de dollars, le consultant chargé par la Banque mondiale de calculer le montant de l’indemnisation, propose seulement un forfait pour solde de tout compte de 43 millions de dollars  !

Aujourd’hui, les ex-employés de la Gécamines réclament des comptes à la Banque mondiale et ont saisi son panel d’inspection, qui est chargé d’enquêter sur les violations qu’elle aurait commises dans les projets où elle est impliquée. Bien que ce dernier ait déclaré leur requête recevable, ses rapports n’ont aucune force contraignante sur la direction de la banque. Seul un jugement rendu par un tribunal ordinaire pourrait contraindre la banque à réparer les dommages causés aux populations. Un procès contre la Banque mondiale pour de telles violations constituerait un précédent. La banque ne peut être au-dessus des lois, d’autant qu’elle ne bénéficie pas de l’immunité de juridiction. Selon ses propres statuts, elle peut être poursuivie en justice dans tous les pays où elle dispose d’une représentation.

Les travailleurs congolais sont victimes de la même logique capitaliste que celle qui prévaut au Nord. La solidarité internationale doit donc se renforcer contre les politiques antisociales des IFI et pour l’annulation totale et sans conditions de la dette du Sud.

Par Renaud vivien, juriste au comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (1).

NOTES

(1) www.cadtm.org

(2) http://www.legifrance.gouv.fr

(3) Voir d’Éric Toussaint, Un coup d’œil dans le rétroviseur  : l’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui. Éditions le Cerisier, 2010.


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