Régionales 2010 Géographie du vote Front de gauche (par Jérôme Fourquet, directeur adjoint de l’IFOP)

jeudi 8 avril 2010.
 

Une étude post-électorale confirme l’ancrage du Front de gauche dans le paysage électoral français. Il s’impose aujourd’hui comme le principal courant à la gauche du PS. Après les européennes, le Parti communiste, le Parti de gauche et la Gauche unitaire principalement ont décidé de poursuivre l’expérience du Front de gauche pour les élections régionales. Il s’agissait notamment d’ancrer sur le terrain cette dynamique unitaire à la gauche du Parti socialiste et d’amplifier le rassemblement initié à l’occasion des européennes. Cette démarche n’allait pas de soi et comportait des risques.

Le Parti socialiste bénéficiait en effet de 20 présidents sortants sur 22 régions métropolitaines et pouvait compter sur un vote utile au premier tour d’une grande partie de l’électorat de gauche animé par une puissante envie de sanctionner Nicolas Sarkozy. Jouant sur ce sentiment, les dirigeants socialistes avaient très tôt appelé au rassemblement des forces de gauche et à la reconduction des listes uniques qui avaient prévalu dans la plupart des régions en 2004. Dans un contexte de montée en puissance des écologistes, le choix du Front de gauche pour les communistes constituait alors une vraie prise de risques au regard du nombre de sièges, certains prédisant que la sauvegarde des positions du Parti communiste dans les conseils régionaux ne pouvait passer que par un scénario de listes d’union dès le premier tour avec les socialistes. Si cette option a été retenue dans quelques régions (Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Lorraine, Champagne-Ardenne), dans la plupart des cas les adhérents communistes ont fait le choix du Front de gauche, ce dernier étant même élargi au NPA dans le Limousin, en Pays de la Loire et en Languedoc-Roussillon.

Sur la base des régions où il se présentait, le Front de gauche a obtenu au soir du premier tour un score moyen de 6,9 %, soit un résultat très proche de celui des européennes dans ces mêmes régions : 6,4 %. Si l’on retranche les cas particuliers du Limousin, des Pays de la Loire et du Languedoc-Roussillon (Front de gauche élargi), on arrive à une moyenne identique de 6,9 % contre 6,4 % aux européennes. Comme on peut le voir sur le tableau ci-contre (1), ce résultat moyen cache bien entendu des scores et des évolutions assez variées.

Le Front de gauche franchit ainsi la barre symbolique des 10 % en Corse, dans le Nord-Pas-de-Calais (où il devance Europe Écologie), dans le Limousin (où il est allié au NPA) mais aussi et surtout en Auvergne grâce à la dynamique créée par André Chassaigne. Réalisées en partenariat avec le laboratoire MTG de l’université de Rouen, les cartes électorales au niveau cantonal permettent d’analyser plus finement encore la géographie du vote Front de gauche.

On retrouve ainsi logiquement bon nombre de zones de forces historiques du Parti communiste dynamisées par cette démarche unitaire et la personnalité de certaines têtes de liste. C’est le cas dans le Valenciennois et la partie est du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, où la liste « l’Humain d’abord », conduite par Alain Bocquet, obtient de très bons résultats : 58,1 % à Saint-Amand, la ville dont il est maire, mais aussi à Denain (22,4 %), à Marchiennes (25 %) ou Vieux-Condé (39,9 %). On notera également les 20,6 % à Calais, dont Jacky Hénin fut le maire.

Des scores intéressants sont également à signaler en Picardie dans le sud de l’Oise (35,3 % à Montataire par exemple) ou bien encore à Longueau (16 %), cité cheminote aux portes d’Amiens. En Haute-Normandie, le jeune maire de Dieppe (commune reconquise par le PC en 2008), Sébastien Jumel, décroche 8,4 % des voix au terme d’une campagne offensive et dynamique. Sa liste atteint 34,2 % à Dieppe et des niveaux élevés dans les cantons avoisinants tout comme dans les fiefs communistes des agglomérations havraise (29 % à Harfleur et 58,6 % à Gonfreville-L’Orcher) et rouennaise (26,4 % à Saint-Étienne-du-Rouvray et 28,9 % à Oissel par exemple).

En Île-de-France, avec 6,5 % des voix, la liste emmenée par Pierre Laurent se classe en cinquième position loin devant le Modem mais aussi le NPA, pourtant représenté par Olivier Besancenot. L’analyse par département fait ressortir une situation très contrastée entre les Yvelines (3,6 %) ou la Seine-et-Marne (5,1 %) et la Seine-Saint-Denis (11,3 %) ou le Val-de-Marne (10,8 %). Comme on peut le voir sur le tableau ci-contre (2), les résultats sont très nettement tirés à la hausse dans les communes à direction communiste.

Mais les scores sont également supérieurs à la moyenne dans bon nombre de communes de l’Essonne, ancien fief de Jean-Luc Mélenchon. C’est le cas à Viry-Châtillon (10,1 %), les Ulis (8,7 %) ou bien encore Corbeil-Essonnes (11,2 %), où le Parti communiste est bien implanté. Dans Paris intra-muros, le Front de gauche poursuit également son enracinement avec des résultats compris entre 8 % et près de 11 % des voix dans les arrondissements du nord et de l’est de la capitale (tableau 3).

En Pays de la Loire (bien que dans cette région le NPA soit allié), le Front de gauche a pâti de la division du Parti communiste, dont une partie des fédérations a opté pour une alliance avec le Parti socialiste dès le premier tour.

Hormis dans la Sarthe et dans le nord de la Loire-Atlantique (Brière, arrière-pays de Saint-Nazaire), les résultats sont faibles. Ce n’est pas le cas dans la région Centre, où le Front de gauche atteint 12,3 % dans le département du Cher et même 30,4 % à Vierzon. Bien qu’en retrait par rapport aux bastions du Cher, les scores sont non négligeables en Indre-et-Loire (8,5 %) et notamment à Saint-Pierre-des-Corps (45,7 %), commune de la banlieue de Tours, dirigée par Marie-France Beaufils, tête de liste du Front de gauche.

Les deux régions plus au sud, Limousin et Auvergne, se distinguent nettement sur la carte. Le Massif central a en effet viré au rouge lors des régionales. Avec 14,2 % des suffrages exprimés, André Chassaigne arrive ainsi en troisième position en Auvergne et amplifie sa percée des régionales de 2004 (9,2 % à l’époque). L’Allier, vieille terre communiste, a certes apporté sa contribution à cette victoire (13,8 %) mais la poussée est surtout spectaculaire dans le Puy-de-Dôme, dont le député Chassaigne obtient 19,7 % des voix (soit une progression de 10 points par rapport à 2004).

Dans les régions plus méridionales, on voit également apparaître en rouge sur la carte des zones d’influence du PC : nord du Périgord, Lot-et-Garonne, sud des Landes, montagne ariégeoise, massif du Canigou et vignoble catalan (20,8 % à Cabestany, 26,5 % à Estagel par exemple), arrière-pays biterrois, Cévennes et bassin minier d’Alès, sud de l’Ardèche et de la Drôme, sans oublier la région de Sartène en Corse, fief de Dominique Bucchini.

Si la structuration spatiale du vote Front de gauche est très corrélée à l’implantation historique du Parti communiste, la démarche unitaire et l’agrégation de différentes forces dans un même mouvement ont constitué un élément essentiel dans la dynamique du Front de gauche. Ce rassemblement, s’inscrivant dans la continuation de la mobilisation pour le « non » au référendum constitutionnel de mai 2005, a offert une perspective politique à de nombreux acteurs engagés dans des mobilisations sociales. Qu’il s’agisse de syndicalistes de l’industrie (dont certains ont mené des luttes ces derniers mois contre la fermeture de leurs sites par exemple), de membres d’associations comme Réseaux Éducation sans frontières, ou bien encore de citoyens impliqués dans des collectifs de défense des services publics (notamment en zone rurale), beaucoup ont trouvé dans l’offre Front de gauche un débouché politique à leur engagement social et syndical. Et l’on peut penser que la démarche du rassemblement du Front de gauche a donné une image d’ouverture et d’indépendance, ce qui a permis à ces militants de la gauche « syndicale et mouvementiste » de franchir le pas, ce qu’ils n’auraient sans doute pas fait si le Parti communiste s’était présenté seul et qu’ils n’ont pas fait en direction du NPA, qui est apparu comme isolé et pas assez ouvert.

Cette non-participation à la démarche unitaire a coûté cher au NPA, qui a vu son score quasiment divisé par deux par rapport aux européennes de juin dernier. Le Front de gauche de son côté, on l’a vu, a maintenu ses positions. Il a donc creusé l’écart avec le NPA, mais uniquement en raison du recul de ce dernier. Toutefois, sous cette stabilité apparente, la carte cantonale laisse apparaître des évolutions contrastées des résultats du Front de gauche entre les européennes et les régionales et ce parfois au sein d’une même région.

Les progressions (en rouge sur la carte) s’observent dans trois types de contexte. Il s’agit d’abord des zones où l’impact d’un candidat tête de liste et de la dynamique qu’il a su créer autour de lui permettent d’améliorer parfois très significativement les scores de juin dernier. C’est le cas d’Alain Bocquet dans une bonne partie du département du Nord et dans certains cantons du Pas-de-Calais, ou bien encore de Sébastien Jumel autour de Dieppe et plus largement dans de nombreuses communes de Haute-Normandie. On retrouve le même phénomène avec André Chassaigne dans le Puy-de-Dôme, l’Allier et le nord de la Haute-Loire, en Corse avec Dominique Bucchini et avec Marie-France Beaufils dans le Centre, qui conforte les positions déjà acquises en juin dernier en Touraine et autour de Bourges.

Second cas de figure, on constate également des progressions assez généralisées dans les régions où le Front de gauche s’est élargi au NPA. Cela se vérifie sur l’ensemble du Limousin et la quasi-totalité des Pays de la Loire. La situation est en revanche nettement plus contrastée en Languedoc-Roussillon, où des progrès sont visibles dans l’arrière-pays quand des reculs sont enregistrés sur le littoral et une partie de la Lozère. Élément important à signaler  : dans ces trois régions, le score obtenu le 14 mars au soir par le Front de gauche élargi est à chaque fois inférieur au total Front de gauche/NPA des européennes. L’élargissement du Front de gauche permet donc dans la plupart des cas (le Languedoc-Roussillon du fait de la candidature de Georges Frêche constituant un cas à part) d’amplifier la dynamique unitaire et d’élargir l’assise électorale de l’alliance mais sans pour autant parvenir à récupérer la totalité des deux électorats initiaux. Ce manque à gagner, phénomène classique déjà maintes fois observé lors de pareilles alliances à droite comme à gauche, s’explique aussi peut-être en partie par le fait qu’en Pays de la Loire une partie des élus et militants communistes avait fait le choix d’une liste commune avec le Parti socialiste au premier tour.

Toutefois, il convient de noter la très bonne performance du Front de gauche au second tour dans le Limousin qui, avec 19,1 %, amplifie largement le score du premier tour, 13,1 %, et dépasse le total NPA/Front de gauche des européennes (16,9 %).

Enfin, Rhône-Alpes constitue un troisième cas de figure où, sans alliance avec le NPA ni tête de liste faisant office de « locomotive », le Front de gauche améliore ses scores des européennes dans quasiment tous les cantons de cette grande région.

À l’inverse, quelques zones plus ou moins étendues se détachent en bleu sur cette carte et indiquent des résultats en retrait par rapport aux européennes. C’est le cas en Midi-Pyrénées et plus encore en Aquitaine, où la candidature de Jean-Luc Mélenchon aux européennes avait permis d’atteindre des niveaux assez élevés, que les représentants du Front de gauche pour ces régionales ne sont pas parvenus à réitérer. On observe le même phénomène dans le Calaisis, qui avait davantage voté Front de gauche en juin dernier quand la tête de liste de la circonscription nordouest n’était autre que Jacky Hénin, ancien maire de la ville. Un peu plus au sud, dans la Somme, il semble que ce soit la concurrence de la liste de Maxime Gremetz (11,9 % sur le département) qui ait coûté de nombreuses voix au Front de gauche.

En dépit de ces péripéties locales, le Front de gauche a donc confirmé son existence dans le paysage électoral français et s’impose aujourd’hui comme le principal courant à la gauche du PS. Cette construction demeure néanmoins fragile et les prochains mois, durant lesquels les échéances cantonale et présidentielle vont se préciser, seront décisifs pour l’avenir de cette construction politique assez inédite.


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