Obama et sa réforme décaféinée de la santé (Par Jean-Paul Damaggio)

mercredi 31 mars 2010.
 

La campagne et l’élection d’Obama ont donné lieu à un déferlement médiatique sans précédent où tout commentateur se devait de dépenser salive et encre pour vendre ou pas une image. J’ai affirmé alors que l’essentiel n’était pas de répondre à cette déferlante sous peine de jouer le jeu de l’adversaire, mais de suivre au concret les actes du nouveau président. Aujourd’hui, il est pris à son propre piège ! Aujourd’hui si j’écris que sa réforme de la santé est décaféinée c’est par rapport aux propres annonces d’Obama ! Et il ne suffit pas de dire que c’est toujours la même histoire, les hommes politiques ne peuvent tenir leurs promesses. L’opposition féroce des Républicains à la réforme rompt avec une habitude répandue aux USA : la formation d’un consensus ; et cette opposition a tendance à démontrer que la réforme en question « c’est du socialisme » ! Donc il faut un minimum se pencher sur le sujet.

Quelle est la vérité ? Elle est conforme à la stratégie adoptée pour sauver le pays de la crise financière : aider les riches en espérant qu’ils voleront ensuite au secours des pauvres ! Hier, il y a eu Keynes, et le retour de l’intervention de l’Etat dans les affaires publiques tendrait à démontrer que nous revenons à Keynes, sauf que c’est l’inverse : avec Keynes, il s’agissait pour l’Etat, d’aider les pauvres pour qu’à la sortie, les riches s’y retrouvent ! Ce débat n’est pas seulement celui des élites du pays ! Au sein du peuple anglo-saxon la vieille tradition de la charité est extrêmement vivante. Dans un pays comme le Québec, des observateurs ont pu noter les différences d’attitudes entre zone anglo-saxonne et zone « française ». Dans un premier cas, la générosité publique est mise en avant, quand dans l’autre on considère que la dite générosité passe par l’impôt et l’intervention de l’Etat. Il s’agit d’une tradition protestante contre une tradition catholique (due sans doute à son rôle ancien de religion d’Etat).

Une réforme de la santé made in US heurte donc des traditions… qui risquent, si elle échoue [tout n’est pas réglé contrairement à quelques annonces]… de faire en partie le désespoir des Compagnies d’assurance ! Le vote de la réforme a mis à la hausse les cotations boursières des dites Compagnies, car il s’agit avec la loi, de verser aux dites Compagnies les cotisations que des millions d’Etasuniens ne peuvent verser, et qui ainsi les assurera. Au départ, c’est tout naturellement à un organisme public que ces versements devaient se faire, mais la bataille économique a enterré vite fait ce projet. C’est à ce moment là, que la réforme est devenue décaféinée ! Quand j’emploie cette expression je ne fais que relayer les propos de médecins aussi peu révolutionnaires que sont Steffie Woolhandler et Michael Himmelstein, deux fondateurs de l’association Médecins pour un Programme National de Santé.

Dans cette affaire tous les intérêts économiques ne sont pas identiques : ceux des compagnies d’assurances, ceux de l’industrie pharmaceutique et ceux des médecins. Alors qu’il faudrait contrôler les compagnies d’assurance (qui imposent aussi leur loi aux médecins vu les interventions judiciaires dans la santé), l’Etat va leur donner 447 millions de dollars pour continuer à gonfler leurs bénéfices en incluant il est vrai des assurés peu solvables dans leurs clients, mais à quels soins auront-ils droit ? Michael Moore, dans un effort pour être positif, a signalé à la fois les avancées que représente la loi… et ses limites. Le fait que des personnes ne peuvent s’assurer est l’effet, et non la cause du mauvais état du système de santé US ! Soigner les effets en permettant à l’Etat de se substituer aux insolvables, pour leur garantir l’accès à un minimum de santé, ne peut tuer le ver qui est dans le fruit, à savoir le besoin de bénéfices financiers des compagnies d’assurance ! Une fois encore, cette réforme correspond à la logique des réformes précédentes comme Medicare, or l’évolution du système nécessitait de rompre clairement avec la dite logique.

Mais à côté de ce débat économique, les « traditionnalistes » qui refusent toute loi au nom du libre-choix de chacun, peuvent tout faire capoter !

Et la légalisation des sans papiers

C’était l’autre grande réforme qu’Obama avait annoncé, pour sa première année de mandat, aux millions de latinos des USA. A ce jour rien n’a été fait. Nous n’avons aucune chance d’apprendre de nos médias que les latinos en question sont mobilisés jusqu’à être 100 000 dans une manif à Washington ces derniers jours, une action qui concluait une marche partie de Floride. Obama envoya une vidéo aux organisateurs pour les appeler à la patience. Ce problème répète le précédent. Il démontre une volonté populaire présente aux USA (ne croyons pas le pays sans luttes sociales) mais une volonté pas encore assez forte pour imposer quelques victoires.

Sur les deux points, cette lutte n’oppose pas schématiquement les intérêts des grands groupes financiers et l’immense peuple étasunien, mais elle traverse le peuple lui-même, celui soumis à l’idéologie dominante qui se considère majoritaire (les illégaux comme les mal soignés sont minoritaires) et celui qui pense que le bien commun passe par des réformes sociales. Bien sûr, les grands groupes financiers utilisent des sommes pharaoniques pour acheter des députés (des analystes parlent de 30 millions de dollars), mais il serait injuste de croire que la lutte des classes s’arrête là.

Si des démocrates ont peur de perdre en novembre leur siège à cause de leur vote pour la réforme de santé, ce n’est pas qu’en face des milliers de gens vont être achetés mais parce qu’ils se croient dans leur bon droit, alors que les bénéficiaires des lois sociales sont souvent démobilisés, peu inscrits sur les listes électorales et enclins à l’abstention. Le pays est traversé par de réels affrontements et ce sont eux qu’il faut faire connaître, soutenir, pour à la fois être en mesure d’anticiper sur les dérives de la démocratie, que nous connaissons déjà en partie, et ainsi mieux les endiguer. Ceci concerne autant les membres du PS, du PCF, des Verts, du PG, du NPA que ceux qui n’arrivent pas à s’inscrire dans une organisation.

25-03-2010 Jean-Paul Damaggio


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message