Une étude novatrice sur les mères lesbiennes met en lumière les nouvelles parentalités

vendredi 2 avril 2010.
 

Parce qu’elle estime que l’homoparentalité constitue un excellent observatoire des mutations de la famille contemporaine, Virginie Descoutures a consacré plusieurs années à étudier les mères lesbiennes, ces femmes qui, malgré leur homosexualité, choisissent d’avoir des enfants. "La catégorie famille homoparentale apparaît à la fin des années 1990, au moment où la famille relationnelle - une famille davantage fondée sur les liens électifs entre les individus qui la constituent au quotidien que sur ceux traditionnels de la filiation - devient clairement perceptible, explique-t-elle. Le but de ma recherche est à la fois de révéler, au travers de l’exercice parental, une vie quotidienne peu connue, souvent rendue invisible par le stigmate de l’homosexualité, et de contribuer à réfléchir sur "la" famille et le cadre hétéronormatif dans lequel elle se définit."

Dans le cadre de cette thèse dirigée par le sociologue François de Singly, la jeune femme a longuement rencontré, dans toute la France, 48 femmes homosexuelles élevant en couple des enfants qu’elles ont toutes conçus dans un cadre homoparental. Certaines ont eu recours à des inséminations artificielles avec donneur connu (en France) ou inconnu (en Belgique), d’autres ont adopté des enfants en tant que célibataires - l’adoption en couple est réservée aux personnes mariées -, d’autres, enfin, ont inventé des coparentalités avec un homme (homo ou hétérosexuel) ou un couple d’homosexuels.

Cette première étude d’ampleur consacrée aux mères lesbiennes montre que pour la majorité des couples, la question de la parentalité n’allait pas de soi. "La décision commune d’avoir des enfants est l’aboutissement d’un long cheminement conjugal fait de conversations, de négociations, voire de crises et de compromis", écrit la sociologue. Bien souvent, lors de la mise en couple, les deux femmes n’avaient pas le même point de vue sur la question des enfants. "Quand pour l’une, le désir et la volonté d’en avoir étaient très clairs et énoncés, cela ne pouvait être envisageable pour l’autre, principalement à cause du choix de vie homosexuel : la maternité est souvent perçue comme une transgression supplémentaire."

L’arrivée d’un enfant bouleverse souvent les relations entre ces couples et l’extérieur. Tant qu’elles n’ont pas d’enfant, beaucoup de lesbiennes font preuve de discrétion afin de ne pas s’exposer à des remarques homophobes, mais avec un enfant, cette stratégie devient difficile. Toutes les mères rencontrées par Virginie Descoutures ont donc informé l’école de la spécificité de leur configuration familiale, rendant ainsi visible leur couple. Dans la plupart des cas, l’équipe enseignante s’est montrée tolérante, même si l’institution pratique, selon Virginie Descoutures, une reconnaissance "fragile et constamment révocable", notamment à l’égard du second parent.

Au sein des familles, la naissance de petits-enfants facilite parfois un dialogue qui était devenu difficile, comme si la parentalité permettait - enfin - de mettre l’homosexualité au second plan. "Alors que le moment du coming out auprès de leurs propres familles a pu conduire certaines d’entre elles à des ruptures familiales dures, le fait qu’elles aient eu par la suite accès à la maternité a pu leur permettre de renouer des liens familiaux, leurs choix de vie apparaissant dès lors plus intelligibles ", précise Virginie Descoutures.

Contrairement à ce que pensent les détracteurs de la famille homoparentale, ces couples de femmes ne perdent jamais de vue la question du "référent paternel". Celles qui ont choisi la coparentalité estiment que l’intérêt de l’enfant est d’avoir un père, celles qui ont opté pour l’insémination artificielle avec donneur révèlent, par leurs pratiques, un souci de faire une place au masculin en préférant, par exemple, un baby-sitter à une baby-sitteuse ou un instituteur à une institutrice. "Les femmes rencontrées ont à coeur de transmettre à leurs enfants une partie de cet héritage symbolique : le monde est hétérosexué, résume Virginie Descoutures. Il est ainsi envisagé comme bénéfique pour les enfants de leur faire fréquenter des hommes."

Malgré des configurations différentes, ces familles se heurtent toutes au même problème : l’absence de reconnaissance des familles homoparentales. La loi française ne reconnaît en effet qu’une mère, jamais deux : l’une des femmes du couple est donc privée de filiation, de droits, et par conséquent de devoirs parentaux. "Les mères non statutaires assurent pourtant autant que leurs conjointes un rôle parental auprès de leurs enfants, observe Virginie Descoutures. Dans la vie quotidienne, elles ne se défaussent pas de leur travail de parente mais la difficulté à se positionner réside précisément dans la non-définition sociale de la place de cet autre parent qui n’est ni tout à fait une mère ni un père."

Le livre de Virginie Descoutures sera publié au mois de juin.

Anne Chemin


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