Les Conti n’acceptent pas d’être "reclassés" pour 137 euros par mois en Tunisie (3 articles)

mardi 6 avril 2010.
 

1) Un emploi en Tunisie rémunéré 137 € par mois pour les Conti

Des ex-salariés de Continental du site de Clairoix (Oise) ont reçu un courrier leur proposant de travailler dans une filiale du groupe… en Tunisie

La direction de Continental, le manufacturier de pneumatiques allemand, vient de proposer à des ex-salariés du site de Clairoix (Oise) fermé il y a un an et où travaillaient 1 120 personnes un emploi… en Tunisie. 600 personnes licenciées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont reçu cette offre hier pour 60 postes à pourvoir.

« C’est une pure provocation et je n’arrive pas à comprendre qu’on puisse nous proposer un truc pareil », lance Bernard Lens, 57 ans, en brandissant la lettre recommandée. Un courrier qui lui propose de postuler à un emploi d’opérateur de production dans une filiale du manufacturier de pneus baptisée Continental Automotive située à Bizerte en Tunisie. Emploi rémunéré 260 dinars, soit 137 € sur treize mois et régi par la convention collective tunisienne.

« Une obligation légale »

« J’emmène ma famille et je pars travailler là-bas ? s’interroge l’ouvrier. J’appelle ça une régression. On est loin du travailler plus pour gagner plus. Si je décidais d’accepter, je perdrais le droit au congé de mobilité qui me garantit 75 % de mon salaire pendant deux ans. Le calcul est vite fait. » « Moi, je veux bien, mais je veux aller voir d’abord », ironise Xavier Mathieu, délégué CGT et emblématique porte-parole des Conti.

De son côté, la direction de Continental se retranche derrière la loi. « Il s’agit d’une obligation légale et en aucun cas d’une provocation. Ce poste en interne correspond aux qualifications des ex-salariés de Clairoix et la langue parlée est le français, ce qui nous oblige à le proposer. Une entreprise a été condamnée pour ne pas avoir respecté ces obligations », indiquait hier un porte parole du groupe allemand, qui reconnaît implicitement que, « si cette rémunération est conforme aux standards de ce pays, elle est très inférieure aux minima en vigueur au sein de Continental France ».

Toujours selon un communiqué du groupe allemand, 214 offres d’emplois ont été proposées aux employés de Clairoix depuis la signature de l’accord de fin de conflit en juin dernier. Des postes qui se situent majoritairement en France, en Suisse, en Allemagne mais aussi au… Japon ou aux Etats-Unis.

2) Continental : un reclassement à… 137 euros par mois

Écœurés, les 1 120 salariés de l’usine de Clairoix (Oise) appellent, par la voix de leurs représentants, Christine Lagarde à s’associer à leur plainte contre Continental pour licenciements sans cause réelle ni sérieuse.

Quand il s’agit de montrer qu’elle ne rechigne devant rien pour reclasser les 1 120 salariés de l’usine de Clairoix (Oise), qu’elle a décidé de fermer au printemps dernier et dont elle délocalise la production en Roumanie ou en Inde, la direction de la multinationale de pneumatiques Continental ne lésine pas sur les moyens. Elle vient d’adresser à 600 licenciés picards une proposition de « reclassement » dans l’une de ses filiales à Bizerte, en Tunisie : Continental cherche à recruter sur la rive sud de la Méditerranée soixante « opérateurs de production » pour un salaire brut de 137 euros sur treize mois.

« C’EST DU CYNISME », DÉNONCE LA CGT

Pour Xavier Mathieu, délégué CGT des « Conti », « c’est du cynisme au moment ou, d’après nos comptages, le cabinet de reclassement qui devait, selon les engagements pris à l’époque, reclasser au moins 80 % des salariés sur des postes pas inférieurs à 80 % de leurs anciens salaires, n’a réussi qu’à reclasser une dizaine d’entre nous ». « Ils font tout pour dégoûter les salariés et les faire sortir du plan social », dénonce Christian Lahargue, lui aussi membre du comité de lutte.

Les patrons du groupe allemand y mettent les formes — ils ont mis un de leurs graphistes sur le coup pour rendre plus alléchante la description du poste — et se paient même le luxe de regretter dans le courrier recommandé d’avoir l’obligation légale de faire une proposition aussi choquante : « Bien que ce poste corresponde à votre qualification professionnelle, nous souhaitons néanmoins attirer votre attention sur le fait que la rémunération mensuelle brut proposée par notre filiale tunisienne s’élève à un montant minimum de 260 dinars, avertit Philippe Bleurvacq, DRH de la division française de Continental. Si cette rémunération est conforme aux standards tunisiens, elle est bien entendu largement inférieure aux minima en vigueur au sein de Continental France. Nous avons cependant l’obligation de vous soumettre cette proposition. » Continental a envoyé à quelques dizaines de salariés une proposition de « reclassement » à Sarreguemines en Moselle, mais, là aussi, malgré le fait que ce soit en France, à des salaires largement inférieurs au ras de la grille conventionnelle. « En acceptant ces postes, on risquerait de perdre jusqu’à 600 euros par mois sur nos anciens salaires de Clairoix », s’indigne un des ouvriers qui a fait ses calculs.

LE CADEAU DE L’ÉTAT À LA DIRECTION DE CONTINENTAL

Derrière cette sinistre pantalonnade, à Clairoix, c’est le changement de pied de l’État dans le dossier Continental qui émeut le plus aujourd’hui. « Pour moi, cette proposition de reclassement en Tunisie, c’est un arbre qui cache la forêt », explique Xavier Mathieu. En début de semaine, les élus du personnel ont également reçu le courrier de l’inspection du travail justifiant sa décision d’autoriser leurs licenciements « pour motif économique ». Or, le 25 mars 2009, devant le PDG du groupe, Christine Lagarde, ministre de l’Économie, rappelait qu’« au vu des résultats du site de Clairoix, comme de ceux de la branche pneumatiques de Continental, la nécessaire justification économique d’un plan social semblait à ce jour des plus contestables ». Un an plus tard, alors que Continental a toujours provisionné plus de 325 millions d’euros pour le versement des dividendes à ses actionnaires, l’État lui offre un cadeau sous la forme d’une reconnaissance « officielle » du motif économique des licenciements. Alors que plusieurs centaines de salariés de Continental à Clairoix envisagent de contester prochainement les motifs de leurs licenciements, sans cause réelle et sérieuse à leurs yeux, devant les prud’hommes, la direction tente de bétonner son dossier : plusieurs mois après la signature, en juin dernier, d’un accord tripartite avec l’État, elle a inscrit à l’ordre du jour d’un futur comité central d’entreprise un avis sur les raisons de la fermeture de Clairoix ! « Là, c’est sûr, c’est une procédure absolument illégale, s’insurge Xavier Mathieu. Nous allons demander à Christine Lagarde de porter plainte avec nous contre Continental et, selon sa réponse, on verra de quel côté se range l’État, même si on ne fait pas trop d’illusions… »

Thomas Lemahieu

3) Un « must » travailler loin pour gagner moins

Sem Suhner à Schirmeck, La Barre Thomas à Rennes, Carreman à Castres… Rappel de quelques précédents tout aussi choquants.

Les propositions scandaleuses de reclassement à l’étranger de salariés licenciés ne sont pas nouvelles. Et elles ne sont pas toujours motivées par des obligations légales. Le 4 avril 2005, Michel White, le PDG de Sem Suhner, à Schirmeck, en Alsace, une PME de 38 salariés spécialisée dans la fabrication de bobines électriques, écrit à 9 salariées licenciées de l’entreprise. Il leur propose un « reclassement » dans une entreprise roumaine : un travail de 40 heures hebdomadaires pour 110 euros mensuels. En pleine campagne référendaire européenne, l’affaire fait du bruit, au grand étonnement du patron. « 110 euros brut, en France, ce n’est pas assez. Mais en Roumanie, ça suffit », affirmait-il.

Le 10 avril 2009 la direction de La Barre Thomas, un soustraitant de PSA à Rennes, proposait à des techniciens licenciés un reclassement dans une entreprise du groupe en Pologne, assorti d’une rémunération de 705 euros brut par mois. La connaissance de l’anglais figurait dans « les compétences indispensables » pour prétendre à de tels postes. « On ne reproche pas de proposer des postes dans les filiales à l’étranger car la loi l’impose, commentait un délégué CFTC de La Barre Thomas. Le problème c’est la façon de faire, les offres sont proposées sans état d’âme. »

Quelques jours plus tard, en mai 2009, les patrons du groupe textile Carreman de Castres, Éric Baïsse et François Morel, présentent une solution de reclassement à neuf salariés licenciés économiques : un travail d’opérateur de couture sur machine dans une usine du groupe en Inde. Salaire brut : 69 euros avec un 13e mois, une assurance médicale et une caisse de prévoyance pour 8 heures de travail par jour, 6 jours sur 7, en application de la législation locale du travail. Une sorte de record ! « Le patron, lorsqu’il licencie, a obligation de faire des propositions de reclassement. Mais ici, les patrons ont choisi la plus scandaleuse des offres que l’on puisse imaginer », commente le secrétaire de la CGT de Castres.

OLIVIER MAYER


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