Laurent Fabius : Mon projet pour la culture

samedi 11 novembre 2006.
 

La culture, la diffusion de la culture, dans la mesure où elle permet l’apprentissage critique, le sens civique, le regard non seulement du spectateur mais de l’acteur qui veut pouvoir comprendre et peser sur les choses sont essentiels. Je vous propose ce que j’appelle la démocratie culturelle. Cela suppose de répondre à un certain nombre d’enjeux.

1. - Tout d’abord, celle de l’évolution des moyens budgétaires alloués à la Culture. La préparation de la loi de finances 2008 se fera dans un contexte économique que l’on ne connaît pas aujourd’hui, ce qui rend délicat de donner un chiffre précis. Ce qui est clair, c’est que le budget de la Culture du quinquennat devra croître nettement plus rapidement que l’inflation et que l’ensemble du budget de l’Etat.

Ceci est d’autant plus nécessaire que les années récentes ont témoigné d’une absence de stratégie extrêmement dommageable pour la politique culturelle de notre pays et pour son rayonnement international. J’ajoute donc que conjointement à la revalorisation budgétaire, il est vital de remettre au cœur des objectifs du ministère de la Culture une véritable politique culturelle globale, et pensée comme telle. Les crédits décentralisés devront être assortis de buts clairs pour chaque niveau d’intervention, les budgets devront renouer avec des objectifs hiérarchisés et des stratégies lisibles, afin d’éviter que la culture ne se résume à un saupoudrage des moyens. Pour reprendre sa place au cœur même de la vie citoyenne, la culture doit s’appuyer sur une politique audacieuse et cohérente. Je veux être l’homme de cette politique.

2. - Quant à l’éducation artistique, il me semble essentiel de la réhabiliter à l’école, et ce jusqu’au bac. Je souhaite à cet égard la relancer par un plan cohérent et ambitieux :

- par la création du nombre de postes d’enseignants qui semblera nécessaire après examen de l’étendue de la démission de la Droite en la matière

- par une implication de grande ampleur d’artistes non nécessairement enseignants (musiciens, plasticiens acteurs), en prévoyant une prise en compte systématique des heures passées en établissement d’enseignement pour le calcul de leurs droits dans le régime de l’intermittence du spectacle. Il convient en effet de reconnaître l’acte de transmission comme partie intégrante du métier artistique

- par l’ajout à l’enseignement artistique général, d’une option choisie dans laquelle l’élève s’engage plus personnellement. Avec, à la clé, la présentation d’un projet artistique au baccalauréat dans toutes les sections.

- par le développement systématique d’expériences culturelles dans chaque établissement scolaire (chorales, orchestres, troupes de théâtre).

Si l’éducation artistique possède une place centrale dans mes propositions, c’est également parce que je crois fondamentalement que la Culture n’est pas simplement un domaine d’activité, une discipline, ou un passe-temps. Elle peut être et doit être, dans notre pays, cette valeur essentielle qui soit source d’une laïcité renforcée et revivifiée, une valeur émancipatrice et de cohésion sociale. Placée au centre de nos actions politiques, elle doit avoir pour objectif et pour résultat ce que j’appelle « la démocratie culturelle ». Il n’existe pas de démocratie sans apprentissage critique du sens civique. Sans réflexion, sans questionnement, sans remise en cause des idées reçues, sans désir d’interprétation, on se condamne à l’intolérance et aux fanatismes de tous ordres. Donner à chacun le goût de voir autrement, lui ouvrir les yeux sur une multiplicité de points de vue sur le monde, c’est lui donner les outils qui nourriront son sens civique, qui feront de lui un acteur passionné et exigeant de notre démocratie.

A une époque où la tentation des replis communautaires se fait jour, la culture doit être notre réponse laïque à la question du sens. Elle doit unir, rassembler et non diviser. Elle doit redevenir cette valeur fédératrice qui constitue dans notre pays le premier ferment de la laïcité.

3.- Oui, je considère que la création est, et est appelée à devenir de plus en plus, un moteur de notre croissance économique. Laissez-moi toutefois vous dire qu’elle mériterait toute notre attention et tout notre soutien même si elle n’avait aucune incidence économique.

Je crois que la fréquentation culturelle est un moteur d’épanouissement mais aussi de croissance. C’est d’une certaine manière le volet complémentaire de la réduction du temps de travail.

Dans ce cadre, il parait essentiel de soutenir ceux qui sont à l’origine de l’industrie culturelle : les créateurs, notamment indépendants, mais également les producteurs et éditeurs qui constituent le tissu économique sur lequel notre culture peut se développer. On ne souligne pas suffisamment que dans notre pays, la culture est histoire d’entreprises de taille souvent réduite, affaire de passionnés, où artistes et artisans se rejoignent. Si l’on compare notre industrie cinématographique à celle des Etats-Unis, par exemple, on se rend bien compte que la différence n’est pas question de qualité, mais bien de taille de marché, et c’est d’ailleurs en partie pour cette raison que nous possédons un système de soutien au cinéma particulier et dont nous pouvons être fiers. Les industries culturelles, nous le savons, sont à la fois très dynamiques et extrêmement fragiles, car chaque film produit, chaque disque créé est un pari qui repose sur un investissement très lourd.

Une politique culturelle ambitieuse doit donc prendre en compte cette réalité : notre exception culturelle, le foisonnement de notre création, est souvent au prix de sa fragilité. La difficulté majeure est donc de concilier le dynamisme de ces « artisans artistes » à la force de frappe internationale des grandes industries culturelles, notamment en matière de diffusion et d’exposition. Et c’est là aussi que le service public audiovisuel doit prendre toute sa place : en faisant preuve d’ambition dans les œuvres commandées, en jouant son rôle de découvreur de talents et de défricheurs de tendances, en étant au service d’une culture vivante et neuve.

Enfin, à l’heure du numérique et des nouvelles technologies, on constate que les industries culturelles n’ont pas encore trouvé de modèle économique stable pour la diffusion des contenus culturels sur les réseaux. Le téléchargement de morceaux de musique payant à l’unité est en perte de vitesse, la vidéo à la demande (VOD) tarde à décoller. Certains groupes importants tablent sur la concentration (Google rachète YouTube pour 1,65 milliard de dollars), d’autres reprennent des recettes éprouvées (EMI et Universal mettent leur catalogue de musique à disposition gratuite sur internet aux USA et Canada contre 90 secondes de publicité avant chaque morceaux téléchargés). Il appartient donc à l’Etat de veiller à ce que les règles du jeu de l’ère numériques se définissent de manière juste pour tous : auteurs et créateurs, qui doivent pouvoir vivre de leur travail, mais aussi le public, pour qui internet représente une véritable chance pour l’accès à la culture. C’est donc seulement en organisant une vraie concertation, à l’instar de celle qui avait marqué la loi du 3 juillet 1985, que nous pourrons véritablement redéfinir le contrat culturel entre artistes et public à l’ère numérique. Ce n’est que sur le terreau d’un tel accord que pourra se développer une création forte et renouvelée.

4. -. L’emploi culturel. Pour que le monde de la culture participe pleinement à la création de valeur dans notre pays, il faut lui en donner les moyens par une politique ambitieuse de l’emploi culturel.

J’ai contribué à ce que le Projet socialiste intègre l’ambition d’une consolidation du régime des intermittents du spectacle, et d’une loi de programme sur le spectacle vivant.

Je crois que cela s’inscrit plus largement dans le cadre d’une politique des industries de la création, ce qui appelle :

- la consolidation et le développement des instruments budgétaires et fiscaux de soutien à ces industries, afin notamment de faciliter et d’appuyer leur adaptation aux nouveaux supports de la diffusion des œuvres,

- une atmosphère propice à la création et aux créateurs, et cela renvoie au discours public, car on a trop eu tendance sous la Droite à disserter sur les coûts que représenteraient les artistes, sans jamais mentionner l’enrichissement qu’ils apportent à notre société par leur création. Pour que celle-ci puisse exister, il faut sans cesse rappeler le principe essentiel et intangible du droit moral de nos créateurs, qui est le fondement du droit de propriété intellectuel français. Il faut donc le préserver et le défendre, notamment contre les avancées de la vision américaine, plus commerciale et moins personnaliste, du copyright.

Je souhaite également que la politique culturelle que nous élaborerons prenne en compte l’emploi d’une manière transversale. Il ne faut pas considérer les diverses disciplines artistiques comme dissociées, mais les aborder dans la globalité de leurs relations souvent complexes. A l’heure où de plus en plus de spectacles font appel à la fois à des comédiens, des chorégraphes, des musiciens et des adeptes des nouvelles technologies, ce serait méconnaître les besoins réels du monde culturel que de ne raisonner que par discipline, notamment pour la formation et la sécurisation des parcours professionnels des artistes et des créateurs, ainsi que pour leur reconversion, souvent difficile. Nous avons en France de nombreux organismes qui sont dédiés aux questions d’emploi artistique (AFDAS, ANPE Spectacle, mais aussi AUDIENS par exemple, et le CNT et CND). Il faut réfléchir à rendre leurs missions plus claires pour les populations qu’ils représentent, et à créer entre eux une véritable synergie qui bénéficiera au premier chef à ces populations.

5. - Je suis particulièrement attaché à la défense du service public, et j’estime que le service public audiovisuel doit incarner de manière visible et exemplaire cet engagement.

Ce qui se joue avec les restructurations et les « réformes » actuelles de l’audiovisuel public, c’est en fait l’avenir du service public. Le rôle du futur Président de la République sera donc d’aller à la rencontre des professionnels de l’audiovisuel public et des syndicats afin de mieux comprendre leurs préoccupations, de partager leurs constats comme leurs inquiétudes, et de recenser informations et propositions. Il ne saurait y avoir de programme de l’audiovisuel public sans qu’une analyse faite en amont ne vienne nourrir le débat sur la défense de ses métiers (droits salariaux et conventionnels des journalistes), la lutte contre les atteintes à son statut, mais aussi les priorités et les objectifs qu’il faut lui fixer.

Les fruits de toutes ces analyses et de ces propositions s’inscriront, au-delà de la campagne interne du PS, dans le prochain programme de gouvernement qui sera élaboré dans la continuité du projet socialiste pour la défense du service public.

Plusieurs leviers me semblent devoir être actionnés pour redonner des perspectives à l’audiovisuel public

Tout d’abord, il faut avoir le courage pour son financement d’augmenter le montant de la redevance. C’est la seule manière de permettre au service public de relever plusieurs défis cruciaux :

- d’abord assurer une suffisamment haute qualité de programmes, en toute indépendance,

- Ensuite, sans s’affranchir de l’audience car elle est un baromètre nécessaire et qu’il ne saurait y avoir de service public sans public, limiter le poids de la publicité qui ne doit être qu’une recette d’appoint, faute de quoi le service public est contraint de singer les chaînes privées pour exister.

Par ailleurs, et comme le prévoit le Projet avec cohérence :

- une réforme du CSA est nécessaire pour renforcer son indépendance et son pouvoir de régulation des médias et des nouveaux supports,

- de même qu’une loi pour limiter les concentrations horizontales et verticales dans le domaine de la presse des médias et de industries culturelles.

Enfin, il conviendra d’œuvrer pour la mise en place, au niveau européen, de dispositifs ambitieux de soutien à la culture et à la production cinématographique et audiovisuelle, tout en défendant les systèmes nationaux de soutien.

6. - Oui les inégalités d’accès à la culture ne font qu’amplifier les inégalités sociales. Je souhaite pour cela une vraie politique culturelle des quartiers.

Je crois qu’il faut poser le principe qu’il ne saurait y avoir de nouvelles constructions ou rénovations d’ensembles urbains sans espaces culturels associés. Les prochains « grands travaux culturels » ne doivent pas être limités à Paris intra-muros.

Il faut aussi articuler équipements publics et équipements privés, en organisant leur proximité géographique et la cohérence de leur offre, à l’image des rapprochements recherche publique et recherche privée. Des leviers existent, il faut les moderniser et les développer. Ainsi, les nouveaux équipements culturels privés (essentiellement les multiplexes cinéma), pour être autorisés, devront intégrer une dimension de partenariat avec l’offre culturelle publique.

A terme, il faut envisager de véritables pôles culturels sur le mode des pôles de compétitivité, à partir d’un appel à projets, permettant la réunion d’entreprises culturelles, et la mutualisation d’équipements de création, de production et de représentation.

Plus généralement, je suis attaché à l’idée d’une véritable éducation populaire, d’une politique volontariste qui permette de combattre les inégalités d’accès à la culture à leur origine. C’est dans ce cadre que je souhaite inscrire la politique culturelle conduite dans les quartiers, mais également dans les zones rurales. Elle doit être conçue avec un double objectif en vue : d’abord, offrir à chacun la possibilité de développer son potentiel et ses talents artistiques et créatifs, et également assurer un décloisonnement culturel de ces zones sensibles, au service notamment de cette idée de démocratie culturelle que j’évoquais plus haut.


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