Conférence de Cochabamba et droits de l’écosystème

jeudi 16 juillet 2015.
 

Ce sont finalement près de 20 000 personnes de pas moins de 135 pays différents qui s’y sont rendues pour ce qu’on appelle désormais la « première conférence mondiale des peuples sur le changement climatique ». Il faut bien voir en effet que cette Conférence est la première d’une série de ce type. Organisées par des gouvernements progressistes, elles permettront aux mouvements citoyens du monde de travailler ensemble dans un cadre institutionnel. Sur place, il y aura eu une pensée exprimée pour nous, les absents. Il est vrai que plus de 4000 personnalités ont dû renoncer à venir du fait de l’éruption du volcan islandais. Pablo Solon, ambassadeur de la Bolivie auprès de l’ONU a tenu à dire un mot à ce sujet : « Nous sommes tristes car beaucoup de camarades issus de mouvements importants se retrouvent dans l’impossibilité de participer physiquement à nos travaux. Nous leur demandons de se joindre à nous par voie électronique. Cette Conférence est un premier pas crucial, mais au final il n’est que le premier pas d’une campagne plus vaste, plus importante, plus globale pour sauver la Terre Mère ». Pablo Solon sait de quoi il parle. Il a été le principal animateur de la guerre de l’eau de 2000 à Cochabamba. On fêtait la semaine dernière les 10 ans de la victoire de cette révolte citoyenne contre la privatisation du service public de l’eau. Cette lutte a dorénavant son écho dans tous nos pays. Mes amis de la communauté d’agglomération de l’Essonne, sous la houlette de Gabriel Amard son président fêtent à leur manière cet anniversaire en engageant cette semaine la phase décisive de leur bataille pour le retour de la gestion de l’eau en régie publique !

Deux propositions essentielles ont été débattues à Cochabamba. Celle d’un référendum mondial sur le changement climatique. Et celle d’un tribunal climatique international. Lors de la conférence de Copenhague, en novembre dernier, le président Evo Morales Ayma a constaté comme tout le monde que les représentants des Etats en présence n’étaient pas capables d’œuvrer dans le sens de l’intérêt général. Sa réplique a la simplicité des révolutions populaires de l’Amérique latine. « Puisque nous avons des divergences si prononcées de président à président, consultons le peuple et exécutons ce qu’il décidera » avait-il alors déclaré. Bon. Cela ne parait ni simple ni évident à mener. Pour autant est-ce aussi impossible que cela en a l’air ? Ce n’est pas ce que pense Evo. Sa proposition est de soumettre cinq questions aux peuples du monde. Ces questions, leur pertinence et leur formulation, ont été mises en débat durant le sommet de Cochabamba. L’un des 17 groupes de travail est consacré à l’élaboration du texte de ce référendum. Nous verrons où nous en sommes d’ici peu, le temps que je lise avec mes camarades les documents qui nous sont arrivés hier nuit.

Le Tribunal International de Justice Climatique existe déjà, sous la forme d’un « tribunal d’opinion ». Sa première « audience » a eu lieu du 13 au 14 octobre derniers. Différents gouvernements et entreprises y ont été accusés pour avoir porté atteinte aux droits de l’homme, des peuples et de la nature. Soit pour avoir contribué à l’émission de gaz à effet de serre, soit pour avoir encouragé la mise en place de « fausses solutions » conduisant à la destruction d’écosystèmes, ou à l’expropriation de communautés pour remplacer les cultures vivrières par des plantations d’arbres (compensation carbone) ou des agro-carburants. Au rang des accusés : l’Etat du Salvador pour « complicité avec des transnationales en vue du pillage du territoire », la Fondation hollandaise Forest Absorbing Carbon Emissions (FACE) pour un projet de captage de carbone en Equateur, les 12 Etats membres (Argentine. Bolivie. Brésil. Chili. Colombie. Equateur. Guyane. Paraguay. Pérou. Suriname. Uruguay. Venezuela) de l’IIRSA (Initiative pour l’intégration et l’infrastructure régionale sud américaine) pour leurs projets trop dépensiers en émissions carbone. Le jury, composé de huit personnalités issues des mouvements sociaux et écologistes, ont procédé à un jugement moral, non contraignant. Le but de tels « jugements » reste néanmoins de promouvoir la judiciarisation et la classification des crimes écologiques. C’est évidemment l’évolution vers un tribunal international de justice climatique sous l’égide de l’ONU qui est visée pour protéger l’intérêt général.

Voila qui nous conduit à réfléchir à l’idée de la reconnaissance de l’existence de crimes écologiques. On entend par « crime écologique » toute atteinte grave au bien commun de l’Humanité qu’est l’environnement. La gravité d’un tel crime s’apprécie au regard de la mise en danger de l’écosystème et de ses conséquences sur les droits de l’homme ainsi que de la responsabilité avérée des criminels. Dans ce cas le Tribunal International de Justice Climatique est soit un tribunal éthique, soit il est pleinement créateur de droit. Mais on peut aussi entendre par crime écologique toute infraction au droit environnemental. Dans ce cas le Tribunal International de Justice Climatique met en application le droit en vigueur. L’intérêt de la reconnaissance de l’existence de tels crimes réside à la fois dans son caractère pédagogique, on crée une conscience de l’intérêt général mondial, et dans la fin de l’impunité des grands profiteurs-pollueurs. Mais alors quels seraient les mécanismes de sanctions ? On peut en imaginer de deux types. D’une part, l’obligation de réparer les dégâts environnementaux et sociaux causés par un apport financier ou logistique. D’autre part, le versement d’une contribution financière à un fonds international de lutte contre le changement climatique. Je n’entre dans ces détails que pour signaler à quel point l’idée de ce tribunal se décline plus facilement que ne le laisse d’abord penser son intitulé.

Tout cela commence par un point disputé. La reconnaissance de droits de l’écosystème. Je le place dans son contexte actuel en Amérique latine. La normalisation de droits de la nature est prônée notamment dans les constitutions équatorienne et bolivienne. Ainsi, la constitution équatorienne déclare dans son article 17 : " La nature ou Pacha Mama, au sein de laquelle se déroule la vie et sa reproduction, a droit au respect de son existence et de ses cycles vitaux, ses structures et ses processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nationalité pourra exiger de l’autorité publique qu’elle fasse appliquer les droits de la nature. L’application et l’interprétation de ces droits devra passer par l’observation des principes établis par cette Constitution. L’Etat incitera les personnes physiques et morales et les collectivités à protéger la nature et à promouvoir le respect de chaque composante de l’écosystème ». La Constitution bolivienne se prononce elle dans deux articles. « Article 33. Les personnes ont droit à un environnement sain, protégé et équilibré. L’exercice de ce droit doit permettre aux individus et collectivités des générations présentes et à venir ainsi qu’aux autres êtres vivants, de se développer en permanence de manière normale » Article 34. Toute personne, à titre individuel ou en représentation d’une collectivité, est en droit de mettre en œuvre des actions légales en défense du droit à un environnement sain, sans préjudice de l’obligation des institutions publiques d’agir face à tout attentat contre l’environnement. ». Je souligne ici que dans le cas bolivien, il n’est nullement question dans le texte constitutionnel de la « Terre Mère » mais bien de la nature, l’écosystème ou l’environnement. Toutes choses qui n’incluent nulle anthropomorphisation. On parle bien de données objectivement établies sous le seul empire de la raison et de la délibération et se concluant par l’édiction en droit positif. Telles qu’ainsi décrites on peut tirer plusieurs enseignements des dispositions de ces constitutions. D’abord en rendant constitutionnel le droit à vivre dans un environnement sain, ces constitutions placent l’intérêt général entre les mains de l’Etat, d’une part, et des citoyens, d’autre part. En effet, l’Etat a à chaque fois le devoir d’agir pour préserver l’écosystème dans l’intérêt de tous, et le citoyen est incité à faire de même. Ensuite on doit souligner qu’à chaque fois la seule instance d’évaluation est la délibération citoyenne dans le cadre de la Constitution.

Dans tout cela, ce qui me pose problème comme on le devine, ce sont les références à la « Pacha Mama » « Père Cosmos » et autres articles religieux dont je ne vois pas ce qu’ils apportent au débat sur des sujets qui doivent être traités dans leur portée et implication universels. Je n’aime pas la folklorisation de la religion destinée à lui donner un air exotique. Constater que la revue internationale des Verts est intitulée « Pacha Mama » me consterne. Je ne cache pas mon désarroi face à la cérémonie chamanique par laquelle les autorités boliviennes ont décidé d’inaugurer ce sommet des peuples sur le changement climatique de Cochabamba. Pour moi comme pour mes camarades, ce sommet doit être celui des citoyens du monde en lutte contre le capitalisme et pour le respect de l’intérêt général humain et donc de l’écosystème. Il ne saurait se placer sous les auspices de quelque religion ou particularisme que ce soit. Certes, nous pouvons comprendre la portée symbolique que revêt historiquement la célébration d’une telle cérémonie aux yeux de nos camarades issus des communautés indigènes. Nous savons leur fierté d’être le fer de lance de la lutte pour l’intérêt général humain après plus de cinq siècles d’oppression violente ininterrompue. Pour autant la célébration de ce sommet en Bolivie, à Cochabamba, ville symbole de la lutte contre la privatisation de l’eau, nous semble être un signe suffisamment fort et compréhensible par tous. Y mêler des rites religieux en l’honneur du « Père Cosmos » et de la « Terre Mère », c’est prendre le risque de restreindre la portée de ce sommet dont les objectifs sont pourtant essentiels pour l’Humanité. C’est aussi nous embrigader dans des rites et croyances avec lesquels nous ne voulons rien avoir à faire. C’est pourquoi nous y sommes opposés. Au niveau national comme international, je crois pouvoir dire que le Parti de Gauche défend de la même façon, quelque soit le culte concerné, le principe de laïcité, garant de la représentation de tous les citoyens sans discrimination. Nous voulons que celui-ci soit respecté à l’avenir. Si les prêtres chamaniques sacrifient des fœtus de lama et les prêtres catholiques des hosties, que ce soit à l’usage de leurs ouailles, sans que le sommet y soit contraint de participer. Cela n’enlève rien à notre soutien au sommet, bien sûr. Mais cela situe notre exigence universelle sur le sujet.


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