Morale du volcan Eyjafjöll : être plus humble face à la nature ( par Denis Sieffert, Politis)

mercredi 28 avril 2010.
 

Cette histoire de nuage de particules échappé d’un volcan islandais ressemble à une fable philosophique. Prométhée n’est pas très loin. Toute l’aéronautique européenne soudain clouée au sol, c’est un peu le feu de la connaissance et de la technique qui nous est repris par un Zeus viking revanchard. Lorsque des vulcanologues sont venus nous dire, en fin de semaine dernière, que cet état de choses pouvait se prolonger deux ans, on a été pris de vertige. Deux ans sans avions ! C’est la faillite des compagnies aériennes et des industries connexes, des agences de voyage et du commerce international !

L’exclusion de l’Europe de tous les processus de mondialisation. C’est la vieille Europe, comme aurait dit Dick Cheney, ramenée un siècle en arrière. On imagine que les riverains des aéroports, qui goûtent ces jours de silence, et quelques écolos fondamentalistes auraient jubilé face à ce fameux coup de pouce du destin. Car c’est aussi la fin du pétrole avant même la fin du pétrole. La relocalisation de la production et de la consommation. Les fraises du jardin plutôt que les fraises du Chili. Et un énorme coup de frein pour un monde qui à force de vitesse croyait avoir aboli les distances et le temps. Et pourtant, la réalisation de cette fiction serait d’abord un désastre humain. On peut combattre le culte de la croissance et comprendre que cette décroissance-là, accidentelle, violente, impensée, serait une catastrophe dont les plus pauvres seraient évidemment les premières victimes. Mais au moins ce rideau de fumée pourrait-il être une occasion de penser un monde différent.

Le précédent nuage opaque craché par l’Eyjafjöll, c’était, nous dit-on, en 1821. Il avait plané au-dessus de l’Europe pendant deux ans. Or, on ne sache pas que le monde, ni l’Europe, ni la France en aient été particulièrement perturbés. Moralité : l’organisation du monde de ce début de XXIe siècle est infiniment plus fragile que celle du temps où l’empereur se mourait à Sainte-Hélène. Ce qui ne doit sûrement pas faire regretter le temps jadis, mais nous aider à porter un regard critique sur nos folies actuelles. Notre réflexion, hélas, commence mal. Rien n’est plus urgent, semble-t-il, que de remettre en cause le principe de précaution, qui est précisément un apport de la pensée écologiste. Faute de pouvoir s’en prendre au volcan, ou à Zeus, on instruit discrètement le procès de ce que Hans Jonas appelait plus justement encore le « principe de responsabilité ». Et c’est devenu ces temps-ci une fâcheuse habitude. Souvenez-vous de la grippe H1N1. Et voyez la controverse qui fait suite à la tempête Xynthia (voir le reportage de Claude-Marie Vadrot). C’est chaque fois le principe de précaution qui est mis sur la sellette. S’agit-il bien de cela ? À y regarder de plus près, les avions qui restent au sol, ce n’est pas le principe de précaution, puisqu’on sait d’expérience que le danger est réel. Des long-courriers ont déjà échappé de peu à la catastrophe pour avoir traversé des nuages de particules volcaniques.

L’affaire de la grippe H1N1, ça n’était pas non plus le principe de précaution, mais sa caricature. Son détournement sous la probable pression des lobbies. Il y a d’ailleurs entre les deux une différence évidente : on ne saurait affirmer que la paralysie du transport aérien va dans le sens des grands intérêts économiques. Alors que le soupçon subsiste fortement dans le cas de la grippe, exorcisée par le simple achat de 94 millions de doses de vaccin par l’État. Enfin, à lire le reportage de Claude-Marie Vadrot, on comprend que la réalité sur la côte charentaise et vendéenne est là aussi plus complexe qu’on ne le croyait à distance. Si, après la tempête, le gouvernement a tendance à forcer le principe de précaution au risque de détruire des maisons qui ne sont pas en zone dangereuse, c’est qu’il a lui-même auparavant (lui ou ses élus locaux) enfreint ledit principe. Son intransigeance administrative d’aujourd’hui renvoie à son laxisme d’hier. Elle renvoie aux permis de construire délivrés naguère à la légère… et à la gueule du client.

Finalement, si la fable du volcan islandais devait avoir une morale, ce serait l’invitation faite à Prométhée d’être plus humble face à la nature, et moins sûr de son propre destin. Même les experts du Conseil d’orientation des retraites devraient y réfléchir.


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