Quel candidat socialiste pour rassembler la gauche et le peuple ?

jeudi 16 novembre 2006.
 

Lors du vote des 16 et 23 novembre prochains, les militants socialistes ne feront pas qu’un choix interne. Ils prendront une décision lourde de conséquences pour toute la gauche. Car à chacune des trois orientations politiques en présence correspond, de manière plus ou moins assumée, une stratégie d’alliances.

L’alignement sur le blairisme ou la social-démocratie européenne ne crée pas la même capacité à rassembler la gauche que le socialisme républicain clairement ancré à gauche. Et plus largement c’est aussi la possibilité d’une mobilisation populaire et sociale lors de l’élection présidentielle qui se joue dans la réussite ou au contraire l’échec du rassemblement de la gauche politique.

Selon le candidat qu’ils choisiront, les militants socialistes auront ainsi une responsabilité décisive. Contribuer à cette union populaire pour changer la vie ou au contraire prendre le risque d’un éclatement qui éloignerait durablement la gauche du pouvoir. La vraie machine à perdre c’est la division de la gauche.

Ségolène Royal a prétendu que le débat au PS serait une « machine à perdre ». C’est pourtant l’inverse. Car c’est précisément l’incapacité à conduire un vrai débat d’orientation dans la gauche et le PS qui a conduit au 21 avril 2002. C’est justement dans les moments où le débat a été le plus ouvert et vif en son sein, comme aux Congrès d’Epinay et de Metz (où il n’y avait pas de majorité pré-établie), que le PS a forgé la ligne unitaire qui fit son succès. C’est de même dans les périodes où elle a le plus débattu, y compris âprement, que la gauche a puisé l’énergie qui lui a permis de devenir majoritaire et d’accéder au pouvoir en France. Ce fut le cas des années 1934-1936 qui aboutirent au Front Populaire. Et des années 1971-1981 dont les rudes empoignades à gauche accouchèrent du programme commun et de la victoire de 1981.

A chaque fois cela n’a été possible que parce que les socialistes ont opté pour un large rassemblement de la gauche capable de mobiliser en profondeur la société. C’est encore aujourd’hui cette question qui est posée. Dans le débat interne, Fabius est le seul candidat à insister depuis des mois sur l’enjeu de « rassembler à gauche ». C’était le titre de la motion qu’il a déposée avec Jean-Luc Mélenchon au Congrès du Mans. Il y fut le seul des trois prétendants à porter l’exigence d’une clarification de la stratégie d’alliance du PS. Et à obtenir que le Parti confirme sa volonté d’union des gauches et refuse explicitement toute alliance au centre ou à droite.

Alors que la motion Hollande jugeait à l’époque cette clarification superflue, les deux prétendants qui en sont issus sont depuis beaucoup moins clairs sur la question de l’union. Strauss Kahn l’aborde peu, comme si le PS français pouvait prétendre gagner et gouverner seul, comme ont pu le faire les partis sociaux-démocrates allemands ou anglais, sans d’ailleurs vraiment y arriver encore aujourd’hui.

Royal se dit favorable au rassemblement de la gauche. Mais ses lieutenants ont déjà tracé une perspective d’alliances très différente. A l’occasion du vote de la motion de censure par François Bayrou en mai dernier, Dray n’annonçait-il pas que désormais « tout est ouvert, tout est possible » avec l’UDF. Une ligne confirmée ensuite par Malek Boutih qui pointait l’érosion du score du « PC depuis 1971 » pour justifier que « des problèmes de majorité électorale évoluent ». Sans parler de Gérard Collomb qui a profité de l’annonce de son rapprochement avec Royal pour évoquer la possibilité de travailler avec « des centristes et des hommes de droite de bonne volonté ».

Une ligne de fracture dangereuse au sein de la gauche

Certains croient que discuter le point de vue de Royal diviserait la gauche. Ils devraient plutôt se demander si ce n’est pas ce qu’elle dit qui divise la gauche. Et si plusieurs de ses propositions ne sont pas déjà en train de faire perdre des voix au PS. Au 1er et au 2ème tour. En voici quelques exemples :

- Le permis de séjour temporaire pour limiter le regroupement familial. Cela ne piétine-t- il pas ouvertement le droit des étrangers à une vie digne ? Cela ne valide-t-il pas la dénonciation historique du regroupement familial par l’extrême droite ?

- Le placement d’office au premier acte de délinquance dans des « centres à encadrement militaire » (ou « des chantiers humanitaires encadrés par des militaires à l’étranger »). Cela ne piétine-t-il pas toute convition éducative et pédagogique ?

- La suppression ou l’assouplissement de la carte scolaire et le libre choix de l’école. Cela ne piétine t-il pas tout l’idéal laïque d’un service public d’éducation égalitaire ?

- Le choix des équipes pédagogiques par les chefs d’établissements (ou collègues) ? Cela ne mettrait-il pas par terre tout statut des enseignants, en instaurant un marché et une sélection des profs au profit des meilleurs établissements ? (et que dire des 35h en établissement pour les enseignants sur un emploi du temps défini par l’administration ?)

Avec ces propositions, Royal dynamite les fondamentaux de la gauche. Et heurte les consciences les plus sincèrement ancrées à gauche. Cela pourrait s’avérer désastreux dans certaines professions comme les travailleurs sociaux ou les enseignants, dont on sait le rôle qu’ils ont joué pour faire vivre la gauche dans notre pays. Ces transgressions sont ainsi en train d’élargir une ligne de facture qui passe à l’intérieur de la gauche (cf. ci-contre) et pas seulement parmi les adhérents du PS.

Toute une partie de la gauche est aussi choquée par le goût de Royal pour une politique spectacle que l’on croyait jusqu’ici le monopole de Sarkozy. Et le pilonnage grossier des médias pour imposer à tout prix le duel Sarkozy/Royal rappelle à beaucoup de militants les efforts déployés par les mêmes médias pour forcer la main des citoyens pendant la campagne du référendum européen. Beaucoup ont ainsi appris à se méfier à juste titre des engouements médiatiques. L’obstination des médias pour imposer une candidature socialiste plutôt qu’une autre est ainsi devenue suspecte à gauche.

Voter Fabius c’est rendre le PS utile à la gauche et au peuple

Le chantage au vote utile risque de ne pas suffire pour convaincre les électeurs de voter socialiste. Il marchera certainement pour ces bobos qui se mordent encore les doigts d’avoir voté Besancenot plutôt que Jospin en 2002. Mais il marchera moins bien pour tous ces électeurs qui d’années en années ne jugent plus utile de se déplacer.

Pour un ouvrier ou un employé, le vote pour le PS et plus largement pour la gauche n’est plus naturel. Il ne l’a d’ailleurs jamais été. Il a été le fruit d’un patient travail sur les consciences quand la gauche affirmait clairement son refus d’accompagner l’ordre des choses et assumait sans complexe sa vision alternative de l’organisation de la société.

Fabius renoue avec cette vocation transformatrice quand il axe sa campagne sur un nouveau partage des richesses. Pour le « pouvoir d’achat des bas salaires et des retraités ». Pour les « services publics qui sont le seul patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Il parle ainsi à la majorité sociologique du peuple français, celle qui a principalement manqué au PS le 21 avril 2002, celle qui a fait basculer le pays pour le Non le 29 mai 2005.

Royal fait tout l’inverse :

- Quand elle propose d’enlever leurs allocations aux familles pauvres de jeunes délinquants. Q

- Quand elle craint « qu’une trop forte augmentation du SMIC écrase l’échelle des salaires ».

- Quand elle vante la capacité d’Ericsson à « supprimer 10 000 emplois sans un jour de grève ».

Elle propose d’accompagner le monde tel qu’il va, de rétablir un ordre dont le plus grand nombre ne veut plus. Pire, elle contribue à faire reculer les idées de gauche dans les consciences. Son discours sur « les peurs » divise le peuple, en faisant comme si les principales revendications populaires étaient la matraque pour les délinquants et le charter pour les immigrés. De quoi alimenter le vote d’extrême droite là où il faudrait au contraire lui opposer une alternative progressiste à l’ordre libéral.

C’est maintenant aux militants socialistes de faire en sorte que leur parti soit à nouveau utile au peuple et permette la victoire de toute la gauche. Le jour du vote, chaque militant devrait se www.trait-dunion.org 3 rappeler que le PS n’appartient pas seulement à ses adhérents, mais plus largement à toute la gauche. Après la double cassure du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005, ils ont deux possibilités :

- remettre leur parti au coeur de la gauche ou ouvrir une phase de tous les dangers. Quand Ségolène Royal revendique la confusion droite / gauche « J’évite les formules dépassées, comme l’idée que tout ce que fait la gauche est bon et que tout ce que faire la droite est mauvais. Les gens ne veulent plus rien de cela. Si la gauche n’a pas été au second tour des présidentielles passées c’est parce que nous avons fermé les yeux devant certaines réalités, surtout devant l’insécurité. » Interview dans El Païs 19 septembre 2006

« Il est devenu insupportable de défaire la nuit ce que Pénélope a fait le jour ! Je ne déferai pas pour le plaisir ce qu’a fait la droite. J’essaierai de régler les problèmes avec un souci d’efficacité. » Interview au Parisien le 23 février 2006

Quand Marie George Buffet tire la sonnette d’alarme

Laurent Fabius a fait preuve de « courage » lorsqu’il s’est prononcé pour le « non » Ségolène Royal présente aujourd’hui « des réponses sociales-libérales ». Lors de la conférence nationale du PCF, le 22 octobre 2006 [selon AFP et AP]

« Si Ségolène Royal forme un gouvernement sur une politique sociale libérale, celle qu’elle prône aujourd’hui, je dirai que nous ne sommes pas pour aller dans ce gouvernement. » Lors de la fête de l’Humanité, 15 septembre 2006

« Il faut casser la star-académisation de la politique. Quand on brigue la présidence de la République, on doit avoir des propositions économiques, sociales, internationales. Ayons ce débat sur des propositions et non pas simplement sur l’âge du candidat, son sexe, etc. On essaie de brouiller ce débat, on essaie de nous enfoncer dans un couloir avec un scénario tout établi : vous n’auriez le choix qu’entre Sarkozy et Ségolène Royal ou, sinon, l’abstention ou le vote extrême. [...] Ségolène Royal ne nous dit rien. Or moi, je veux que la gauche s’engage, il ne faut pas un catalogue de promesses. » Malo les Bains (Nord), 24 août 2006

« J’entends une musique, je ne vois pas un programme. Je pense qu’on ne peut pas aller à la présidentielle comme ça. Il faut être responsable, il faut être sérieux, il faut dire aux Français et aux Françaises, voilà à quoi la gauche s’engage ». Déclarations à la presse, 23 août 2006

« La politique prônée par Ségolène Royal et que j’ai entendu prônée par Nicolas Sarkozy a échoué, cela fait quatre ans que Sarkozy a les rênes et la délinquance n’a pas reculé » Déclarations à la presse, 2 juin 2006

« Je suis choquée que lorsque Ségolène Royal vient en Seine Saint-Denis, ce soit pour aborder uniquement les questions de délinquance et de sécurité. Pour les stigmatiser, comme Sarkozy la veille ! Elle pouvait parler de culture, de vie associative, de mixité, d’intégration. Non. Délinquance, sécurité. Cette visite, tant dans sa forme que dans son objet, m’a mise profondément en colère. » En meeting à Niort, 1er juin 2006 « Si le modèle de Ségolène Royal, c’est Tony Blair, ce n’est pas très rassurant. »


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