Retraite : les jours heureux à portée de main

samedi 22 mai 2010.
 

L’affaire semble entendue : hier étaient les beaux jours, ils sont sombres aujourd’hui et pire sera demain. La retraite par répartition, à l’instar de l’Etat social dans son ensemble (protection sociale, droit du travail, services publics, etc.), serait une figure du passé.

Et si les "jours heureux" n’étaient pas tant hier, que demain, à portée de main ? Les Trente Glorieuses n’étaient pas l’havre de bonheur qu’on nous dépeint si souvent. L’Etat social n’est pas né parachevé en 1945. Il est une construction laborieuse, d’autant plus que jamais véritablement théorisée, commencée avant 1945 (la retraite des fonctionnaires date de 1853) et poursuivie à certains égards après 1975. Les pauvres étaient deux fois plus nombreux, en proportion, durant les années 1950 à 1970 et ils étaient souvent retraités, avec comme figure type le vieillard indigent à la porte de l’hospice. C’est en 1972 que les pensions ont été sensiblement améliorées, en 1982 qu’a été inscrit le seuil de 60 ans. Grâce à cela le paysage des retraites s’est radicalement transformé : d’une protection minimale accordée aux "vieux" (on parle encore de "caisse vieillesse") comme antichambre de la mort, on est passé à un véritable droit au bonheur, celui du troisième âge, avant le quatrième. Le taux de pauvreté (à moins de 50 % du revenu médian) chez les retraités a chuté : 28 % en 1970, moins de 5 % de nos jours. On mesure le chemin parcouru. Comment cela a-t-il été possible ? En augmentant, via les cotisations sociales, la part de la richesse monétaire consacrée aux retraites : 7,3 % du PIB en 1970, 13 % aujourd’hui. Ce qui a été possible hier, le sera-t-il demain ? Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) permet de répondre tranquillement oui.

Premier argument : la "bombe démographique" annoncée est moins importante que celle qui est derrière nous. Pour dix emplois (cotisants donc), il y avait trois retraités en 1970, un peu plus de six aujourd’hui et il y en aura moins de neuf en 2050 : le double sur les quarante dernières années, une hausse inférieure à 50 % pour les quarante prochaines.

Second argument : en supposant que la croissance des prochaines décennies sera plus piteuse encore que celle des trois dernières (c’est l’hypothèse du COR avec un gain de productivité horaire du travail de 1,5 % à 1,8 % par an contre 2,3 % entre 1980 et 2007), le PIB doublera néanmoins d’ici à 2050. Cela laisse beaucoup de marges. Et c’est là l’essentiel. L’impératif écologique exige qu’on s’interroge sur le contenu de la croissance. Mais on ne peut garantir les retraites futures (et de surcroît la hausse des salaires, des autres prestations sociales, etc.) sans elle : la taxation nécessaire des profits financiers n’y suffirait pas.

A contrario, même avec un taux de croissance modeste, on peut promettre une hausse significative du pouvoir d’achat tant aux salariés qu’aux retraités. La démonstration est simple. On compte aujourd’hui environ 6 retraités pour 10 cotisants. Pour une masse salariale de 100, et les retraites sont du salaire indirect inclus dans cette masse, chacun reçoit donc en moyenne un peu plus de 6 (100/16). En 2050, on comptera au maximum 9 retraités pour 10 cotisants (le COR table sur une fourchette de 8,5 à 8,7 mais en supposant un recul de deux ans de l’âge du départ effectif en 2050). Avec une masse salariale deux fois plus grande (sans même réduire ici la part des profits donc), chacun pourra recevoir, en moyenne, un peu plus de 10 (200/19). Les salariés font des "sacrifices" : leur pouvoir d’achat ne double pas, il augmente seulement de plus de... 50 % ! Loin du catastrophisme ambiant, les beaux jours sont donc à portée de mains. Une condition simple suffit pour qu’il en soit ainsi : la part des salaires doit cesser de baisser et les cotisations (dont les "patronales") doivent augmenter progressivement, comme cela a été fait avec bonheur depuis 1945.

Si on se refuse à augmenter les cotisations, quelle est l’alternative ? Il n’y en a que deux, indique fort à propos le COR : repousser de dix ans l’âge effectif de départ à la retraite à l’horizon 2050 ou bien réduire drastiquement (de plus d’un tiers) le rapport entre les retraites et les salaires. Depuis la fin des années 1980, tournant libéral oblige, c’est un mixte de ces deux options qui a été appliqué, l’objectif étant, au fond, comme l’a récemment rappelé Laurence Parisot, de réduire la répartition afin d’encourager la capitalisation. Cette voie sera-t-elle approfondie, alors même que le taux de pauvreté des retraités a remonté en 2006 et 2007 ? C’est tout l’enjeu des prochains mois.

Notre système de retraite, à l’instar de l’Etat social en général, n’est pas sans limite. L’héritage assurantiel pèse de tout son poids. La protection sociale est née, en France, comme une "assurance sociale". C’est le fruit d’un compromis : les libéraux s’attachant à l’assurance, façon capitaliste d’organiser la solidarité, les socialistes (dont Jaurès) à son volet social. Ce compromis a du bon. La cotisation, qui en est le produit, permet d’exhiber que sur la valeur ajoutée créé au sein des entreprises - dont les services publics qui contribuent au PIB -, une part sert à financer les salaires nets, une autre les salaires indirects (retraite, santé, chômage, etc.), une autre l’investissement et une autre, qui a explosé au cours des vingt dernières années, les profits financiers. Mais il a aussi son envers : la multiplicité des caisses (la CGT a demandé en vain à ses fédérations du public de rejoindre le régime général en 1945) et l’étage complémentaire par points rendent largement illisible le système, sans parler des inégalités qu’il contribue à reproduire (au détriment des femmes notamment). Avancer vers une "maison commune" des retraites serait un beau projet. Mais pour que cela advienne, encore importe-t-il que la contre-réforme annoncée soit recalée.

Christophe Ramaux est maître de conférences à l’université Paris-I, Centre d’économie de la Sorbonne.


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