Les Néandertaliens

dimanche 8 janvier 2017.
 

1) Une découverte qui modifie notre regard sur l’homme moderne

Une nouvelle extraordinaire est tombée le 7 mai 2010 : une équipe internationale de chercheurs, menée par Svante Pääbo, de l’Institut Max- Planck d’anthropologie évolutionniste (Leipzig, Allemagne), et Richard Green, professeur à l’université de Californie, a mis en évidence l’existence de croisements entre des néandertaliens et des premiers hommes anatomiquement modernes. Travaillant sur le séquençage du génome des néandertaliens, nos plus proches cousins, ils ont montré que, génétiquement, il était identique à celui de l’homme actuel (Homo sapiens) à 99,7 % et, comme ce dernier, à celui du chimpanzé à 98,8 %.

Cette découverte signifie que certains d’entre nous ont quelques gènes néandertaliens, en moyenne moins de 4 % du génome. Mais seuls les Européens et les Asiatiques sont concernés, ce qui signifie que ce croisement a eu lieu hors d’Afrique, probablement au Proche-Orient, il y a cinquante mille à quatre-vingt mille ans. C’est une révolution car, considérée comme une espèce inférieure, les néandertaliens ont, durant plus d’un siècle et demi, été victimes d’une sorte de racisme.

En tant que « sous-hommes », comme les peuples dits « sauvages » et les indigènes colonisés, ils alimentaient un imaginaire populaire qui permettait de glorifier la supériorité de l’homme moderne, en particulier européen, et de justifier l’esclavage et la colonisation. Perçus comme des brutes à l’apparence simiesque, ils suscitaient l’opprobre d’une humanité bien-pensante, aucune parenté n’était donc concevable avec ces êtres proches des singes. Sorte de maillon faible de la chaîne des hominidés, les néandertaliens étaient l’archétype idéal du concept de race, objet parfait d’une taxinomie féroce entre hominidés inférieurs et hommes modernes « civilisés ». Aujourd’hui, cette découverte va modifier le regard porté sur eux par beaucoup de chercheurs, car faisant désormais partie de notre patrimoine génétique, les néandertaliens ne peuvent être que des humains, comme je l’ai écrit en 2006 (*).

Marylène Patou-Mathisest directrice de recherche au cnrs, responsable de l’unité d’archéozoologie du département préhistoire du muséum national

(*) Neandertal. Une autre humanité. Éditions Perrin.

2) Les néanderthaliens, à la fois si proches 
et si différents de nous

Qui étaient les néanderthaliens  ? Durant près de 300 000 ans, en Europe et au Proche-Orient, ils ont évolué dans différents biotopes et sous différents climats. Le volume de leur cerveau (jusqu’à 1 700cm3) leur a permis de développer des activités complexes (comme le langage) et de surmonter les difficultés.

Ils nous ressemblent, c’est indéniable, pourtant, ils diffèrent de nous sur bien des aspects physiques (bourrelets sus-orbitaires, absence de menton, crâne en forme de ballon de rugby…).

Ils ont connu la maladie et l’accident, certains fortement handicapés ont survécu aidés par leurs congénères.

C’étaient des chasseurs-cueilleurs nomades qui exploitaient les ressources naturelles, comme la pierre et le bois végétal, pour tailler outils et armes, construire leurs habitations, aménager leur espace domestique ou alimenter leurs foyers, car ils maîtrisaient le feu.

Les néanderthaliens étaient de gros mangeurs de viande, parfaitement adaptés physiquement et mentalement, ils ont été les plus grands chasseurs de tous les temps. Ils considéraient l’animal comme un ensemble de ressources, alimentaires et non alimentaires.

Leurs connaissances et leur savoir-faire traduisent des aptitudes mentales, nombreuses et complexes, typiquement humaines. La pérennité de leur outillage et de leurs comportements démontre une stabilité qui reflète la puissance de leur mode de vie et leur extrême souplesse adaptative, mais aussi des traditions culturelles différentes selon les groupes régionaux. Comme l’atteste la diversité de leurs rites funéraires, ils avaient conscience de la mort, qui suscitait chez eux émotion et réflexion.

Parfois, ils ont également été cannibales, comme leurs prédécesseurs et leurs successeurs, mais aucunes traces de conflits n’ont été découvertes. Les similitudes de comportements entre les néanderthaliens et les hommes modernes sont plus importantes que les différences. Parce qu’ils sont à la fois si proches et si différents de nous, parmi tous nos ancêtres, ce sont les plus fascinants.

Marylène Patou-Mathis

directrice de recherche au CNRS, responsable de l’unité d’archéozoologie du département préhistoire du muséum national

3) Neandertal, un frère si lointain et si proche

La recherche sur l’ADN permet de mieux comprendre le parcours de vingt générations de Néandertaliens qui ont subi trois cycles de glaciation coupés de réchauffement climatique.

L’histoire des hommes préhistoriques a été bouleversée par l’étude de leur ADN (acide désoxyribonucléique, porteur des gènes). En 2010, le chercheur Svante Pääbo a publié la composition de 60 % de l’ADN des Néandertaliens, les hommes préhistoriques de l’espèce Homo neanderthalensis. Leur ADN avait été recueilli sur des fragments d’os trouvés dans divers sites d’habitation. Les chercheurs établirent ensuite que chaque habitant actuel de l’Eurasie renfermait, dans son ADN, de 1 à 4 % de gènes hérités des Néandertaliens. Conclusion obligatoire  : les populations de Néandertaliens et celles des hommes modernes, Homo sapiens, se sont forcément rencontrées, et des couples mixtes se sont formés lors de l’arrivée des hommes modernes en Europe. Les Néandertaliens sont donc nos frères.

Les ancêtres des Néandertaliens sont les « hommes d’Heidelberg » (Homo heidelbergensis), passés d’Afrique en Europe, il y a 600 000 ans. Ils vécurent au milieu des aurochs, des rhinocéros, des ours et des éléphants. C’étaient des chasseurs cueilleurs, utilisant des silex bifaces pour découper le gibier. Ces premiers Européens présentaient des traits archaïques  : fortes épaisseurs osseuses, musculature puissante, faible capacité crânienne (de 1 000 à 1 300 cm3), face à mâchoires proéminentes.

Petits, râblés, bien adaptés à la vie dans les régions froides

Les fossiles humains retrouvés en Europe présentent, au cours de l’ère quaternaire, des traits de plus en plus néandertaliens  : capacité crânienne plus forte (1 600 cm3), bourrelet frontal en visière au-dessus des yeux, fosses canines réduites, menton en retrait, os occipital développé sur la nuque. Les Néandertaliens typiques avaient la tête « en ballon de rugby ». Cette transformation progressive des Homo heidelbergensis s’explique par la dérive génétique due à leur dispersion en petits groupes, répartis sur un vaste territoire s’étendant de l’Occident jusqu’en Sibérie, ce qui empêchait les brassages génétiques nécessaires à la survie d’une espèce. Il y a 120 000 ans, tous les Homo heidelbergensis avaient disparu, remplacés par les Néandertaliens.

Vingt générations de Néandertaliens ont subi, durant 400 000 ans, trois cycles de glaciation coupés par des périodes interglaciaires de réchauffement climatique. Ces Néandertaliens étaient petits (1,65 m), râblés, bien adaptés à la vie dans les régions froides. C’étaient de gros consommateurs de gibier  ; le livre donne beaucoup de détails sur leurs armes de chasse, leurs façons de cuire les viandes (certains furent cannibales). Ils possédaient dans leur ADN le gène FOXP déterminant, dans le cerveau, la possibilité d’un langage articulé. Ils fabriquaient des colliers et des parures de plumes. Ils inhumaient leurs morts et peut-être commençaient-ils à peindre les murs des grottes. Ils formaient des groupes très mobiles sur le vaste territoire eurasien. Cette dispersion explique en partie pourquoi ils ont dû céder assez vite la place, lors de l’arrivée, il y a 40 000 ans, des nouveaux immigrants venus d’Afrique par le Proche-Orient  : les hommes modernes Homo sapiens. Ceux-ci imposèrent leur culture, plus avancée sur les plans du langage, de la fabrication des outils, de l’art rupestre.

L’épopée des hommes préhistoriques, retracée dans ce beau livre, forme un magnifique chapitre de l’histoire de tous les hommes.

Paul Mazliak, historien des sciences


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