Combattre la misère Urgence !

dimanche 6 juin 2010.
 

" Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. "

1) Les associations à bout de souffle

Submergées par les demandes et confrontées à une baisse des ressources, les organisations d’aide aux plus démunis ne parviennent plus à remplir leur mission. Elles lancent un cri d’alarme à l’intention des pouvoirs publics.

Les associations sont à bout de souffle. Malgré leur engagement, les bénévoles n’arrivent plus à faire face. La semaine dernière, le Secours populaire d’Angers (Maine-et-Loire) prenait la décision de fermer temporairement ses portes (lire l’Humanité du 2 juin). « Un exemple très émouvant de ce qui pourrait se produire sur tout le territoire », assure le président du SPF, Julien Lauprêtre. En 2009, 2 millions de personnes avaient fait appel à l’association. Un chiffre atteint en un seul semestre en 2010.

Le SPF n’est pas seul à souffrir, toutes les organisations sont submergées. À l’occasion de leur dernière campagne hivernale, les Restos du cœur ont accueilli quotidiennement 40 000 personnes de plus que l’année passée. La Croix-Rouge constate également une hausse de la demande d’assistance. « Sur la première moitié de 2010, on voit une progression de 15 à 20 % de la fréquentation de nos structures d’accueil », relève Jean-François Riffaud, son porte-parole. Une situation d’autant plus inquiétante que « la rentrée scolaire, en septembre, est toujours l’occasion d’une recrudescence des demandes », précise Marc Castille, responsable du service solidarité du Secours populaire. À la veille du lancement de sa campagne nationale de collecte, le président de la Croix-Rouge Française Jean-François Mattei, interpelle les pouvoirs publics et demande au « gouvernement de considérer les dépenses sociales comme prioritaires ». « Il doit prendre ses responsabilités. Ce ne sont pas les associations qui sont en crise, mais bien la société française, renchérit Jean-François Riffaud. Les besoins augmentent et les ressources baissent. Dans de très nombreuses régions, les collectivités locales rognent sur les aides qui nous sont attribuées. » Des propos qui rejoignent les déclarations de François Soulage, président du Secours catholique  : « Les associations, aujourd’hui un peu dépassées, ne peuvent pas remplacer l’État. »

« Nous avons besoin de plus de moyens »

Tous constatent également une diminution des dons. En 2009, les Français ont donné 397 millions d’euros. Selon le baromètre image notoriété réalisé par l’IFOP, les sommes collectées pourraient baisser en 2010. « Nos donateurs ont parfois eux-mêmes du mal à boucler leurs fins de mois », explique Marc Castille, du SPF. La Croix-Rouge tente également de faire face à un manque criant de moyens. « Pour maintenir un niveau de ressource constant, nous sommes obligés de beaucoup plus solliciter les Français, explique Jean-François Riffaud. Cette année notre quête nationale durera cinq jours, contre deux les années précédentes. Nous avons besoins de plus de moyens. La Croix-Rouge française ne peut donner que ce qu’on lui donne. » Dans beaucoup de structures, les frigos sont vides. Les dotations européennes attribuées à la France, d’un montant global de 78,1 millions d’euros, sont réparties entre le SPF, la Croix-Rouge, les Restos du cœur et la Banque alimentaire. Elles représentent une part importante de leurs ressources (50 % pour le SPF, 60 % pour la Croix-Rouge et la Banque alimentaire, 20 % pour les Restaurants du cœur). Or ces dotations commencent seulement à arriver. Et sont, de surcroît, de plus en plus menacées. Entre l’automne, où les aides de l’Union européenne sont attribuées, et le printemps, où les achats sont réellement effectués, il s’écoule plusieurs mois pendant lesquels les cours des aliments peuvent monter, entraînant une diminution conséquente des rations attribuées au final. La réforme de la politique agricole commune, qui vise à réduire les surplus agricoles, pourrait également remettre en cause le programme européen d’aide alimentaire. Une incertitude qui inquiète fortement les associations. « La fin de ces aides mettrait en péril notre existence », souligne Marc Castille.

Mathieu Molard

2) Le Conseil des droits de l’Homme adopte la résolution sur le Projet de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme

Au cours de sa 12ème session, le Conseil des droits de l’Homme a adopté la résolution sur le Projet de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme (A/HRC/12/L.30/Rev.1).

Dans cette résolution, le Conseil reconnaît qu’il y a « une volonté générale de faire avancer le projet d’élaboration de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme » et invite l’experte indépendante sur la question des droits de l’homme et de l’extrême pauvreté, Magdalena Sepulveda, à lui soumettre, au plus tard à sa 15ème session (en septembre 2010), un rapport contenant ses recommandations sur la façon d’améliorer le projet de principes directeurs. « D’ici à 2012 », le Conseil souhaite « prendre une décision sur la voie à suivre aux fins d’adoption des principes directeurs sur les droits des personnes en situation d’extrême pauvreté ».

Le Mouvement ATD Quart Monde se félicite de l’adoption de cette résolution et du fait que la résolution fixe une date butoir pour que le Conseil prenne une décision.

Cependant il semble maintenant qu’il sera plus difficile de centrer, de façon prioritaire, le texte sur le respect des droits de l’Homme pour les personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans tous les pays du monde, quelle que soit leur situation économique, sociale et culturelle. Un certain nombre de pays préféreraient que le projet de principes directeurs devienne plutôt un instrument pour faire avancer le droit au développement.

Dans la suite du processus qui doit conduire à l’adoption de principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, le Mouvement ATD Quart Monde s’appuiera sur la contribution des 11 ONG proposant des amendements au projet de principes directeurs en décembre 20081. Il encourage également les associations locales et ONG ayant une expérience concrète de la lutte contre l’extrême pauvreté à apporter leur contribution pour que le texte révisé prenne en compte la vie et la pensée des personnes vivant dans l’extrême pauvreté. (Voir contacts ci-dessous)

Le Mouvement international ATD Quart Monde insistera pour : que le texte final des principes directeurs soit centré sur l’extrême pauvreté qui concerne tous les pays du monde et donc que le texte se réfère à la définition utilisée par Leandro Despouy dans son rapport final sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté2 ; que le processus de consultation permette la participation des ONG au sein desquelles les personnes vivant dans l’extrême pauvreté s’expriment.

3) « Les misérables sont les fantômes de la société ». Hommage à une résistante

Avec ATD Quart-monde à Libourne le 17 octobre 2009

« La misère, c’est l’injustice personnifiée. » Voilà l’une des réflexions recueillies dans les rues de Libourne. Elle fut prononcée par un homme de 67 ans et lue, samedi, par Francine, adhérente des Amis du monde diplomatique, l’une des associations libournaises du Collectif du refus de la misère (1), à l’occasion de la Journée nationale de la misère, célébrée ce 17 octobre. Vingt-trois ans après l’appel lancé depuis le Trocadéro par le père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart-monde, dont la parole est inscrite dans la pierre de la stèle du refus de la misère, sur les allées Robert-Boulin (« Sud Ouest » du 14 octobre). Répétons-la : « Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les respecter est un devoir. »

Selon l’Insee, quelque 8 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté (908 euros) en 2007, dont 2,4 millions de moins de 18 ans. Dans le Libournais, Bernard Lion, directeur du Lien, confirme que la situation est dramatique. Cent soixante-dix personnes ont été hébergées dans ses locaux cette année. Mais d’autres « accidentés de la vie » n’osent pas révéler la précarité quotidienne de leur existence.

Trois ans dans la rue

S’il y a un message à retenir de cette journée, c’est celui-là : la misère ne doit pas devenir une fatalité. « On ne pourra sans doute pas l’éradiquer mais, au moins, lutter pour y parvenir. Collectivement, on doit pouvoir trouver de solutions », insistait Bernard Lion.

Témoigner en est une. Telle était la volonté du Collectif et de Thérèse Lacaze, responsable d’ATD Quart-monde à Libourne.

Ainsi, Michel s’est glissé dans la petite foule rassemblée devant la stèle, petits pas par petits pas, les deux mains accrochées à son déambulateur comme un naufragé à la planche de bois qui flotte. Michel est SDF (sans domicile fixe). Il a vécu pendant trois ans dans la rue. Il a connu le froid, la faim. Il lui est arrivé de ne pas manger pendant quatre ou cinq jours et de se voir refuser un bout de pain par un boulanger. Michel parle dans un murmure, sans colère, de sa vie misérable. « C’est comme ça ! », dit-il. Le Lien et le CCAS (Centre communal d’action sociale) lui ont trouvé un hébergement. « Le plus difficile, expliquait Bernard Lion, c’est d’arriver à construire un projet de vie avec ces personnes qui vivent depuis longtemps dans la rue et ont perdu tous leurs repères sociaux et communautaires. »

Une rencontre décisive

Refuser la misère est un combat de chaque instant pour ces hommes et ces femmes. François Hervé (ATD Quart-monde), viticulteur retraité, âgé de 74 ans, demeure à Villegouge. Il est ce qu’il appelle un « allié » dans l’association. Il y a les militants, les volontaires et les alliés. Voilà vingt ans, il a rejoint ATD Quart-monde, mais son engagement remonte encore plus loin dans le temps. Avec la rencontre d’un clochard qui venait vendanger sa propriété. « Moi, viticulteur bourgeois, il m’a humanisé, raconte-t-il. Il a changé mon regard sur la société. Les pauvres incarnent une richesse que je ne soupçonnais pas. La résistance, le pardon, l’espérance… » D’une voix douce, François Hervé parle de « révélation » et avoue croire en l’homme, malgré tout. « L’homme est un remède pour l’homme. C’est cet espoir qui me guide. Oui, il y a toujours la misère mais quelque chose a changé. Ce rassemblement aujourd’hui (NDLR : samedi) devant la stèle n’aurait pas été possible il y a quelques années. Je crois que personne n’est insensible à la misère ». Comme le dit cette femme de 40 ans : « Les misérables sont les fantômes de la société ».

Témoignages émouvants lus ce 17 octobre

Des membres du Collectif libournais du refus de la misère ont lu plusieurs témoignages émouvants, recueillis auprès de personnes vivant dans la précarité. En voici des extraits.

Lu par le Secours Catholique « En septembre 2008, j’ai trouvé un travail à 668 euros dans le nettoyage. Avant, je travaillais dans des emplois précaires. J’avais des dettes et j’étais menacé d’expulsion pour des loyers impayés. Une assistance sociale m’a aidé financièrement et m’a donné de la nourriture. J’ai fait une demande de curatelle pour ne pas perdre mon loyer et recevoir ma fille. Le Secours catholique m’a payé un loyer et m’a donné des bons alimentaires. Ma situation s’est améliorée. J’ai obtenu un CDI. Mais je reviens toujours au Secours catholique, car j’ai besoin de leur écoute […]. »

Lu par le Groupement d’entraide mutuelle « Suite à des problèmes de santé, je me suis retrouvée avec une pension d’invalidité. Ma santé et mes ressources financières m’ont mise en marge de la société, malgré mes efforts. Le GEM m’a permis de retrouver le goût de vivre, confiance en moi et de réaliser des projets. » Paroles de la rue « La misère, c’est le fait de se sentir seul et isolé. » « Les misérables sont ceux qui ont perdu leur liberté. » « Tous ceux qui sont oubliés ou ignorés sont des misérables. » « La misère : perdre sa voix et l’envie de penser. » « La misère, c’est se sentir étranger dans son propre pays. »

Article d’ALAIN MONTANGUON (a.montanguon@sudouest.com) paru dans le journal Sud-Ouest le 20 octobre 2009.

Source : http://www.atd-quartmonde.asso.fr/?...


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